La mort de Samuel Paty le 16 octobre 2020 à la sortie du collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, où il enseignait l’histoire et la géographie, a bouleversé la nation française entière. Assassiné de façon barbare par le terroriste Abdoullakh Anzorov qui a soldé son crime par le fait marquant et odieux de la décapitation, Samuel Paty laisse derrière lui une famille en deuil et une société en proie à des interrogations profondes. Parmi elles, celle de la délicate question de la liberté d’expression.
Mis en examen pour complicité d’assassinat terroriste, le nom d’Abdelhakim Sefrioui et son visage ont fait le tour de tous les médias français. Il a rapidement été présenté comme étant une figure clé[1][2][3] de l’attaque terroriste de Conflans-Sainte-Honorine. Mais quelle est l’implication réelle de cet homme dans l’affaire de la polémique survenue autour du cours de Samuel Paty ? Cette question se pose avec d’autant plus d’insistance qu’on peut avoir le sentiment que les médias ont davantage parlé de lui que du terroriste, Abdoullakh Anzorov.
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Presqu’entièrement inconnu du grand public et ignoré des médias jusque-là, Abdelhakim Sefrioui dont l’engagement militant remonte au début des années 80 s’est retrouvé très vite au cœur d’une campagne de lynchage médiatique. En passant du silence médiatique presque complet au sujet de son militantisme, à la parole la plus prolixe et parfois même diffamatoire, tout en passant par la palette complète des qualificatifs jamais explicités comme « islamiste », « salafiste », « radicalisé », « fiché S » et d’autres encore, c’est sa présomption d’innocence qui a tout de suite été déniée. Il est apparu comme le coupable idéal d’un crime auquel il n’a pourtant pas participé, et auquel il n’a jamais appelé, ni de ses vœux ni par ses actes concrets et factuellement reconstituables, ni même implicitement.
Alors que le temps du deuil et de l’hommage au défunt professeur a été dûment respecté, et alors qu’Abdelhakim Sefrioui est en prison à l’isolement depuis le 21 octobre, il paraît important de reconstituer les faits concernant son implication dans cette affaire. C’est justement le but que nous nous proposons dans cette enquête. Celle-ci a la particularité et la qualité de reposer uniquement sur le recoupement des informations disponibles dans les médias nationaux, des vidéos polémiques au cœur de l’affaire et des déclarations du procureur antiterroriste, Jean-François Ricard. Ainsi, cette enquête se veut la plus objective possible et vise à permettre d’aboutir en toute sérénité à la conclusion du bien fondé ou non de l’inculpation d’Abdelhakim Sefrioui pour complicité d’assassinat terroriste, chef d’accusation parmi les plus lourds dans notre société.
A l’attention des personnes qui n’iraient pas jusqu’au bout de la lecture, voici d’emblée le résumé de ce que le lecteur trouvera comme informations dument sourcées à la lecture de ce dossier.
L’implication d’Abdelhakim Sefrioui dans la polémique autour du cours du professeur Samuel Paty repose uniquement sur deux volets. Le premier est anodin et a consisté à accompagner le 8 octobre 2020 Brahim C., le père de la collégienne par qui la polémique est partie, à son rendez-vous auprès de la direction du collège pour exposer ses doléances relatives au cours de Samuel Paty. La direction a accepté de recevoir Abdelhakim Sefrioui en connaissance de cause et en sa qualité de membre du bureau du Conseil des imams de France. Le rendez-vous s’est déroulé normalement et a abouti à un statut quo entre la direction qui soutenait son professeur, et Brahim C. et Abdelhakim Sefrioui qui demandaient une sanction disciplinaire. La direction a cependant fait remonter l’information à l’académie qui a ouvert une enquête sur les événements décrits.
Secondement, et c’est ce qui est reproché à Abdelhakim Sefrioui, le fait d’avoir produit et publié le 11 octobre une vidéo relative à cette polémique. Une analyse détaillée de celle-ci, de ses séquences, de son contenu et des propos qui y sont tenus, montrera que celle-ci est en réalité anodine au regard du chef d’accusation de complicité d’assassinat terroriste qu’on fait peser sur l’intéressé. Cette vidéo comprend en réalité plusieurs aspects que sont : un relais de l’information, une dénonciation politique, la mise en avant de la protection de l’enfance, et enfin, un appel à l’action et à la mobilisation légales.
La suppression de la vidéo par l’intéressé par respect pour le défunt et face à la gravité de l’instant a nourri beaucoup de spéculations sur le contenu de celle-ci. Pourtant, exposé, celui-ci ne laisse apparaître aucun élément illégal, aucun appel à une quelconque forme de violence et encore moins au meurtre. Malgré les amalgames entretenus un temps par l’enquête et par les médias, jamais Abdelhakim Sefrioui n’a fait mention du nom du défunt professeur à qui que ce soit. De même, jamais il n’a été en contact d’une quelconque façon que ce soit avec le terroriste Abdoullakh Anzorov.
Par ailleurs, alors que le procureur antiterroriste a d’emblée fait état d’un mensonge supposé de la collégienne sur la réalité de sa participation au cours polémique de M. Paty, et alors que les médias tranchent déjà sur ce point, un certain nombre d’éléments probants et révélés par ces mêmes médias font état d’éléments contribuant à prouver que, outre la question de la participation de Z. à ce cours, on peut légitimement croire à la réalité d’un dispositif de ségrégation autour de la diffusion de ces caricatures, distinguant les élèves musulmans de ceux non musulmans . De même qu’il est avéré que parmi les caricatures exposées par Samuel Paty, certaines peuvent légitimement être considérées comme choquantes et à la limite de la pornographie.
Le fait d’insister sur le mensonge supposé de Z. a eu pour conséquence de délégitimer l’implication d’Abdelhakim Sefrioui dans cette affaire, et de la faire basculer dans le champ de l’irrationnalité et de la culpabilité. Pourtant, au-delà du cas de Z., c’est bien le fond et les principes qui motivaient l’engagement d’Abdelhakim Sefrioui. De même, malgré une insistance apportée peu après la mort de Samuel Paty sur le fait que celui-ci a été absolument et indéfectiblement soutenu par l’institution au sujet de la polémique, il est pourtant bien établi qu’il a fait l’objet d’un rappel sur les règles de laïcité et de neutralité.
En outre, il apparaît désormais clairement que la contestation de Brahim C., et d’Abdelhakim Sefrioui à sa suite, est complètement indépendante de l’acte terroriste d’Anzorov, qui est le seul à avoir fomenté son crime et à l’avoir commis. Ceci avec le concours de possibles complices qu’il est à la charge de l’enquête judiciaire d’identifier. Anzorov s’est servi de façon opportuniste de l’information de cette polémique pour accomplir son crime dont Abdelhakim Sefrioui ne pouvait nullement avoir connaissance ou bien même imaginer.
Pourtant, plusieurs éléments objectifs qu’il convient d’analyser avec grand soin font état du fait que les services de renseignements étaient techniquement en mesure d’identifier la menace déjà constituée que représentait Anzorov, lui dont la radicalisation et la volonté de tuer s’est opérée nettement en amont du début de la polémique autour du cours de M. Paty. Des agents des services de renseignements admettent d’ailleurs d’ores et déjà des ratés très regrettables qui auraient dû être évités pour permettre que Paty soit protégé de la menace que constituait Anzorov.
