À sa promulgation, le 8 août 1996, le « décret buvette » avait fait couler beaucoup… d'encre et de salive. Au grand dam des défenseurs de la santé publique et de la morale du même tonneau, ce texte contournait tactiquement l'interdiction de vendre des boissons alcoolisées sur les stades. On en était au match nul, donc, avec cette possibilité d'accorder dix dérogations annuelles aux clubs sportifs pratiquant le lever de coude hors compétition. Jusqu'à ce 30 novembre, date de la disqualification du fameux décret par le Conseil d'État, pour cause de hors-jeu : c'était contraire à l'esprit de la loi Évin du 11 janvier 1991. Mais le carton rouge ne semble pas avoir semé le trouble au fond des canettes. Dans notre Touraine, en tout cas, on prend les choses avec un zeste de rabelaisienne philosophie de comptoir, chez les tenanciers des deux bords.
Victoire modeste des bistrots
Côté bistrots, pourtant à l'origine de l'offensive – puisque c'est la Fédération nationale de l’industrie hôtelière qui a saisi le Conseil d'État – on déguste avec modération ce score victorieux. Guy Blanchard, président de la branche cafetiers à la Chambre syndicale des débits de boisson, hôteliers et restaurateurs d'Indre-et-Loire, ne veut pas la mort du pécheur. Patron du Café de la Gare et amateur de rugby, il pense même que les autorités vont dégager en touche : « Ça m'étonnerait qu'il y ait une répression ». Et de plaider la tolérance : « Un verre à la mi-temps, un autre à la troisième mi-temps, mais pas plus. Parce que, lorsqu'il y a des débordements après les matchs, ce sont les cafés qui sont menacés de fermeture, pas les buvettes ! » Mais Guy Blanchard n'est pas un intégriste du petit ballon : « Au stade Tonnelé, il y a trois buvettes ; je suis le premier à y aller, ça n'empêche pas de taire travailler les cafés des alentours. » Il faut bien que tout le monde vive, car « le sport devient un peu commercial et il faut des finances, surtout dans les petits clubs, pour ne pas décourager les joueurs ». Et puis, argument massue : « C'est convivial ! » On la chérit dans les petits clubs, cette convivialité, autant par plaisir que par besoin de liquide. « La buvette, c'est notre plus gros sponsor », avoue le président de la section rugby de l'Union Sportive de Saint-Pierre-des-Corps. Et Jean-Claude Morice de préciser : « Ça couvre les frais d'arbitrage et les sorties pour les jeunes, car la subvention municipale ne finance pas toutes les dépenses ; si c'est interdit de servir à boire, on n'a plus qu'à mettre la clé sous le paillasson… »
« Nous on continue »
II n'en est pas question, évidemment, d'autant qu'il existe une parade bien connue contre la sécheresse des réglementations. C'est le club house, buvette privée réservée aux adhérents du club, aux abonnés, à leurs invités… « De toute façon, nous, on continue. » Quant au match arbitré par les juges, entre alcool et sport, Jean-Claude Morice reprend l'argument de volée : « Une centaine de personnes sur un terrain qui consomment une bière chacun, ce n'est pas le Heysel ! » Montant en première ligne, il n'hésite pas à marquer : « On tolère un tas de pratiques dans le sport pro (suivez mon regard) alors qu'on va nous chercher des poux à nous, bénévoles, qui assurons la formation des sportifs à la base. » Entre le pot belge dans les vestiaires du sport d'élite et le petit blanc au zinc des rencontres amateurs, il y a quand même une différence.
Alain Nordet, La Nouvelle République, Décembre 1998
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