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Billet de blog 28 octobre 2013

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Toute la lumière sur la migration des oiseaux

Il y a vingt ans encore il était difficile de suivre les migrations des oiseaux à l’échelle de la planète. En 1990, le professeur Rory P. Wilson invente la géolocalisation des mouvements migratoires et conçoit les premiers géolocateurs électroniques miniaturisés. Ce procédé basé sur l’enregistrement des niveaux de lumière permet aujourd’hui une approche révolutionnaire de l’écologie des oiseaux.  

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Il y a vingt ans encore il était difficile de suivre les migrations des oiseaux à l’échelle de la planète. En 1990, le professeur Rory P. Wilson invente la géolocalisation des mouvements migratoires et conçoit les premiers géolocateurs électroniques miniaturisés. Ce procédé basé sur l’enregistrement des niveaux de lumière permet aujourd’hui une approche révolutionnaire de l’écologie des oiseaux.

Depuis toujours les hommes sont fascinés par les migrations des oiseaux


Quelques 1850 espèces d’oiseaux migrent chaque année, parfois au cours de voyages de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres. Ces mouvements de masse sont une des manifestations les plus fascinantes du règne animal et les voies migratoires des oiseaux sont longtemps restées mystérieuses, suscitant la curiosité et les fantasmes de générations de naturalistes depuis Aristote. Les hypothèses les plus folles furent échafaudées: jusqu’à la fin du 18ème siècle, bien des scientifiques pensaient que les hirondelles passaient l’hiver dans la vase du fond des mares. Puis, les hommes eurent l’idée de baguer les oiseaux. Cette pratique remonte probablement à la Chine ancienne et aux civilisations précolombiennes, mais son application à l’étude des migrations est beaucoup plus récente. Suite aux travaux de pionniers tels que l’Allemand Johannes Tienemann, qui le premier perça les secrets de la cigogne blanche, le 20ème siècle fut l’âge d’or du baguage des oiseaux. Aujourd’hui encore, 4 millions d’oiseaux sont bagués chaque année en Europe afin d’étudier leurs mouvements migratoires et leur capacité à survivre d’une année à l’autre. Ceci nécessite néanmoins qu’un oiseau soit bagué en un point A, puis observé en un point B, afin d’établir qu’il s’est déplacé (d’Europe en Afrique, par exemple).  Il est donc bien difficile de suivre les migrations d’oiseaux vers les lieux les plus isolés de la planète, et c’est particulièrement le cas des oiseaux marins : presque impossible de voir la bague du grand albatros qui passera l’hiver au fin fond de l’océan austral, ou celle de l’océanite tempête* en route de sa Bretagne natale vers des zones inconnues des mers du sud. Depuis plus de 20 ans les balises électroniques reliées au système ARGOS** permettent de suivre les mouvements d’oiseaux de grande taille, mais elles sont encore trop lourdes pour les oiseaux de moins de 300g, et ils sont pléthore.

La géolocation : une idée simplement géniale

Le Prof. Rory P. Wilson, de l’Université de Swansea au Pays de Galles, s’est souvenu que les premiers navigateurs ne disposaient ni de GPS, ni de balises ARGOS mais observaient la course du soleil afin d’estimer leur position en mer : la longueur du jour indique en effet la latitude et l’heure du zénith, la longitude. A la fin des années 1980, il a développé des appareils miniaturisés permettant d’enregistrer les niveaux de lumière. Cette mesure est simple et consomme très peu d’électricité, les appareils sont donc suffisamment petits et légers (quelques grammes) pour être attachés à la bague des oiseaux migrateurs. Posés ainsi sur des oiseaux nicheurs, ils seront portés par ceux-ci pendant une ou plusieurs années, avant d’être récupérés sur ce même site de nidification et les données analysées afin de découvrir les voies migratoires des plus petites espèces. Des collègues scandinaves ont ainsi pu suivre le fabuleux voyage de 70 000 km des sternes arctiques (100g), qui chaque année font l’aller-retour entre les deux pôles de la planète, depuis leurs sites de nidification au Groenland jusqu’à leurs aires d’hivernage en bordure du continent Antarctique. La méthode du Prof. Wilson n’est bien sûr pas aussi précise qu’un positionnement GPS ; son erreur moyenne est de 180km. C’est assez pour savoir que les macareux moine d’Ecosse partent hiverner au beau milieu de l’Atlantique nord, mais pas suffisant pour éviter les railleries dont le Prof. Wilson fût l’objet pendant une bonne dizaine d’années. Entre-temps, sa méthode manqua de sombrer dans l’oubli.

Une nouvelle technologie au service de la conservation de la biodiversité


Désormais, grâce à l’acharnement de quelques collègues et aux progrès de la microélectronique, les enregistreurs de lumière pèsent moins d’un gramme et ne coûtent plus 1000, mais 100€ l’unité. La communauté scientifique s’est finalement entièrement appropriée la méthode Wilson, au point d’en presque oublier son génial inventeur. Chaque année, plus de 10 000 oiseaux dans le monde sont équipés d’enregistreurs de lumière miniaturisés. Ce chiffre est encore modeste en comparaison des millions de bagues posées, mais les avancées scientifiques sont spectaculaires : des collègues américains ont ainsi pu récemment découvrir les aires d’hivernage jusqu’alors inconnues des hirondelles noires (55g) : celles-ci-ci nichent en Amérique du nord mais passent l’hiver au Brésil, parcourant ainsi plus de 10 000km dans l’année. Les informations recueillies sur cette espèce et sur bien d’autres permettront de mieux protéger leurs corridors de migration, ainsi que leurs zones d’hivernage. En haute mer, la méthode du Prof. Wilson est très largement utilisée afin de découvrir les zones d’alimentation cruciales pour les oiseaux marins et de définir les futures aires protégées qui permettront de préserver la biodiversité marine.


David Grémillet - Directeur de recherche - Equipe Ecologie Spatiale des Populations - CEFE-CNRS, Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive, Montpellier
Bénédicte Martin

*oiseau marin d’une vingtaine de grammes, peu connu car ne venant à terre que la nuit pour nicher sous terre.
**Les signaux des émetteurs du système ARGOS sont captés par des satellites et permettent ainsi de localiser l’animal porteur de l’émetteur avec une précision de quelques centaines de mètres.

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