Ces mêmes services de renseignement ont eu connaissance très tôt de l’implication d’Abdelhakim Sefrioui dans la polémique sur le cours de M. Paty. Déjà très surveillé pour son militantisme de longue date, Abdelhakim Sefrioui faisait ici encore l’objet d’une attention particulière. Une note du renseignement territorial des Yvelines parue le 12 octobre et transmise dans la foulée à la DGSI fait clairement état du fait que son implication et ses composantes n’ont aucunement été identifiées comme une menace. Pourtant, à l’issue de l’assassinat de Samuel Paty, Abdelhakim Sefrioui sera désigné comme le bouc émissaire parfait d’une affaire où le terroriste est mort et ne peut plus répondre de ses actes.
Entre la reconnaissance officielle de la défaillance du renseignement et l’embrigadement d’Abdelhakim Sefrioui dans la spirale judiciaire et médiatique, le choix a rapidement été fait. Un choix que chacun est libre d’apprécier. Un choix qui a d’une façon ou d’une autre permis de fournir à la nation secouée par le drame la figure d’un coupable désigné sur qui projeter son effroi et sa colère.
Voici à présent le développement détaillé de ces grandes lignes.
Le rendez-vous avec la direction du collège du Bois d’Aulne
Dans ce dossier, l’implication d’Abdelhakim Sefrioui se résume à deux volets factuels. D’une part, l’accompagnement de Brahim C., le père de la collégienne par qui la polémique est partie, à son rendez-vous du 8 octobre avec la direction du collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, et d’autre part, la réalisation et la publication d’une vidéo à caractère informatif et militant, publiée sur YouTube le 11 octobre 2020.
Bien que ce volet ne constitue absolument pas un fait reproché à Abdelhakim Sefrioui dans l’enquête, et qu’il ne revêt aucun caractère criminel, les médias en ayant abondamment fait mention, il est important de le reconstituer et de le circonstancier.
Le 7 octobre 2020, Abdelhakim Sefrioui prend connaissance du témoignage de Brahim C., qui relate que sa fille, collégienne de 4ème dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine, a subi un incident dans le cadre de son cours d’histoire. Ce message a été diffusé par le biais de plusieurs réseaux sociaux, Facebook, Whatsapp et par SMS. Voici le message en question, tiré d’une publication sur le compte Facebook de Brahim C. :
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Prenant connaissance du message (très certainement par Whatsapp ou par SMS), Abdelhakim Sefrioui décide d’appeler Brahim C. pour vérifier l’information. Celui-ci lui confirme que ce message provient bien de lui et confirme le récit du message. Manifestant son intention de rencontrer la direction du collège pour demander des explications quant à cet incident, Abdelhakim Sefrioui propose de l’accompagner pour ce faire.
Ils se donnent donc rendez-vous le lendemain matin, soit le jeudi 8 octobre, devant le collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine. En ce qui concerne cette rencontre avec la direction de l’établissement, celle-ci constitue la seule venue d’Abdelhakim Sefrioui sur place à Conflans-Sainte-Honorine, contrairement à ce qui a été insinué dans certains articles[4]. Il fait lui-même mention de ce rendez-vous, à deux reprises, dans sa vidéo publiée le 11 octobre.
Dans la première séquence de sa vidéo, il filme la porte d’entrée de l’établissement en disant (et c’est l’entièreté de cette séquence vidéo) :
« Assalamou ‘alaykoum. Nous sommes devant le collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, là où l’abject a encore eu lieu. Nous avons assisté cette semaine à tout simplement, la réponse d’un voyou qui est enseignant à cet appel de Monsieur le Président de la République à haïr les musulmans, à combattre les musulmans, à stigmatiser les musulmans (discours sur le projet de loi contre les séparatismes, NDLR). Ça fait 45 minutes que nous sommes en train d’attendre ici dans le froid, parce que la principale, soi-disant, est en réunion. Ils ne nous ont même pas permis d’entrer dans le hall. En tout cas, ça fait 45 minutes. »
Dans l’autre séquence de sa vidéo, où il s’exprime face caméra, en un jour ultérieur et en un lieu autre que Conflans-Sainte-Honorine, il dit (et c’est le début de cette autre séquence vidéo) :
« Nous étions partis, avec Ibrahim le père de la petite Z., et moi au nom du Conseil des imams de France, voir l’administration du collège. Donc comme j’avais dit devant le collège, il y avait déjà un manque de respect à la base de nous laisser attendre pendant une heure dans le froid et le vent. Une fois qu’on a été admis à l’intérieur, on a expliqué la gravité de la chose. Mais ça n’avait pas l’air de choquer autrement la principale ni la CPE. Apparemment, elles étaient au courant. Et que ça se faisait depuis 5-6 ans. Ça fait 5-6 ans que des enfants de 12-13 ans, des musulmans, sont choqués, sont agressés, sont humiliés devant leurs camarades. Parce que c’est ce qu’ils nous ont dit, ceux avec qui on a parlé (les élèves, NDLR). Et ça ne pose aucun problème.
Donc on a exprimé notre désaccord et notre, je veux dire, stupéfaction de savoir que l’administration pouvait savoir ça et le tolérer. D’ailleurs, on nous a dit même que c’était sur le site du programme de l’école. Donc on lui a fait savoir une chose, c’est que nous, Conseil des imams de France, et les musulmans en France refusent catégoriquement ce genre de comportements irresponsables et agressifs et qui ne respectent pas le droit de ces enfants à avoir, à garder leur intégrité psychologique. Donc on exige, on a dit qu’on exigeait la suspension immédiate de ce voyou, parce que ce n’était pas un enseignant, un enseignant c’est autre chose, c’est une fonction qui a beaucoup de noblesse. D’ailleurs, c’est le cas d’une bonne partie des enseignants qui respectent leur travail, qui respectent la finalité de leur travail.
Seulement à la fin de notre entretien, on a compris qu’il n’allait rien y avoir de la part de l’établissement. On nous a fait savoir ça. Mais elle nous a fait savoir qu’elle allait remonter l’information. »
Il est donc fait mention par l’intéressé d’un rendez-vous qui a abouti sur un statu quo et des positions qui n’ont pas convergées. Brahim C. et Abdelhakim Sefrioui réclamant de leur côté une sanction disciplinaire, et la direction restant insensible à cette demande et soutenant son professeur. Néanmoins, la direction a bel et bien fait remonter l’information, de telle sorte que Brahim C. finira plus tard dans la journée de ce 8 octobre par être contacté par l’inspection académique[5].
Dans des extraits de son audition publiés par Le Parisien[6], Brahim C. dit au sujet de cette rencontre avec la direction : « Elle nous a parlé de la liberté d’expression. Je lui ai répondu que la liberté d’expression n’était pas de séparer les élèves ». Il ajoute : « La direction est restée floue, elle n’a pas parlé du cours d’histoire […] Elle m’a dit que ma fille était souvent en retard, insolente. Je lui ai répondu que je n’étais pas au courant. Que deux jours, si elle était insolente, ce n’était pas assez. »
Il est à noter que cette rencontre avec la direction n’a fait l’objet d’aucun incident. Abdelhakim Sefrioui s’y est présenté en sa qualité de membre du bureau du Conseil des imams de France. Malgré ce qui a été rapporté dans certains médias, Abdelhakim Sefrioui ne s’est pas présenté comme étant « responsable des imams de France », mais bien en tant que membre du bureau d’une association qui se nomme Conseil des imams de France. La direction a donc accepté de le recevoir en connaissance de cause.
Malgré la divergence de points de vue, le rendez-vous s’est terminé tout à fait normalement. La proviseure n’a pas porté plainte pour ce qui n’était qu’une rencontre normale. A part quelques jugements de valeur véhiculés dans certains articles[7] sur la virulence prêtée à Brahim C. et Abdelhakim Sefrioui dans l’expression de leur demande de sanction disciplinaire, ce rendez-vous est anodin du point de vue de son déroulement. Huit jours s’écouleront d’ailleurs entre ce rendez-vous et l’attentat du terroriste Anzorov sans que ce rendez-vous n’ait donné lieu à une quelconque suite autre que l’intervention de l’inspection académique, dans la lignée de ce que la direction s’était engagée auprès des deux hommes, à faire remonter l’information.
