Besoin d'un lieu sans discours-court-courant, d'une halte. Un recul qui n'est pas éloignenemt, un endroit où tu peux réfléchir, où tu aimes, assez simplement. Un endroit de petite mesure, mesure de toi, de soi, mesure d'une parole.
Tu ouvres Chêne et chien, (1937) que Raymond Queneau sous-titra "roman en vers", comme un clin d'oeil vers le roman médiéval ! Tu devines : autobiographie poétique car ce titre, Chêne et chien , renvoie à l'étymologie du nom de l'auteur : la racine quen de Queneau renvoie aux mots normands quenne qui désigne le chêne, et quenet , qui désigne le chien.
Et tu écoutes, car Queneau se dit autant, ou plus, qu'il ne se lit.
Et ça commence :
.
Je naquis au Havre un vingt et un février
en mil neuf cent et trois.
Ma mère était mercière et mon père mercier :
ils trépignaient de joie.
Inexplicablement je connus l'injustice
et fus mis un matin
chez une femme avide et bête, une nourrice,
qui me tendit son sein.
De cette outre de lait j'ai de la peine à croire
que j'en tirais festin
en pressant de ma lèvre une sorte de poire,
organe féminin.
(....)
Et puis, au coeur du recueil, tu tombes sur cette série d'affirmations qui te touchent plus que tout, sans savoir :
L'herbe : sur l'herbe je n'ai rien à dire
mais encore quels sont ces bruits
ces bruits du jour et de la nuit
Le vent : sur le vent je n'ai rien à dire
.
Le chêne : sur le chêne je n'ai rien à dire
mais qui donc chantonne à minuit
qui donc grignote un pied de lit
Le rat : sur le rat je n'ai rien à dire
.
Le sable : sur le sable je n'ai rien à dire
mais qu'est-ce qui grince ? c'est l'huis
qui donc halète ? sinon lui
Le roc : sur le roc je n'ai rien à dire
.
L'étoile : sur l'étoile je n'ai rien à dire
c'est un son aigre comme un fruit
c'est un murmure qu'on poursuit
La lune : sur la lune je n'ai rien à dire.
.
Le chien : sur le chien je n'ai rien à dire
c'est un soupir et c'est un cri
c'est un spasme un charivari
La ville : sur la ville je n'ai rien à dire
.
Le coeur : sur le coeur je n'ai rien à dire
du silence à jamais détruit
le sourd balaye les débris
Le soleil : ô monstre, ô Gorgone, ô Méduse
ô soleil.