La convention ITER/URSSAF signée le 1er février 2013 déjà publiée dans un blog précédent n’arrête pas de poser question.
Un groupe de travail, sorte d’atelier de lecture collective[1], s’est penché sur le texte.
Vous trouverez ci-dessous une liste des questions que ce groupe exhume.
Pour permettre une lecture plus aisée, je publie à nouveau en pièces jointes :
- le texte de la convention signée le 7 novembre 2007 entre ITER et le Gouvernement,
- le texte de la convention ITER/URSSAF du 1er février 2013,
- la lettre réponse du Ministre SAPIN en date du 21 aout 2013.
Tout d’abord, reconnaissons au rédacteur, ou à la rédactrice, de ladite convention, certainement juriste de formation, que le texte est adroitement écrit et que, comme le dit le vieil adage « le diable se cache dans les détails » !
Ainsi, après une longue introduction, de pas moins de 5 pages, une litanie quasi soporifique de vœux pieux et de bonnes intentions assénées sur les pratiques souhaitées, l’article 2.1 qui concerne la détermination des dates de contrôle un mois à l'avance après accord entre les Urssaf et Iter, n'est pas formellement critiquable.
En effet, dans le droit, les dates des contrôles comptables d'assiette doivent être communiquées par l'Urssaf à l'entreprise contrôlée au minimum 15 jours avant l'arrivée de l'inspecteur.
Souvent, et largement pratiqué aujourd’hui, pour des raisons liées aux contraintes de gestion interne, les Urssaf préviennent un mois avant. Nous y reviendrons plus loin.
Cependant, le fait d'écrire que "la date de contrôle sera arrêtée un mois à l'avance sur proposition de l'Urssaf à l'organisation Iter" n’est-elle pas une interprétation un peu large de la règle de droit qui stipule que "l'Urssaf doit notifier la date de contrôle" ?
La convention dérange également au niveau de certaines ambiguïtés, dont elle semble être porteuse et qu’elle maintient à dessein, dans le rapprochement de certaines des règles qu'elle édicte d'un article à l'autre.
Prises isolément, chacune de ces règles semble imparable et conforme au droit, c'est quand on procède à leur rapprochement que certains risques apparaissent.
Au rang des ambiguïtés, on peut mettre en premier lieu les "Privilèges et Immunités" derrière lesquels semble se réfugier régulièrement ITER.
C’est par exemple le cas dans le préambule, puis dans le dernier paragraphe de l'article 1, et fait aussi l’objet de l’article 4 sans que ces "Privilèges et Immunités" soient clairement définis dans la convention, ou même annexés.
Pourquoi ?
Le document fait donc appel à des concepts de droit qu'il ne définit pas.
N’est ce pas un point sur lequel certains juristes pourraient s’appuyer comme motif de nullité ?
Est-ce que cette ambiguïté maintenue sur ces "privilèges et immunités" est une façon de permettre de s'opposer commodément à des initiatives des corps de contrôle ?
Des documents relatifs aux "privilèges et immunités" existent et ne sont pas l’apanage du seul ITER.
L'un, par exemple, est la Convention sur les Privilèges et Immunités des Nations Unies approuvée par l’Assemblée Générale le 13 février 1946.
Ce document a été écrit pour traiter le cas des fonctionnaires de l'ONU et il est consultable en ligne.
Un autre est la Convention de Vienne du 18 avril 1961 pour les privilèges et immunités des diplomates, également consultable en ligne.
Celui sur les « Privilèges et immunités » du Chantier ITER est consultable par le lien suivant : http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/iter.asp
Extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 03/01/08
Le ministre des Affaires étrangères et européennes a présenté un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation internationale Iter pour l’énergie de fusion relatif au siège de l’Organisation Iter et aux privilèges et immunités de l’Organisation Iter sur le territoire français.
Cet accord, signé le 7 novembre 2007 à Cadarache, régit le statut du personnel de l’Organisation internationale Iter travaillant en France, ainsi que des représentants des membres de l’organisation et de ses experts, au profit desquels il établit des facilités, privilèges et immunités.
Il confère à l’Organisation Iter la personnalité civile, lui garantit l’inviolabilité de ses bâtiments, locaux, archives et documents et lui accorde une immunité de juridiction et d’exécution pour tous les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions.
Cependant, il pose question.
Sur quelle base s'appuie-t-on pour rapprocher Iter et ses salariés directs ou sous traitants ?
Autre ambiguïté, n’y a-t-il pas une confusion entre Iter Organisation, les maîtres d'ouvrage et les sociétés sous-traitantes (voire les sous-traitantes des sous-traitants) ?
Les relations entre ceux-ci ne sont absolument pas précisées.
Quelles mesures s'appliquent à Iter seule ?
Lesquelles s’appliquent aux entreprises présentes sur le site ?
Quel est le périmètre précis, géographiquement parlant, attribué à chaque pays ? A Iter ?