Il faut enfin souligner que la teneur du rendez-vous et des échanges avec la direction du collège a dû, de toute évidence, laisser penser à Abdelhakim Sefrioui que les faits décrits par Brahim C. et sa fille Z. semblaient crédibles et corroborés. De telle sorte que quelques jours plus tard, il publiera une vidéo sur la question de ce cours polémique.
La vidéo publiée par Abdelhakim Sefrioui
Le second volet de l’implication d’Abdelhakim Sefrioui est celui de sa vidéo parue le 11 octobre 2020 sur YouTube, aux alentours de 23H50. Celle-ci sera retirée par l’intéressé le soir du 16 octobre, à la suite du drame, et par respect pour la victime ainsi que face à la gravité de l’instant.
Il est à noter que cette suppression de la vidéo a été en défaveur d’Abdelhakim Sefrioui, car beaucoup de spéculations ont été produites à son sujet. Certains ont mêlé à celle-ci un vocabulaire mythologique, la qualifiant de « fatwa », notion complètement hors de propos pour ce qui ne consistait qu’en l’expression d’une opinion et le simple relais d’une information. Ces termes ont néanmoins été employés à dessein, voulant sous-entendre par « fatwa » la notion diffamatoire de peine de mort. C’est notamment et étonnamment le cas d’un des plus hauts représentants de l’Etat, en la personne du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui dit au sujet de Brahim C. et d’Abdelhakim Sefrioui : « ils ont manifestement lancé une fatwa contre ce professeur »[8].
De tels propos impliquent directement deux affirmations : l’une selon laquelle ces deux hommes auraient sciemment entrepris cette protestation dans le but de parvenir au résultat de l’assassinat du professeur Samuel Paty. L’autre selon laquelle le contenu de leur implication dans ce dossier est de nature illicite et constitue un appel concret, un moyen avéré permettant l’atteinte de ce résultat. A ce stade de l’enquête et au moment très prématuré où furent prononcé de tels propos, ceux-ci constituent explicitement un bafouement de la présomption d’innocence, dès lors que nulle réserve n’a modéré ces propos. De même que les propos du Président de la République Emmanuel Macron, lors de sa déclaration du 20 octobre 2020 depuis la préfecture de Bobigny, annonçant la dissolution du Collectif Cheikh Yassine, selon lui « directement impliqué dans l’attentat »[9]. De telles déclarations remettent directement en cause, outre la présomption d’innocence, la question tout aussi importante, si ce n’est plus encore, de la séparation des pouvoirs. De même que cette dissolution survenue dans des conditions où l’intéressé Abdelhakim Sefrioui se trouve privé de parole en détention, constitue là aussi une atteinte très franche à la présomption d’innocence. Il est par ailleurs intéressant de souligner que celui-ci ne s’était exprimé à aucun moment dans la polémique sous l’étiquette du Collectif Cheikh Yassine.
Quoi qu’il en soit, cette vidéo publiée par Abdelhakim Sefrioui, d’une durée de 10 minutes et 9 secondes, se compose de quatre séquences distinctes.
- La première, déjà évoquée avant, consiste en une prise de vue de la porte d’entrée du collège du Bois d’Aulne, dans les moments qui ont précédé le rendez-vous avec la direction du collège. Cette séquence courte dure environ 40 secondes.
- La seconde, d’une durée d’environ 1 minute et 48 secondes consiste en le témoignage de la collégienne Z., filmée de telle sorte à ce que l’on ne voit pas son visage. Elle relate sa version de la séquence polémique du cours de M. Paty. Elle y fait également part de son sentiment de discrimination suscité par ces événements.
- La troisième séquence, d’une durée de 2 minutes et 23 secondes consiste en la reprise d’une vidéo de Brahim C., telle qu’il l’a diffusée la première fois sur son compte Facebook le 8 octobre. Dans cette vidéo, s’exprimant calmement, il fait simplement état de sa version des faits et de ses sentiments désabusés et blessés quant à la situation. Il ne fait aucunement mention du nom de M. Paty. Il appelle les gens à le contacter, dans une démarche qui semble consister en une recherche d’entraide autour du problème qu’il rencontre. Il s’adresse d’ailleurs spécifiquement aux autres parents d’élèves en toute fin de vidéo.
- La quatrième et dernière séquence, elle aussi déjà évoquée, dure environ 4 minutes. Celle-ci a été reprise par les médias et abondamment relayée sur les réseaux sociaux[10] mais de manière partielle et amputée. Dans la version de cette séquence relayée sur les réseaux sociaux, seules 2 minutes et 20 secondes de l’intervention sont présentes. Ceci ne semble pas anodin, le reste de la séquence permettait de réinscrire cette intervention dans une unité de sens plus large. Celle de la dénonciation de l’islamophobie ambiante et de la thématique des droits de l’enfance et des violences psychologiques que représentent pour les enfants de tels contenus et de tels dispositifs de différenciation des élèves musulmans de ceux qui ne le sont pas.
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En termes de contenu, la vidéo de M. Sefrioui comporte plusieurs aspects :
- Un aspect de relais de l’information:
Celui du témoignage de cette collégienne Z., et celui de son père Brahim C. Indépendamment de la question de la véracité des faits exposés par Z. et son père, question que doit déterminer l’enquête en cours, il s’agit bel et bien d’un simple recueil et relais d’une information, d’un témoignage sur des faits. De même que lorsqu’Abdelhakim Sefrioui expose son résumé de la rencontre avec la direction du collège, il partage au public une information. On observera que l’ensemble de ces propos ne contiennent nul appel au meurtre.
- Un aspect de dénonciation politique :
Dans la première séquence de la vidéo, Abdelhakim Sefrioui exprime le lien qu’il établit entre la polémique autour du cours de M. Paty et le contexte politique national. En particulier, celui tout récent du discours d’Emmanuel Macron sur la lutte contre les séparatismes, prononcé aux Mureaux le 2 octobre 2020[11]. Ce discours avait suscité un vif émoi au sein de la communauté musulmane. De nombreuses personnes et analyses s’inquiétaient des amalgames qui y étaient entretenus et des dérives auxquelles ce discours et les mesures qu’ils visent pouvaient aboutir. Ces craintes émanaient aussi bien de la France que d’observateurs étrangers. Elles n’ont fait que se renforcer à la suite des mesures répressives et discriminatoires prises par le gouvernement en réponse aux attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice.
Or, au vu de la façon dont le Président à gérer sa communication sur la question de l’islam ces dernières semaines, et de la façon dont on constate qu’il semble ne pas avoir apprécié que sa politique soit décrite en certains termes[12], on peut penser qu’il a pris le dossier de Conflans-Sainte-Honorine et les déclarations d’Abdelhakim Sefrioui le visant particulièrement à cœur. Raison probable qui l’a conduit à tenir des propos pour le moins précipités, évoquant une « implication directe » d’Abdelhakim Sefrioui dans l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, remettant en cause, au même titre que son ministre de l'Intérieur, la présomption d’innocence.
