
Le roi est nu. En faisant passer de force sa réforme des retraites honnie grâce au 49.3, en verrouillant le débat parlementaire grâce au 47.1, en menaçant ses propres députés, Emmanuel Macron aura, une fois de plus, usé de ses stratégies les plus abjectes afin de faire taire, par tous les moyens, l’opposition d’un peuple uni. Refusant jusqu’à la fin la possibilité d’une opposition démocratique, le fossoyeur en chef s’est évertué, depuis le camouflet reçu dans les urnes au cours des dernières élections législatives, à réprimer l’ensemble des contre-pouvoirs qui osaient se mettre en travers de son projet eschatologique ultra-libéral. L’Assemblée nationale ? « une vaste cour de récréation ». Les Républicains, qu’on ne peut pourtant pas accuser de sympathies gauchistes ? « des opportunistes », nouvel ennemi du Parti présidentiel qui n’aura eu de cesse d’exclure ses opposants du champ démocratique pour mieux les criminaliser. Et la liste continue : la rue est irresponsable, les français sont réfractaires, les syndicats sont dangereux … bref, le constat est clair : désormais ce sera Macron contre le reste de la France, seul contre tous.
Il n’est pas dit que les motions de censure transpartisanes d’ores et déjà annoncées du côté de LFI, du RN ou de LIOT puissent faire tomber le gouvernement. Il n’est pas dit que la rue puisse faire plier le gouvernement – bien que l’auteur de ces lignes le souhaite avec tout autant d’ardeur que les autres. Reste, malgré tout, un fait désormais incontestable : le régime n’est plus légitime. Macron n’a plus aucune assise, qu’elle soit populaire ou législative. Quelque chose d’encore impensable il y a 6 ans, lorsque le candidat LREM emportait une large majorité des suffrages et se présentait alors comme l’unique rempart contre les illibéraux de tous bords. Lui, l’avatar de la Vème République, l’incarnation même du monarque présidentiel, se retrouve définitivement défait. D’une certaine manière, qu’importe qu’il reste au pouvoir ou non : il ne sera désormais plus qu’un souverain fantoche, un spectre agrippé à son trône. Et, dans sa chute, il emporte avec lui un régime au-bord de l’effondrement.
Car ce qui se joue ici, ce n’est pas que l’échec d’un homme, mais aussi d’une dictature qui ne dit pas son nom. Car ce 49.3, le 100ème dans l’histoire de la Vème République, symbolise à lui tout seul les contradictions inhérentes au régime façonné par de Gaulle et ses séides : il est toujours bon de rappeler que les institutions nées en 1958 sont le fruit d’un odieux chantage tout sauf démocratique. Le Général, tacite allié des putschistes de l’Algérie française qui menacent alors d’envahir la France pour renverser la République, fait peser cette épée de Damoclès au-dessus du pays afin d’obtenir les pleins pouvoirs et, in fine, de se tailler un nouveau régime en accord avec ses convictions. Exit la démocratie parlementaire, l’équilibre entre les différents pouvoirs et contre-pouvoirs : ce sera désormais le pouvoir d’un seul homme, régnant comme bon lui semble, et à la suite son sinistre cortège d’exactions : le SAC, les massacres du nazi Papon, la censure dans les médias, la répression implacable des mouvements sociaux, la surveillance des opposants, les barbouzes, l’impunité et l’omerta. Autant de pratiques qui auront survécu au lugubre fondateur de l’anti-république : Lallement, Darmanin, Macron en sont les dignes héritiers. À l’époque, la gauche n’hésitait pas à dénoncer ce fascisme paré des habits de la démocratie. Hélas, ce « coup d’État permanent » aura vite fait de séduire les socialistes une fois arrivés au pouvoir en 1981 : difficile de brûler le siège du tyran une fois confortablement installé dedans.
Mais désormais le chantage ne tient plus. Le mouvement social pour une retraite juste et devenu de facto un mouvement démocratique de défense des libertés, rejetant en bloc la monarchie républicaine, la mafia macroniste et les pratiques autoritaires qui se fomentent dans les antichambres du pouvoir pour défaire, encore et encore, les revendications populaires. En cette période proprement ubuesque, où Néron/Macron prend sa lyre pour chanter les louanges d’un possible – et surtout inaudible – troisième mandat face à un pays à feu et à sang, un tournant commence à se dessiner. Il y aura d’un côté l’alternative : la défense des retraites aura permis de sortir les françaises et français de la résignation ambiante suite à la sanglante répression des gilets jaunes. Il a rappelé que la voix de la rue est encore capable de faire taire les magouilles de Matignon, de l’Élysée ou du Luxembourg. En somme, il réaffirme qu’il n’y a rien d’inéluctable dans la casse du service public, dans la destruction des acquis sociaux et dans la mise au pas des initiatives démocratiques. On peut légitimement espéré qu’un tel bourgeon puisse faire éclore les fleurs d’un véritable renouveau social et politique.
Ou alors ce sera la barbarie. Il n’est pas inutile de rappeler que les nations ayant sombré dans le fascisme le plus crasse ne sont pas tombées par hasard : il y a, derrière chaque Mussolini et chaque Hitler, un Salandra et un Von Papen, des croque-morts de la démocratie qui ont, au nom du parti de l’Ordre, soutenu les tyrans dans leur ascension vers le pouvoir. Macron est définitivement de cette trempe-là. Et si la situation venait à pourrir d’avantage, il se pourrait bien que l’on retienne l’actuel président comme celui qui aura aidé Le Pen à saisir le pouvoir. Mentionner une telle possibilité ne relève en rien du pessimisme : il s’agit simplement de dire la situation telle qu’elle est. Nous vivons un moment d’incertitude, une déchirure dans le voile trop longtemps immobile que tente de maintenir l’ordre établi.
Daniel Bensaïd déclarait dans Moi, La Révolution (1989) que « La révolution sans image ni majuscule reste donc nécessaire en tant qu’idée indéterminée du changement et boussole d’une volonté. Non comme modèle schéma préfabriqué, mais comme hypothèse stratégique et horizon régulateur ». En somme, les conditions sont réunies pour le meilleur ou pour le pire. Faisons en sorte que le meilleur triomphe.