« Adieux », six comédiens polyglottes dans un étonnant récit théâtral sur le thème de l'inceste. C'était mardi soir à Véretz, près de Tours.
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Dans la salle Eugène-Bizeau, si plaisamment baptisée du nom du vieil anar local, poète et vigneron mort centenaire, un silence noir, d'abord, suspend le temps et les rires d'enfants. Surgis des ténèbres, six personnages à géométrie variable vont tenter de raconter, au milieu des spectateurs, l'histoire de Gregorius, d'après « L'élu » de Thomas Mann.
Se croisent leurs récits, contradictoires souvent comme l'interprétation des rêves et des mythes. Car la malédiction de Grégoire est double. Issu des amours interdites d'un frère et d'une soeur qui l'abandonnent, il rentre au pays où il épouse celle en qui il découvrira sa mère. Né de l'inceste, il y retourne, fatalité congénitale comme celle qui mue en bourreaux les enfants martyrs devenus adultes.
Cette transposition chrétienne du mythe d'Œdipe en légende médiévale est infiniment plus terrifiante que l'originel. Ici, tout est multiplié par six fois six, chacun des comédiens interprétant à tour de rôle le récit, qui en allemand, qui en français, en hongrois ou en italien. Alternent des plages de chœurs latins ou corses, « La Cucaracha » prend le relais d'Haendel. Loin de Maastricht chante ici l'Europe séculaire et toujours diverse.
Les aléas de la relation historique et des relations hystériques s'acharnent à dérouter le spectateur, lequel, en fin de conte, comprendra qu'il n'y a « rien à comprendre. » Sauf, comme Thomas Mann, à mettre en accusation la nature elle-même, « car c'est bien elle qui opère, sous l'abri et le couvert de l'inconscience ». Le jeu de piste batifole en folles suggestions sur le tabou de l'inceste, entre évasion-émigration et auto-enfermement, toutes tentations extrêmes demeurées actuelles, n'est-ce pas ?
Cet apparent chaos est réglé par un travail collectif riche d'inventions. Il est le résultat d'une rencontre cosmopolite à l'université de Cologne, l'International théâtre ensemble, associant un comédien allemand, deux français, une hongroise, une italienne et une suisse allemande sous la direction d'un metteur en scène du cru, Christoph Falke. Qu'ils reviennent !
Alain Nordet, La Nouvelle République, 11 février 1993