De même, le point d’entrée d’Abdelhakim Sefrioui dans cette protestation initiée par Brahim C. ne consiste pas tant en la diffusion des caricatures par M. Paty qu’en son dispositif décrit par Z. et son père de séparation des élèves musulmans de ceux non musulmans. Pour lui, ce dispositif venait renforcer l’effet intrinsèquement stigmatisant de ces caricatures et venait consacrer l’idée qu’elles ne servaient dès lors raisonnablement plus de support crédible et raisonnable à la promotion de la liberté d’expression, mais à la stigmatisation et la différenciation des individus. En protestant contre cette diffusion et le dispositif de ségrégation qui lui a été décrit, il protestait à sa façon contre le dévoiement de la laïcité. Dans cette lignée, c’est aussi le droit à la dénonciation de ce qu’il percevait être une manifestation de différenciation et de stigmatisation des élèves musulmans, et donc de ce qu’on peut qualifier d’islamophobie, qu’il exerçait. On observera sur ce plan aussi que ces propos ne contiennent nul appel au meurtre ou à la violence.
- Un aspect de mise en avant de la protection de l’enfance :
Dans la séquence relayée sur les réseaux sociaux et dans les médias, c’est essentiellement cette mise en avant de la protection de l’enfance mise en avant par Abdelhakim Sefrioui qui est absente. Dans cette partie manquante, il dénonçait ce qu’il estimait être une « violation des droits de l’enfance » et une « violence psychologique » infligée à ces enfants par la diffusion d’images à caractère quasi pornographique, ainsi que par le dispositif de ségrégation supposément mis en œuvre autour de cette diffusion. En conséquence, il en appelait les parents d’élèves en général à être « très vigilants » à ce que leurs enfants ne fassent pas l’objet de pareilles violences. On observera ici encore une fois que ces propos ne contiennent aucun appel au meurtre.
- Un aspect d’appel à l’action et à la mobilisation légales :
Le cœur du sujet et de la mise en accusation d’Abdelhakim Sefrioui semble consister en sa recherche prétendue de l’action terroriste perpétrée par Anzorov. Quels éléments précis peuvent justifier une telle accusation ? Quels appels contient donc le discours d’Abdelhakim Sefrioui dans cette vidéo ? L’appel à l’action d’Abdelhakim Sefrioui contient en vérité deux volets.
Un premier volet, qu’il a lui-même mis en œuvre et qui s’est spontanément achevé en allant à la rencontre de la direction du collège pour discuter du problème et exiger les sanctions qu’il estimait s’imposer. Comme nous l’avons déjà évoqué, ce fait ne pose pas de problème dans le dossier.
Un second volet, exprimé dans des termes conditionnels, concernait l’organisation possible de rassemblements. Il dit à ce sujet : « nous sommes partis de là-bas (du rendez-vous avec la direction, NDLR) avec la ferme intention de mobiliser pour une action devant l’établissement et devant l’inspection académique. » Cet habitué des rassemblements déclarés en préfecture voyait là un moyen d’exprimer la contestation et d’obtenir gain de cause. Ce mode de revendication est prévu et garanti par la loi, et fait de surcroît partie de la culture nationale française. Par ailleurs, quelques jours avant le drame, s’entretenant avec un proche au sujet de l’éventualité d’un rassemblement devant l’établissement, Abdelhakim Sefrioui convenait que celui-ci ne pouvait quoi qu’il arrive avoir lieu qu’un jour de fermeture du collège, uniquement pour marquer la symbolique et ne pas troubler la vie scolaire. De même qu’il avait évoqué avec d’autres, l’idée alternative d’organiser un repas amical ouvert à tous dans la ville de Conflans-Sainte-Honorine, afin de faire montre du vrai visage de l’islam dont il estimait que le cours de M. Paty contribuait à le déformer et le stigmatiser.
Enfin, dernièrement, il a appelé les parents d’élèves à être « vigilants » quant à la possibilité que de telles situations supposées n’arrivent à leurs enfants. Aussi scandaleuse que puisse paraître à certains l’expression d’une revendication en la matière par un musulman, il s’agit pourtant de la libre expression d’une opinion, garantie par la loi. De surcroît, Abdelhakim Sefrioui a enseigné au sein de l’Education nationale durant plus de dix ans, il possède donc à minima la légitimité de tout un chacun pour exprimer une opinion en la matière.
Ainsi donc, l’action d’Abdelhakim Sefrioui, celle achevée et celle envisagée, n’a consisté qu’en des éléments parfaitement légaux, tant sur le plan des termes choisis que des intentions claires qu’ils véhiculent. Intentions pouvant être corroborées par l’action passée d’Abdelhakim Sefrioui, qui s’est toujours inscrite dans la légalité, en dépit de la révision de l’ensemble de son œuvre à la lumière d’un crime horrible que seul Anzorov a projeté et commis.
- L’aspect polémique de l’usage du terme « voyou » :
Au vu du drame indescriptible vécu par Samuel Paty et le deuil auquel doit faire face sa famille, le terme « voyou », employé à plusieurs reprises par Abdelhakim Sefrioui dans sa vidéo, sonne comme une offense grave. Ceci est parfaitement compréhensible. Certaines circonstances tragiques ne peuvent que faire saisir la pertinence de l’économie manquée de certains mots superflus. Ce terme de voyou en fait assurément partie dans cette situation dramatique. Pourtant, quel que soit l’angle selon lequel on se place, le terme « voyou » n’est rien d’autre qu’une banale injure figurant au plus bas niveau des insultes. Ce terme ne contient pas d’appel au meurtre ou à la violence. Affirmer le contraire est une simple pétition de principe. C’est par ailleurs incompatible avec la prise en considération du reste des mots employés dans sa vidéo. De même que ceci est incompatible avec la nature et le vécu d’Abdelhakim Sefrioui, qui n’a jamais été poursuivi pour le moindre fait de violence.
Ainsi donc, il faut s’extraire d’une relecture de l’histoire à posteriori, pour réinscrire les termes dans leur contexte d’énonciation. Celui-ci consiste simplement en la vision qu’Abdelhakim Sefrioui s’était faite d’un homme qui avait montré à des élèves une caricature particulièrement obscène, en mettant de surcroît en place un dispositif supposé de ségrégation entre les élèves musulmans et ceux qui ne le sont pas. Abdelhakim Sefrioui utilisait donc ce terme « voyou » pour décrire une personne dont il estimait qu’il avait dévoyé sa mission de professeur en choquant et blessant des élèves. En tout cas, le terme ne comporte pas une charge d’appel à la violence, encore moins à l’assassinat barbare qu’a perpétré de son propre chef le terroriste Anzorov.
Ultimement, il faut rappeler que jamais Abdelhakim Sefrioui n’a fait mention -d’une quelconque façon que ce soit- du nom du défunt professeur Samuel Paty. Il n’a jamais donné à sa contestation une dimension autre que celle politique. De nombreux amalgames ont été fait dans les médias à ce sujet, associant la situation d’Abdelhakim Sefrioui à celle de Brahim C., lequel a commis la malencontreuse maladresse de divulguer le nom de M. Paty. Ce dernier semble l’avoir fait pour permettre aux gens qui voudraient exprimer leur mécontentement auprès des institutions compétentes de circonstancier les faits. Lors de son audition il s’en explique ainsi : « je voulais qu’ils [les gens] puissent vérifier la véracité des faits. Je voulais que les gens puissent écrire au collège. »[13] Pour sa part, Abdelhakim Sefrioui a élevé le propos au niveau des principes. Pour cette raison, il n’a pas visé personnellement monsieur Paty.