Par exemple, dans l'article 2, qui fixe les modalités d’intervention des URSSAF de PACA sur le site ITER ? Qui est contrôlé ?
Qui est prévenu des contrôles évoqué dans l’article 2.1 ?
Avec qui faut-il "être en mesure de communiquer en anglais" article2.5 ?
Pourquoi ce manque de précision ?
Est-il destiné à permettre à Iter de récupérer une partie des pouvoirs de l'Urssaf en matière de pilotage et de maîtrise des opérations de contrôle, en se positionnant en "écran" entre l'Urssaf et les entreprises à contrôler ?
Les contrôles doivent s'effectuer au niveau de l'entreprise, sans intervention quelconque d'un tiers (sauf en cas de redressement, dans le cadre duquel l'Urssaf peut éventuellement demander à faire jouer la solidarité financière entre sous-traitant et donneur d'ordre).
Si l'on se penche sur les règles proposées dans le document et que l'on se livre à un rapprochement, certains points sont dérangeants.
A l'article 1, le dernier paragraphe stipule "les Urssaf Paca sont informées que le droit français relatif au travail dissimulé n'est pas applicable à l'organisation Iter et à son personnel".
Comme les "privilèges et immunités" ne sont définis nulle part et que le directeur préfigurateur de l'Urssaf Paca a signé, la possibilité du recours semble compromise ?!
De plus, comme le rappelle le Ministre SAPIN dans son courrier du 21 aout 2013, le Décret n° 2010-868 du 23 juillet 2010 portant publication du protocole additionnel, sous forme d'échange de lettres, à l'accord de siège entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation internationale pour l'énergie de fusion fixe la mise en œuvre conjointe du projet ITER relatif au rôle de l'inspection du travail sur le site de l'Organisation internationale d'ITER et porte sur la santé et la sécurité au travail ( signé à Paris le 14 janvier 2009 et à Saint-Paul-lez-Durance le 29janvier 2009)
Consultable ci-dessous :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022518239
A l'article 2, déjà évoqué en début de texte, il est dit que les dates des opérations de contrôle sont proposées par l'Urssaf à Iter au moins un mois à l'avance.
Cependant, les opérations de contrôle dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé dérogent aux pratiques du contrôle comptable d'assiette, en cela que les contrôles sont inopinés : ils ne sont jamais annoncés aux entreprises dans ce cas précis.
Car sinon, et c'est aisément compréhensible, cela ne fonctionne pas : l'idée est d'attraper sur le terrain les cas de salariés non déclarés.
Quand elles sont prévenues à l'avance, les entreprises font « exfiltrer » les salariés "illégaux" par la porte de derrière ...
Pourquoi dans la convention, aucune mention n'est faite des règles à appliquer pour le contrôle à des fins de lutte contre le travail illégal ?
Comme l’atteste le courrier du Ministre SAPIN (publié en pièce jointe), il y a une telle accumulation de textes qui régissent les procédures de contrôle, qu’à la fin, on ne sait plus déterminer quelles règles s'appliquent spécifiquement à Iter ou spécifiquement à ses sous-traitants.
Est-ce que les sous-traitants (et Iter !) pourront se retrancher derrière cet embrouillamini pour n'accepter aucun contrôle inopiné à des fins de lutte contre le travail illégal ?
Or, le cas de salariés étrangers, qui devraient relever du régime français mais qui sont employés sous des conditions légales polonaises ou portugaises par exemple, est considéré comme un cas de travail dissimulé.
Est-ce le cas sur le chantier Iter ? Qui pourra le vérifier ? Sous quelle forme ? En s’appuyant sur quel texte ?
Concluons par une note qui pourrait apparaître plus légère...ou cocasse.
Obligation est faite de savoir "communiquer en anglais".
N’est-ce pas porteur d’inefficience dans l’action de l'Urssaf ?
Aucun inspecteur ou personnel n'a, dans son statut ou dans la détermination de sa fiche de poste, obligation de savoir parler une quelconque langue étrangère.
Beaucoup de questions donc.
Aussi Monsieur le Ministre SAPIN, lui qui a signé le Décret n°92-508 du 11 juin 1992 relatif au travail clandestin, devra demander des précisions et des éclaircissements.
Nous les attendons, il nous les doit.
[1] Les ateliers de lecture sont nés pendant la campagne du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen en 2004/2005. Giscard, qui présidait la Convention chargée de l’écrire, venait de tenter de dissuader les citoyens de lire ce texte « trop compliqué pour eux » : il allait falloir faire confiance aux partis « responsables », aux grands médias et à leurs « experts »…tous favorables au projet ! Reconnaissons-le, il est vrai que la longueur et l’opacité du projet de Constitution avaient de quoi décourage. Mais nombre de concitoyens ont refusé de le suivre et se sont regroupés pour lire et comprendre : les ateliers de lecture étaient nés !