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Auteur de romans, d'un essai, de poésie… mon site: http://ahmedhanifi.com/ * mon blog: http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.fr/

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Billet de blog 30 mars 2013

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1_ Seins nus et liberté

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Je suis depuis quelque temps happé par une délicate question que je vous soumets : la lutte pour l’émancipation de l’homme et de la femme ou de la femme et de l’homme, doit-elle tenir compte oui ou non du contexte et de l’Histoire des hommes et des femmes qui la mènent ? Doit-elle être identique partout dans le monde, quels que soient les contextes ?

C’est d’une part la multiplication de messages, sur Facebook notamment, encourageant le dévêtement des femmes tunisiennes, et d’autre part une réaction du cœur de la comédienne tunisienne Leïla Toubel, qui m’ont poussé à y réfléchir un peu plus. Un cri du cœur ainsi adressé à une va-t-en-guerre médiatique française : « La Tunisie n’est pas une femme aux seins nus ! » On ne s’improvise pas défenseur des libertés, des droits des femmes « Quand on a eu la bouche cousue pendant les 23 années de la dictature de Ben Ali (…) Est-ce que vous avez mal pour ‘‘Amina’’ ou est-ce juste la France (…) qui veut  choisir– à notre place – nos attitudes, nos positions, nos mots… »

En effet. La Tunisie a une Histoire importante et riche. Douloureuse ces dernières décennies. Aujourd’hui elle se bat pour la libération et l’émancipation de ses citoyens avec ses armes, pacifiques. D’aucuns veulent lui imposer un schéma, une sorte de « feuille de route » comme on dit dans les milieux politiques ou stratégiques, une feuille de route à l’image de ses concepteurs (la feuille de route).

Depuis 2008 un phénomène est apparu en Europe. Ce phénomène est encore discuté et discutable. On est pour, on est contre. Ce phénomène est radical. Il use du corps comme d’une arme. Il est né en Europe de l’Est, en Ukraine exactement. Il a pour nom « Femen ». Ses membres sont étonnamment conformes aux standards attendus de la publicité de « la femme libérée », en fait enchaînée. Leurs méthodes sont contestées en Europe même. Le débat est assez vif. Leur combat vise autant la prostitution, la corruption, que la religion. Il est violent parfois. Ses conceptrices elles-mêmes se définissent comme « Sextrêmistes ».

Personnellement, autant je suis pour la libération de toute entrave des femmes et des hommes, autant je suis contre l’assaut systématique d’Occidentaux (en mal de pouvoir ou de carrière), au nom de la liberté, de la démocratie et du féminisme contre les sociétés maghrébines. La liberté et la démocratie pour nombre d’entre eux sont à géométrie variable. Je ne parle pas des gouvernants, il va sans dire - mais surtout de l’élite médiatique et intellectuelle française ethnocentrique. Je dis bien ethnocentrique.

Les nations maghrébines ont une culture, une identité un rythme et un mode d’évolution (tout ceci peut être conjugué au pluriel) qui leurs sont propres. Un souffle qui leur est propre. Ces nations sont pétries d’une Histoire qui est la leur. Ni meilleure ni mauvaise. Qu’il faut respecter. Plaquer des schémas importés, des feuilles de route, comme on plaque à nos besoins des téléphones portables, risque de rouiller ces sociétés, de les faire trébucher. Montrer ses seins nus sur Facebook, devant les caméras ou ailleurs, serait révolutionnaire. Beaucoup trop facile. Je veux dire, qu’ici en France et généralement en Europe, nous sommes abreuvés d’images proposant une savonnette ou un biscuit concomitamment avec le corps dénudé de femmes à longueur de journée (corps à notre théorique disposition), corps dénudés de femmes et corps suggestifs de mineurs sur papier glacé d’hebdomadaires écoeurants. Cela est dégradant, choquant, révoltant, mais cela n’émeut personne. Le commerce doit passer, y compris par le corps des femmes dénudées. Normal.

Il ne s’agit nullement de tout rejeter en bloc. Je ne dis absolument pas cela. Je dis que les sociétés maghrébines ne se sont construites sur une histoire et une pensée grecques que très anecdotiquement (Hiarbas plus que Didon à cet égard) et indirectement, alors qu’entre les Européens d’aujourd’hui et les Grecs anciens il y a un quasi-continuum. « Notre socle est gréco-romain » cocoricoquent nombre d’entre eux.

La société française elle-même a évolué, mais parfois dans un sens qu’on aurait qualifié il y a 35 ans de « rétrograde ». Jugez : quelle perception avaient les Français (surtout l’élite intellectuelle et médiatique française) durant le grand bazar des années soixante et soixante-dix sur la protection des enfants ? Je me souviens qu’à l’époque on militait, au nom du combat contre l’ordre établi et pour les libertés, pour que la sexualité concerne aussi les enfants. Comme tout le monde (le monde « in », branché aujourd’hui) je lisais le tout jeune « Libé » et je m’efforçais de me confectionner une image-reflet de mon journal. Mais cette question me dépassait, la guerre fratricide que se livraient le Maroc et l’Algérie me préoccupait plus que tout. Je ne pipais mot des mœurs françaises. C’eût été ringard de donner un avis opposé (on ne disait pas « ringard » à cette époque). Je me taisais donc. Avec quelques copains Maghrébins on gloussait, on désapprouvait entre nous, mais rien de plus. En Algérie, au Maroc comme en Tunisie, certains osaient s’insurger, mais ils étaient ici ignorés. Quantité négligeable. Aujourd’hui le moindre regard porté sur un enfant peut être sujet à interprétation, à risque. La pédophilie s’est substituée au mal absolu, alors même que par ailleurs la pornographie est conseillée aux mineurs par certains « spécialistes ».

Pour revenir à la question du combat des féministes, on intime l’ordre aux militants Maghrébins (Tunisiens) sous peine d’être stigmatisés du sceau de l’arriérisme ou de l’intégrisme, on leur intime l’ordre de manifester leurs soutiens plutôt aux seins nus qu’au combat des femmes en général pour leur dignité, dans leurs contextes, dans leur Histoire.  Se promener sur Facebook, seins nus ou comme le dit Leïla Toubel « mettre du rouge à lèvres est insuffisant. Notre combat est avant tout un combat pour tous, hommes et femmes, pour le travail, la dignité, la liberté ». Dans cet ordre et pour tous. La liberté n’est pas dans le mimétisme irréfléchi et inconséquent. Il n’y a certes qu’une liberté, mais il y va de la liberté comme de Rome, plusieurs chemins y mènent. Je crains que montrer ses attributs de femme ou d’homme ne soit le meilleur.

Ahmed Hanifi,

Marseille, le 30 mars 2013

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