En tout état de cause, et au vu des méthodes étranges auxquelles a dû avoir recours le terroriste en enrôlant malgré eux des collégiens dans ce drame, il ne semblait pas avoir besoin de cette information pour perpétrer son crime. Le procureur Ricard a lui-même déclaré dans sa conférence du 21 octobre : « L'enquête a établi que si l'auteur des faits bénéficiait du patronyme de l'enseignant, du nom et de la localisation du collège, en revanche il ne disposait pas des moyens lui permettant de l'identifier. Or cette identification n'a été rendue possible que grâce à l'intervention de collégiens du même établissement. »[14]
Par ailleurs, dans cette conférence de presse, le procureur Ricard fait mention de manière assez floue de la façon dont Brahim C. a divulgué publiquement le nom de M. Paty. On pense comprendre au travers de ses propos qu’une deuxième vidéo a été produite par Brahim C. et dans laquelle serait fait mention le nom de M. Paty. Ceci, puisque sa première vidéo du 8 octobre, celle réutilisée par Abdelhakim Sefrioui dans sa propre vidéo, ne faisait pas du tout mention de cette information. Cependant, il ne semble pas y avoir de trace de cette possible seconde vidéo sur la page Facebook de Brahim C., ni sur YouTube. Peut-être a-t-elle été supprimée ultérieurement. Outre le support vidéo, il est également fait mention par le procureur de messages écrits sur les réseaux sociaux par Brahim C. contenant cette information.
Quoi qu’il en soit, Abdelhakim Sefrioui n’a jamais relayé le nom du professeur Paty et n’avait pas connaissance de sa divulgation publique par Brahim C., lequel a d’ailleurs rapidement retiré les messages concernés, comme le décrit le procureur Ricard dans sa conférence de presse. Ceci, notamment et de toute évidence, sur le conseil d’individus interagissant avec Brahim C. sur les réseaux sociaux pour lui signifier le caractère dangereux de cette divulgation, qu’il n’avait pas considéré de prime abord.
Cet élément est absolument crucial, compte tenu du fait que le procureur Ricard dans sa conférence de presse du 21 octobre donne comme cause principale et palpable de la mise en cause de Brahim C. et d’Abdelhakim Sefrioui le fait que « le professeur a été nommément désigné comme une cible sur les réseaux sociaux par les deux hommes, au moyen de manœuvres et d'une réinterprétation des faits. » Or, « nommer » signifie donner précisément le nom de quelqu’un. Il est clairement établi qu’Abdelhakim Sefrioui ne l’a pas fait, au-delà même du fait qu’intrinsèquement, sa démarche ne prenait pas ce professeur comme interlocuteur.
De même, contrairement à l’amalgame là aussi entretenu par les médias, jamais Abdelhakim Sefrioui n’a été en contact avec ce terroriste. Son numéro étant public et largement disponible, cela aurait néanmoins pu être le cas, de façon anodine, sans que cela n’établisse la moindre responsabilité. Ce sont là des faits importants à rappeler et que résume bien Me Antoine Alexiev, l’avocat d’Abdelhakim Sefrioui en disant : « Mon client n’a aucune idée de ce qui allait se passer, il n’y a eu aucun contact entre lui et le terroriste présumé, rien ne dit même qu’Anzorov ait vu sa vidéo »[15].
Il est enfin intéressant de noter que lors de sa conférence de presse du 21 octobre sur les avancées de l’enquête, Jean-François Ricard fera mention d’un élément qui n’est pas anodin. Ceci, en conclusion, méthodiquement après avoir brossé le tableau des éléments concernant Abdelhakim Sefrioui et Brahim C. En effet, il a fait mention de « trois communications entre le 9 et le 11 septembre de différents organes médiatiques d'Al Qaida ou de sa branche yéménite », en rapport avec la publication des caricatures et appelant à « la conduite d'actes terroristes en France » et « au meurtre de ceux qui avaient été à l'origine de la diffusion de ces dessins. »[16] La volonté de rapprochement entre des productions médiatiques de groupes terroristes et l’usage de la simple liberté d’expression de citoyens français est forcée, mais suffisamment grave pour être soulignée ici.
Cette tentative de rapprochement repose par ailleurs manifestement sur le présupposé implicite que les musulmans sont censés être informés de l’actualité de l’internationale terroriste. En citant cet élément d’information que la quasi-totalité des musulmans, en particulier ceux français, ignorent, le procureur antiterroriste a contribué à instiguer l’idée bafouant la présomption d’innocence que la protestation de Brahim C. et d’Abdelhakim Sefrioui, plutôt que de consister en l’usage par des citoyens de la liberté d’expression et d’opinion, consistait en une réponse à l’appel d’un groupe terroriste étranger et une allégeance faite à celui-ci. Cet amalgame est dangereux et par la façon subtile dont il est instigué, il est susceptible d’être employé à l’égard de l’activité légale de tout musulman.
Z., la collégienne à l’origine de la polémique a-t-elle menti ?
Très rapidement après le drame, Jean-Francois Ricard, le procureur antiterroriste et les médias dans sa foulée ont décrété que Z., la collégienne à l’origine de la polémique avait en réalité menti. Celle-ci n’aurait en fait pas participé au cours de M. Paty où furent montré les caricatures. Les médias ont beaucoup insisté sur ce point, provoquant un décentrement très net de la question du fond de l’affaire vers celui de la crédibilité de celle qui l’avait mise au jour.
La question importante n’était dès lors plus de savoir si la démarche pédagogique de montrer ces caricatures et ce dispositif supposé de ségrégation entre les élèves musulmans et les autres étaient bien fondés et conformes au droit. L’enjeu était devenu celui de savoir si Z. était une menteuse. Si tel était le cas, alors le fond du dossier ne devait plus avoir d’importance. A cette question, Jean-Francois Ricard et les médias ont déjà trouvé une réponse définitive.
Pourtant, l’avocat de Brahim C., Me Nabil El Ouchikli affirme qu’il existe « des éléments permettant d’accréditer avec certitude un incident lié à la séparation des élèves musulmans des non musulmans, le lundi 5 octobre »[17], jour où la présence de Z. au cours de M. Paty ne fait pas de doute. Pour éclaircir cette question de la présence de Z. à ce cours et du contenu précis de celui-ci, Me El Ouchikli a fait demander l’audition de tous les élèves de la classe concernée.
Par ailleurs, que Z. ait été présente ou non, question que l’enquête finira par éclaircir définitivement, la réalité d’un certain dispositif établissant une séparation entre les élèves, et rendant le contenu du cours non inclusif est établie par plusieurs éléments probants.
Tout d’abord, il y a la déposition du défunt M. Paty. En effet, à la suite du dépôt de plainte de M. Brahim C. et de sa fille Z., M. Paty fut auditionné au sujet de cette plainte et fut amené à lui-même déposer plainte pour diffamation. Dans sa déposition, il déclara la chose suivante : « J’avais proposé à mes élèves de détourner le regard quelques secondes s’ils pensaient être choqués pour une raison ou pour une autre. A aucun moment je n’ai déclaré aux élèves : “Les musulmans, vous pouvez sortir car vous allez être choqués.” Et je n’ai pas demandé aux élèves quels étaient ceux qui étaient de confession musulmane. »[18] Ainsi, s’il nie avoir identifié les élèves musulmans et leur avoir proposé de sortir de classe, M. Paty reconnait tacitement que le contenu qu’il avait diffusé pouvait être choquant pour les enfants, et qu’il le savait à l’avance. De plus, s’il nie avoir établi une distinction entre les élèves musulmans et ceux qui ne le sont pas, on peut en toute vraisemblance penser que ceux qui étaient le plus à même d’être choqués par cette caricature étaient les élèves musulmans, qui devaient passer par la difficile expérience de voir leur prophète nu, dans une position dégradante et obscène. A moins que M. Paty envisageait la possibilité du choc visuel uniquement en rapport avec la question de la nudité, qui plus est présentée dans un contexte quasi pornographique.
