L'art " à sa place chez quelqu'un "

Et si l'on organisait une exposition dans votre appartement ? Ce serait « Khronos appart », l'art convivial à domicile.

Détenir des œuvres d'art chez soi est un privilège rare, généralement réservé à quelques collectionneurs fortunés. Pourtant, il est possible d'orner les murs de son salon de tableaux et de garnir commodes ou étagères de sculptures, le temps d'une exposition « privée ». Le tout assorti d'un vernissage en forme de soirée entre amis.
L'idée est née à Tours en 1989, année des réminiscences révolutionnaires. Elle avait germé dans l'esprit d'Olivier Bidchiren, jeune auteur fantasque signant Bid Chiren, qui rêvait à la fois d'organiser des expositions et de créer une revue littéraire. « L'art ne se trouve pas dans les musées ou les galeries, proclame-t-il, mais doit être mis en situation. Dans un appartement, il devient convivial, il est à sa place, chez quelqu'un. » 

« Ici existe ce qui n'existe pas »

Faisant d'une pierre deux coups, Bid Chiren fonde avec une dizaine d'amis l'association « Mouvement Khronos », éditrice d'un fanzine littéraire illustré de photos et dessins intitulé « Micronos » et organisatrice d'expositions à domicile sous le label « Khronos appart ».
Ces appellations sont inspirées d'un recueil de ses propres textes fantastiques, intitulé « Khronos, la prophétie ». Incontestablement, ces esthètes sont obsédés par le temps, du moins sa relativité ainsi proclamée : « Le temps fut, nous sommes, car ici existe ce qui n'existe pas. » Leur bimensuel (200 exemplaires diffusés par abonnement et dans quelques dépôts) publie prose et poèmes très ésotériques. Quant aux vernissages des expos, ce sont des « intemporisations », tout simplement.
Quinze artistes ont déjà été « intemporisés » dans des appartements, l'occupant des lieux sacrifiant ensuite une ou deux heures par jour aux visites, l'espace d'une à quatre semaines. « L'exposition n'a jamais le même style d'un appartement à l'autre, commente Bid Chiren. Le climat peut en être très feutré ou très festif, selon la personnalité de celui qui reçoit, de l'artiste et des invités.

Pluriculturel

Après une quinzaine d'expositions, le rituel est toutefois bien établi. Le vernissage – pardon, l'intemporisation – est un « événement » pluriculturel associant art plastique, littérature, poésie, musique, le tout agrémenté d'autres nourritures solides et liquides. Il arrive même qu'on y danse, parfois, après qu'un auteur a déclamé son « artexte » inspiré de l'œuvre exposée. La « Khronosic » est également en correspondance avec l'exposition, les musiciens s'inspirant opportunément de l'émotion plastique.
Le tout, fixé sur la pellicule et dans les mémoires, est enfin soigneusement consigné dans la revue « Micronos » à paraître deux mois plus tard. Car on a beau vouloir dominer le temps, on n'échappe pas au culte du souvenir.

Alain Nordet, La Nouvelle République, 28 mai 1993