Les plus anciennes vignes d'Europe se vendangent chez Claude Renault à Lerné, près de Chinon.
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À l'abri des vestiges du château de Maulévrier, à Lerné, la vigne de Claude Renault est la seule connue en France pour avoir échappé aux ravages du phylloxéra, cet insecte qui dévasta le vignoble de notre pays à partir de 1864, puis le Chinonais dans les années 1890. Les ceps, dont l'origine remonte au Moyen Âge, n'ont donc pas été arrachés. Pour eux, la qualification vieilles vignes est d'autant plus justifiée qu'on les considère comme les plus anciens d'Europe.
Le bon maître de céans n'en tire aucune gloire, mais son plaisir est visible quand il mène le visiteur à travers les rangées tendues de fil de fer par son père, en 1935. Claude Renault ne se lasse pas de caresser les pieds tourmentés, découvrant çà ou là quelque fracture qui n'empêche pourtant pas la sève de monter.
Ainsi que sa vigne séculaire, le bonhomme est courbé par les ans. Soixante-dix exactement, qu'il arbore avec le regard franc comme un cabernet dont ses yeux ont pris la couleur. Devenu star par la force des choses, habitué des caméras, il se prête très volontiers à la pose, la trogne soulignée d'un sourire gamin.
Le vigneron porte la malice des enfants de Rabelaisie. Les histouères de Maître François, c'est peu dire qu'il les connaît par cœur. Dans ce village de Lerné, dont un lointain seigneur inspira le personnage de Picrochole, on n'y échappe pas.
C'est pareil pour la boule de fort, aux confins de l'Anjou où l'on sait – contrairement aux croyances des buveurs de pastis – que la ligne droite n'est pas le plus court chemin pour toucher le « petit ». Il faut le voir, le jeu tout neuf de « La Paix » rutilant comme une piscine olympique !
Avec plus de deux cents sociétaires, la tradition est entretenue, tout comme le patrimoine dont Claude Renault a la charge en tant qu'adjoint au maire. « J'aime bien faire partager mon amour des vieilles pierres », dit-il simplement. Ici, le tuffeau des maisons a retrouvé sa luminosité des temps anciens.
Son château de Maulévrier a également de beaux restes et le viticulteur y prend garde. Mais il faut descendre dans les profondeurs de la cave voûtée à deux niveaux pour y trouver le trésor de vénérables flacons entretenus à une température constante de onze degrés. « C'est ma crypte et mon tranquillisant », commente Claude Renault, en rappelant une étude scientifique parue en 1993 sur « l'effet cardioprotecteur du vin à doses modérées »… mais pas homéopathiques.
Alain Nordet, La Nouvelle République, Octobre 1998