Outre l’aveu de M. Paty de ce dispositif présenté ci-dessus et qui est en soi questionnable et critiquable, d’autres éléments permettent d’accréditer la réalité d’un dispositif ségrégationniste entre élèves musulmans et ceux non musulmans. Plusieurs témoignages d’élèves du collège du Bois d’Aulne recueillis par la presse relatent la proposition que M. Paty aurait faite aux élèves qui pouvaient être choqués de sortir de la classe le temps de la diffusion des caricatures.
Parmi ces témoignages, il y en a un apparu très tôt, le soir même du drame. Celui de Nordine C., le parent d’un élève qui selon toute vraisemblance, avait pour professeur M. Paty et qui a participé au cours lors duquel furent montrées les caricatures. Ce parent dit face caméra : « La polémique qu’il y a eu comme quoi il aurait fait sortir les enfants musulmans, mon fils m’a dit que c’était juste pour les préserver, c’était par pure gentillesse, parce qu’il devait montrer une caricature du prophète de l’islam. Il a tout simplement dit aux élèves musulmans : « sortez j’ai pas envie que ça vous fasse mal au cœur. » C’est ce que mon fils m’a dit. Ils sont sortis et puis voilà. Quand il a fait sortir les élèves musulmans c’était pas pour discriminer qui que ce soit. C’était vraiment pour les préserver. »[19]
Il y a également le témoignage de Ludérick, élève de M. Paty, relaté par Libération : « Il a proposé aux élèves musulmans de sortir de la classe et il nous a montré une image de Mahomet nu. Il a expliqué que c’était une caricature. Après, les élèves sont revenus et voulaient savoir mais sur le moment, on n’a rien dit et on a repris les cours comme si de rien n’était. »[20]
Il y a aussi la déclaration de Pape Bryam, ce collégien du Bois d’Aulne qui a impressionné les internautes par son expression pleine de maturité. Dans des propos exprimés face caméra[21] et repris par Paris Match, il déclare : « Il a proposé aux élèves (musulmans, qui auraient pu être choqué par les caricatures, Ndlr) de sortir, raconte le garçon. Eux ils ont décidé de ne pas sortir. Il aurait très bien pu mettre la caricature et voilà. Au contraire, il a quand-même une bienveillance, juge-t-il. Il a dit :"Je vous propose de sortir car ça peut vous choquer, vous marquer" »[22].
Quelques autres témoignages recueillis par la presse relatent des éléments assez similaires, notamment de la part d’élèves ayant eu M. Paty pour professeur dans les années passées, celui-ci présentant ces caricatures depuis plusieurs années. Mais surtout, il y a comme élément corroborant la réalité de ce dispositif ségrégationniste la fameuse note du renseignement territorial des Yvelines datée du 12 octobre et révélée d’abord dans le journal Libération.
Entre autres éléments intéressants, celle-ci fait état de deux informations importantes. Tout d’abord, le témoignage d’une accompagnante d’un élève en situation de handicap présente dans la classe. D’après BFMTV qui a aussi eu accès à cette note, cette accompagnante confirme la réalité du fait que « l'enseignant avait alors proposé aux élèves qui auraient pu se sentir offensés par cette image de "fermer les yeux ou de sortir de la classe quelques secondes" », tout en précisant que M. Paty « avait demandé au préalable s'il y avait des élèves de confession musulmane dans la classe. »[23] Libération ajoute le détail que ces enfants qui pouvaient sortir de la classe le feraient « en présence d’une auxiliaire de vie scolaire »[24]. Ainsi, en tout état de cause, cette note du renseignement territorial conclut à la véracité de ces éléments.
Deuxième élément important que révèle cette note, le cas d’une parente d’élève qui « contacte alors la principale du collège en pleurs, rapportant que sa fille avait été mise à l'écart dans le couloir sous prétexte qu'elle était musulmane, et qu'elle vivait cette situation "comme une discrimination". » Cette information nous rappelle que si Brahim C. est le seul à s’être exprimé publiquement sur la situation de ce cours polémique, plusieurs autres parents s’étaient indignés de la situation auprès de la direction de l’établissement.
Ainsi donc, en conclusion sur ce point, que la collégienne Z. à l’origine de la polémique ait été présente ou non à ce cours, qu’elle ait menti ou dit la vérité, les éléments déjà disponibles, en amont de l’éclaircissement par l’enquête sa situation personnelle, permettent d’affirmer plusieurs choses :
- Paty a bien diffusé dans son cours des caricatures de Mahomet. Parmi ces caricatures, il est établi qu’il a bien diffusé la caricature de la dessinatrice Coco parue la première fois en 2012 et présentant un homme nu, à quatre pattes, dans une position particulièrement obscène et dégradante, les parties intimes visibles et l’anus recouvert d’une étoile jaune. Cette caricature a d’ailleurs été qualifiée par beaucoup comme étant quasi pornographique. C’est le cas notamment de l’ancien ministre de l’Education nationale Luc Ferry[25]. De même, on peut très bien imaginer que c’est l’officier de police en charge de recueillir la plainte de Brahim C. qui a décidé de faire entrer celle-ci dans la catégorie « diffusion d’images pornographiques », ceci au vu de la description faite des caricatures par la collégienne.
- Le défunt M. Paty savait à priori que la diffusion de ces caricatures pouvait choquer. C’est la raison pour laquelle, sans reconnaître avoir procédé à l’identification des élèves musulmans, ni reconnaitre le fait qu’il leur ait proposé de sortir, il a reconnu avoir pris une mesure de précaution pour palier à l’atteinte qu’il savait probable à la sensibilité de certains élèves, en toute logique, probablement ceux musulmans.
- Cette mesure de précaution, outre la description minimaliste et non discriminatoire que M. Paty en a lui-même donnée lors de son audition à la police, a été décrite par plusieurs sources concordantes comme ayant consisté en l’identification des élèves musulmans et la proposition qui leur a été faite de sortir de classe ou de détourner le regard s’ils le voulaient. Parmi, ces sources, figure celle déterminante de l’accompagnatrice de l’élève handicapée et dont le témoignage a été recueilli par les services du renseignement territorial des Yvelines.
Mais pourquoi alors insister autant sur l’absence présumée de Z., lors de ce qui semble s’être malgré tout produit ? Comme déjà dit, cette insistance sur un mensonge présumé et en cours de vérification par l’enquête a eu pour effet qu’une partie significative de l’opinion s’est mécaniquement refusée à réfléchir sur le fond de l’histoire. C’est pourtant ce fond qui a motivé la protestation de Brahim C., le père de Z., et l’intervention ultérieure d’Abdelhakim Sefrioui à la suite de la diffusion publique de l’affaire par ce père. Car au-delà du cas personnel de Z., c’est bien l’idée même que de tels événements aient pu avoir lieu en milieu scolaire qui a choqué Brahim C. Au regard des propos qu’il a tenu dans sa vidéo, la confrontation présumée de sa fille aux événements en question semble n’avoir été qu’un facteur affectif supplémentaire dans sa volonté de dénoncer ce qui lui semblait inacceptable. De surcroît, l’implication d’Abdelhakim Sefrioui dans la dénonciation de ce cours et du dispositif de différenciation des élèves musulmans qui lui a été décrit, était encore moins liée au cas personnel de Z., même si c’est bien son récit qui lui a fait prendre connaissance de la polémique.
Une telle insistance sur le mensonge présumé de Z. a donc pour effet de disqualifier la réflexion sur le fond même de ce cours ayant servi de support à la diffusion de ces caricatures et à ce dispositif de différenciation entre élèves musulmans et non musulmans. De même, il permet d’entourer d’un halo négatif et de rejet ceux qui comme Abdelhakim Sefrioui ont exprimé leur opinion sur cette situation et qui ont réclamé ce qui leur semblait être les sanctions disciplinaires qui s’imposaient. Cette insistance permet ultimement d’associer cette dénonciation à l’idée d’irrationalité, de caractère infondé et illégitime. De même, on peut penser que cette insistance à désigner Z. comme une menteuse, cache en réalité une reconnaissance implicite, voire inconsciente mais rassurante, du caractère véritablement choquant des possibles faits visés.
