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Billet de blog 22 juillet 2013

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Une modeste idée pour favoriser le grand rebond de l’Europe

Il y a quelques années, Jacques Chirac, alors Président de la République française, s’est opposé à ce qu’il soit fait mention des racines chrétiennes de l’Europe dans la constitution européenne.

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Il y a quelques années, Jacques Chirac, alors Président de la République française, s’est opposé à ce qu’il soit fait mention des racines chrétiennes de l’Europe dans la constitution européenne.

 A l’époque, notre pays était totalement isolé. La position de Jacques Chirac fut donc  vivement critiquée par tous les Chefs d’Etats européens. Pourtant, Chirac fut probablement le moins tartuffe de la bande.  Peu importe, c’est de l’histoire. Je propose aujourd’hui de prendre le problème sous un angle totalement différent, mais mille fois plus efficace. Voici comment.

Depuis le mois de mars, en raison de sa foi rayonnante, de la cohérence qu’il a toujours maintenue entre ses paroles et ses actes, et de sa grande intelligence, le Pape François a acquis une notoriété mondiale, du nord au sud, de l’Orient à l’Occident. Chacun de ses mots ou de ses gestes montre qu’il aime les gens, tous les gens. Jour après jour, il nous délivre une vision que chacun peut recevoir comme il l’entend en fonction de ses convictions. Il ne stigmatise jamais. Au contraire, il aide tout le monde à se hisser vers le haut.

 Nul doute que de RIO, où il préside depuis Lundi  les journées mondiales de la jeunesse (JMJ), il va délivrer quelques messages forts à la planète. Les Chefs d’Etats et l’intelligentsia s’en moqueront peut-être (quoique ...) mais pas les populations.

Ma proposition : devant la panne sèche du projet européen, et les conséquences gravissimes qui en découlent, il serait souhaitable d’organiser un moment fort, à l’occasion d’un prochain Sommet des 28 Chefs d’Etats. Ce moment fort pourrait être un dîner informel des Chefs d’Etats avec le Pape François, sans journalistes.  Ce diner pourrait être commun avec la Commission européenne.

Ne hurlez pas. Ne réagissez pas au quart de tour avant d’avoir lu cet article jusqu’à la dernière ligne. Il ne s'agirait pas de demander au Pape ce qu'il faut faire. Il s'agirait simplement d'écouter autre chose que les discours des lobbies qui nous mènent à la catastrophe jour après jour, faute de hauteur de vue, et de vision sur le bien commun et l'intérêt général.

Je suis persuadé que le Pape François saurait tenir un langage décapant mais extrêmement courtois, et suggérer une vision authentiquement humaine et enthousiasmante de l’Europe, au moment ou les peuples et les politiques ne savent plus quoi faire. Sans jamais leur dicter leur conduite, il saurait leur proposer une vision profondément humaine des finalités de l’Europe et de la mondialisation. 

Par voie de conséquence, il élèverait la réflexion à un niveau jamais atteint dans ces Sommets depuis vingt ans. Et, on ne sait  jamais, ce dîner serait peut-être le point de départ du grand rebond européen dont nous avons tant besoin.

Rappelons qu’en 2010 les Chefs d’Etats se sont très très mal conduits, pour des chefs de démocraties. Ils méritaient tous d’être virés avec pertes et fracas par leurs peuples. Après le Sommet du 25 mars 2010, au cours duquel ils travaillaient sur la stratégie européenne à échéance de 2020, on apprenait que le seul point sur lequel la Commission et les Etats membres s’étaient mis d’accord était la suppression des objectifs chiffrés de baisse de la pauvreté, "que Barroso enterrera sitôt les négociations ouvertes" (La Lettre de l’expansion » du 3 mai 2010). L’article n’a jamais été démenti, et n’a pas fait l’objet de poursuites en diffamation). Les Chefs d’Etat avaient juste oublié que nous étions au beau milieu de l’année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, annoncée à l’époque à grand renfort de tambours et de trompettes !

 C’était juste hallucinant et inqualifiable. 

Au moment où sont écrites ces lignes, on apprend que dans l’avion qui le menait à RIO, le  Pape a rappelé un principe ancestral, appliqué bien avant le christianisme :  ne pas opposer les jeunes aux personnes âgées mais montrer comment chacune de ces composantes de la société doit y être pleinement insérée. « Les jeunes sont l’avenir d’un peuple parce qu’ils ont la force », a-t-il déclaré, mais « les personnes âgées sont aussi le futur d’un peuple parce qu’elles transmettent la sagesse de la vie ». « Les personnes âgées ont la sagesse de l’histoire, de la famille », a t-il poursuivi, estimant qu’un peuple qui a un avenir, va de l’avant avec ces deux faces. Faut-il également demander à Barroso d’enterrer cette remarque ?

Ce n’est pas tout. Evoquant « la crise mondiale (qui) ne fait pas de bonnes choses aux jeunes », le Pape redoute que survienne « une génération qui n’a pas eu du tout de travail ». Or, celui-ci est inséparable « de la dignité de la personne », a-t-il insisté.

Cette déclaration s’inscrit parfaitement dans la doctrine sociale de l’Eglise, qui remonte au XIXème siècle, abondamment décrite sur internet. Elle se recoupe également avec le document officiel du Conseil pontifical Justice et paix, sur  la Mondialisation, la crise financière et la régulation, rendu public en 2011, document qui met en cause « le libéralisme économique sans règles ni contrôles ».

Naturellement, les Chefs d’Etat devraient inviter à d’autres dîners le Dalaï Lama, ou d’autres personnalités religieuses ou philosophiques reconnues sur la planète, ainsi que des patrons choisis parmi les plus humanistes.  Une chose est certaine, les discours de ces personnalités sur l'économie seraient à 90% les mêmes. En 1996, le Centre des jeunes dirigeants d’entreprises soulignait: « depuis vingt ans, l’entreprise, pour gagner fait perdre la société. Jusqu’à quand et à quel prix cette situation est-elle durable » ? C’était bien avant la nomination du Pape François.

Ne nous voilons pas la face : l’exercice serait terrible pour nos Chefs d’Etat, car ils ne pourraient plus se payer de mots. Ils seraient bien obligés de constater que la politique économique européenne se résume trop souvent au catéchisme  de Goldman Sachs, dont un jour, le Président se serait vanté de  faire « le travail de Dieu » ! S'il a vraiment prononcé cette phrase, cet homme est un fou.

S’ils avaient néanmoins le courage d’entrer dans la démarche, les Chefs d'Etats se grandiraient, et s’extirperaient des pressions abusives des lobbies et de la corruption. Les démocraties seraient revivifiées au bénéfice de tous. L’économie retrouverait un sens qu’elle a totalement perdu tant avec la gauche qu’avec la droite. Aucun citoyen sensé ne s'offusquerait de voir ses élus écouter ceux qui se comportent la plupart du temps comme les sages de la planète. Du reste, dans les entreprises, il est classique d'organiser des séminaires au cours desquels interviennent des personnes de haut niveau, qui aident les cadres à prendre de la hauteur avec leur quotidien. Cela donne toujours de bons résultats.

A mon avis, ce type d'exercice (qu'elle qu'en soit la forme, et pas forcément un dîner, bien  sûr!) pourrait avantageusement avoir lieu une fois tous les cinq ans.

Bertrand de Kermel

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