En dépit de cela, trois semaines après le drame et avec la décantation des faits et des émotions, le retour à la raison après l’émotion collective, on constate qu’un nombre croissant de voix s’élèvent pour remettre à leur juste place chaque aspect de cette histoire. Nous semblons aboutir progressivement au constat apaisé qu’il est tout à fait possible de dénoncer la barbarie du crime terroriste dont a été victime le feu professeur Samuel Paty, l’injustice sans nom qu’il a essuyé, l’affirmation de la nécessaire lutte contre le terrorisme, avec le droit à une libre réflexion et une libre expression au sujet de ce cours dispensé par M. Paty et les modalités spécifiques qui ont entouré celui-ci.
En mettant de côté la question des intentions qui animaient ce défunt professeur, et sans avoir besoin de présumer que celles-ci étaient négatives, ce professeur ayant par ailleurs été décrit par beaucoup comme attachant et passionné, les actes possèdent une part d’objectivité indépendante des intentions que l’on y met. Et c’est précisément cette part d’objectivité que la liberté d’opinion doit permettre d’analyser et de juger. La diffusion de caricatures à la limite de la pornographie, portant sur le sacré d’une partie des élèves en présence, associée à la différenciation des élèves musulmans et non musulmans, dans le cadre d’une société qui a connu l’horreur de la rafle des juifs n’est pas anodin. On lit d’ailleurs dans la presse que Samuel Paty se serait excusé pour sa maladresse auprès de ses élèves[26].
Mise à jour du 28 novembre : Un témoignage important nous avait échappé jusque-là. Il s’agit de celui d’une déléguée de classe qui a témoigné pour BFMTV dans un reportage diffusé sur la chaîne puis publié sur YouTube le 28 octobre[1]. Elève de Samuel Paty, elle a assisté à son cours le 5 octobre. Devant la caméra, elle dit : « Alors mon cours, donc il nous l’a introduit par nous dire qu’il parlerait de la liberté de la presse, liberté d’expression. Et donc on a abordé le sujet de Charlie Hebdo et il nous a montré quelques caricatures. Il a dit : “ Les enfants musulmans si vous préférez sortir ou bien détourner les yeux, et s’il y en a qui peuvent être choqués, je vous prie de sortir de la classe. “ » Plus loin elle ajoutera : « On a un peu rigolé, enfin on s’attendez pas forcément à ça [à la diffusion de ces images NDLR]. Ensuite il a fait rerentrer les enfants de la classe. Et voilà il nous avait dit : “ Vous dites rien. Juste par respect pour eux il faut pas décrire ce qu’il y avait dessus. “ Et donc du coup, bah après on a continué le cours normalement. »
En dépit de ces multiples éléments allant dans le sens d’une confirmation des faits décrits par la collégienne Z., les médias insistent pourtant sur ce qu’ils estiment définitivement être son mensonge. Ce fut une nouvelle fois le cas à l’occasion de la mise en examen de la jeune fille pour « dénonciation calomnieuse », le 26 novembre 2020. Le site Francetvinfo, par exemple, dit au sujet de la plainte de la jeune fille au commissariat et de sa déposition qui lui valent aujourd’hui cette mise en examen : « On le sait aujourd’hui, cette déposition est une suite de mensonges et de contre-vérités. »[2] Or, encore une fois, s’il est possible que Z. n’ait pas assisté elle-même à ces événements sur lesquels elle a alerté, tout porte désormais à croire qu’ils ont malgré tout bien eu lieu.
L’inspection académique s’apprêtait-elle à sanctionner Samuel Paty ?
Dans la lignée de ce qui précède, on ne peut pas faire l’impasse sur la question de l’intervention de l’inspection académique dans ce dossier. Cette intervention a bien eu lieu. Preuve à minima que la situation n’était pas anodine et méritait examen. Quant à savoir quelles furent les conclusions et les conséquences de cette intervention, depuis le drame, les versions ont divergé à ce sujet.
Dans sa vidéo, Abdelhakim Sefrioui relatait l’information que lui avait communiquée Brahim C. et selon laquelle, à la suite de leur rencontre avec la direction de l’établissement le jeudi 8 octobre, Brahim C. aurait été contacté par un membre de l’inspection académique au sujet de ce cours polémique et de ses doléances. Abdelhakim Sefrioui mentionne ce fait de la façon suivante : « dans l’après-midi (suivant la rencontre avec la direction de l’établissement, NDLR), l’inspection académique a contacté le parent d’élève et lui a exprimé son étonnement de savoir que ça s’est passé comme ça dans le cours de ce voyou. Et qu’ils allaient sévir, qu’ils allaient s’activer vraiment dans ce sens-là et qu’ils allaient envoyer deux inspecteurs ».
Une certitude existe, c’est que Brahim C. a bien été contacté par l’inspection académique. Ce contact est reconnu par le rectorat, qui met en avant à ce sujet le simple but « d'expliquer la démarche du professeur dans un souci d'apaisement »[27]. L’enquête ne devrait normalement pas avoir de mal à déterminer le contenu exact de cet appel.
Ici encore, l’information et la question de sa véracité porte un enjeu symbolique fort. Reconnaître que l’inspection académique allait dans le sens d’une mesure de sanction à l’encontre de Samuel Paty revient à accorder à la protestation de Brahim C. et d’Abdelhakim Sefrioui une légitimité supplémentaire. Bien que consistant intrinsèquement en l’expression d’une opinion légale, cette protestation qui se résumait en la formulation d’une attente à l’égard de l’autorité compétente, celle académique, aurait été renforcée dans sa légitimité par une sanction disciplinaire à l’égard de ce professeur. Conclure du contraire, chose qu’une enquête minutieuse doit déterminer, irait alors dans le sens opposé d’une délégitimation partielle de cette revendication.
A priori, si ce n’est le climat délétère, rien ne pousse à trouver scandaleux l’idée d’une sanction pour l’erreur que représente la diffusion de ces images choquantes et obscènes, à la limite de la pornographie, devant de jeunes collégiens. De même que l’hypothèse d’un dispositif de différenciation des élèves musulmans de ceux qui ne le sont pas pourrait plus encore être sanctionnable.
Bien que les versions ultérieures aient finalement penché vers la conclusion que Samuel Paty fut absolument et indéfectiblement soutenu, les premiers éléments sortis dans la presse font bel et bien état du fait qu’à minima, « les règles de neutralité et de laïcité »[28] furent rappelées à M. Paty par un inspecteur de l’académie. Ceci signifie implicitement que ces règles avaient à tout le moins été malmenées par le professeur.
Face à la gronde qu’a suscité la parution de cette information au plus fort de l’émotion collective, et saisissant trop bien les conséquences politiques de cette information qui étaient alors inévitablement perçue comme une concession faite aux « islamistes », Jean-Michel Blanquer a tout fait pour produire une communication allant dans le sens du démenti. Et pourtant, une enquête de l’inspection générale a bien été commandée pour faire la lumière sur ce point épineux pour les autorités et le ministère de Jean-Michel Blanquer[29].
Si démenti il y a, alors il faudra que le système de renseignement se désavoue manifestement d’un de ses organes, ici le renseignement territorial des Yvelines et ses agents de terrain. La précision des faits recueillis à chaud en amont de l’assassinat terrible qui a coûté la vie à Samuel Paty, de même que la nature même du renseignement territorial qui est d’être proche du terrain, laissent pourtant légitimement penser que les faits décrits par cette note du 12 octobre doivent être fidèles à la réalité.
Les dernières nouvelles ne peuvent que nous faire constater combien cette note du renseignement territorial des Yvelines constitue un point particulièrement épineux du dossier. Après avoir tout simplement cherché à en réduire la portée et la valeur[30] peu après sa parution dans la presse en raison de ses implications, notamment sur le point de l’intervention de l’inspection académique allant dans le sens d’un rappel à l’ordre à l’égard de M. Paty., le gouvernement en la personne du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, lui donne finalement une légitimité et une visibilité plus grande encore. Ceci, en étant intervenu pour faire convoquer auprès de l’IGPN Willy Le Devin, le journaliste de Libération à l’origine de la parution des extraits de la note, pour les faits de « recel de violation du secret professionnel »[31]. Ce journaliste a donc été entendu le 6 novembre en tant que suspect. Un état de fait qui dénote avec le contexte de mise en avant générale de la liberté d’expression dans lequel il intervient.
En résumé sur ce point, on constate que comme pour la question du mensonge possible de Z., les enjeux sont forts. Mettre l’accent sur un soutien absolu et total de l’institution académique à Samuel Paty, en réalité questionnable au regard des éléments concrets, permet de décrédibiliser la revendication intrinsèquement légal et légitime de Brahim C. et d’Abdelhakim Sefrioui à sa suite. Par extension, une telle insistance sur ce soutien prétendument indéfectible, en dépit de la nature des faits qui pouvaient légitimement être reprochés au défunt Samuel Paty, a aussi pour but de désamorcer et de décourager toute velléité de protestations présentes ou futures de la part d’autres parents d’élèves en ce qui concerne l’enseignement prodigué à leurs enfants et le déroulé de celui-ci.
Mise à jour du 18 novembre 2020 : De nouveaux éléments parus dans la presse le 18 novembre 2020[52], révèlent un fil de discussion par mails entre les différents enseignants du collège du Bois d’Aulne, ainsi que la direction. Ces échanges commencés le 8 octobre, ont pour objet la polémique autour du cours de Samuel Paty sur les caricatures. Ces échanges font état de deux éléments importants. Tout d’abord, dans ce fil de discussion, la directrice, Mme F., ainsi que Samuel Paty reconnaissent explicitement qu’il a été proposé aux élèves qui pourraient être choqués par ces caricatures de sortir de la classe. De même, Samuel Paty reconnaît et assume avoir montré « une caricature « trash » pendant quelques secondes ». Par ailleurs, dans ce fil de discussion, deux enseignants se désolidarisent très clairement de ce choix de Samuel Paty de montrer ces caricatures et de sa méthode consistant à avoir proposé aux élèves de sortir ou de détourner le regard. Les mots employés dénoncent ce qui est pour eux une remise en cause de la laïcité, un signe d’intolérance, de discrimination et une rupture du lien de confiance avec les familles.
Mise à jour du 24 novembre 2020 : De nouveaux éléments publiés le 20 novembre 2020 par le magazine Le Point[53], font état de mails échangés entre un référent laïcité de l’Académie de Versailles et la principale du collège du Bois d’Aulne. Dans un mail du 8 octobre, ce référent annonce à la principale la tenue d’un entretien avec Samuel Paty, qui « portera notamment sur les règles de laïcité et de neutralité que ne semble pas maîtriser M. Paty ». Dans ce mail, il insistera encore en parlant « d’une appréciation inexacte de la laïcité et de la neutralité » de la part du professeur. Ce mail semble de toute évidence faire suite au rendez-vous entre Brahim C., Abdelhakim Sefrioui et la direction du collège, à l’issue duquel celle-ci s’engageait à faire remonter l’information des doléances portées par les deux hommes. Ce mail tend à rendre crédible les propos tenus par Abdelhakim Sefrioui dans sa vidéo, et qui relatent l’appel téléphonique reçu par Brahim C. de la part d’une personne de l’Académie dans la journée du 8 octobre, suite au rendez-vous avec la direction du collège. Par ailleurs, l’article relate également un mail du 9 octobre dans lequel le référent laïcité de l’Académie rend compte de l’entretien avec M. Paty à la direction du collège. Dans ce mail, il est fait mention de la reconnaissance d’une erreur et d’un « manquement […] non intentionnel » de la part de M. Paty. Enfin, dans ces échanges par mail, l’inspecteur suggérait également que l’exemple des erreurs de Samuel Paty soit « rapporté et étudié avec grand intérêt, de manière à produire des outils et ressources utiles pour tous les enseignants. »
Le terroriste Anzorov a-t-il été incité au meurtre par l’implication d’Abdelhakim Sefrioui ?
A la lumière de ce qui précède, il faut avoir l’esprit que de toute évidence dans ce dossier, la contestation de Brahim C., soutenue à sa façon par Abdelhakim Sefrioui, constitue un volet de l’affaire bien distinct de celui de l’attentat terroriste perpétré par Abdoullakh Anzorov. Entre ces deux volets, il existe une connexion dont la nature doit être déterminée par l’enquête.
Cette connexion semble pour l’heure se résumer au fait que le terroriste Anzorov ait pris connaissance de l’affaire par le biais de la vidéo et des messages publiés par Brahim C. à partir du 8 octobre sur ses réseaux sociaux. Ceci tout comme des milliers d’autres individus qui n’ont, en accord avec le cours normal et prévisible des choses, pas pour autant pris la décision relevant de la pathologie psychiatrique d’aller procéder à une décapitation. De même, il semble désormais établi qu’Anzorov ait pris contact avec Brahim C., par le biais du numéro de téléphone qu’il avait publiquement mis à disposition des personnes qui voudraient le soutenir dans sa démarche qu’il voulait légale, et qui voudraient s’assurer de la véracité des faits.
A ce stade de l’enquête, les échanges entre Brahim C. et Anzorov ne font état d’aucun élément pouvant permettre à ce premier d’avoir connaissance des plans macabres du second. Enfin, ultimement, il est reproché à Brahim C. d’avoir divulgué le nom du professeur Samuel Paty, élément qui est considéré de façon discutable comme ayant permis à Anzorov de mettre à exécution son plan. La réciproque voudrait alors qu’en l’absence de cette information, Anzorov n’aurait pas pu y parvenir.
Les éléments de l’enquête décrivant la façon dont Anzorov a eu besoin d’enrôler de jeunes collégiens, à l’insu de leur connaissance indéniable de ses intentions, laisse sérieusement douter de ce syllogisme. Aujourd’hui, ces collégiens sont mis en examen pour le chef d’inculpation « de complicité d’assassinat terroriste ».
Outre la situation particulière de Brahim C., ces éléments ont également leur importance dans la situation d’Abdelhakim Sefrioui, lui qui se trouve pourtant encore plus éloigné de ces faits. Malgré l’accusation déjà réduite à néant d’avoir « nommément désigné le professeur comme une cible », il doit rester quelque chose de l’implication d’Abdelhakim Sefrioui qui justifie son inculpation et sa mise en détention provisoire, à l’isolement qui plus est.
Ce quelque chose doit alors, de façon abstraite et indéterminée, consister en l’implication même d’Abdelhakim Sefrioui. Pourtant, l’examen détaillé de son implication, notamment de sa vidéo, a déjà été fourni. Il faut alors plutôt poser la question véritablement pertinente de savoir si Anzorov a été radicalisé et poussé au crime par l’intermédiaire de cette polémique et de ses différentes composantes, ou bien s’il a plutôt fait preuve de l’opportunisme le plus macabre, se servant de celle-ci comme il aurait pu se servir de n’importe quelle coupure de presse, émanant d’un journaliste qui n’aurait quant à lui jamais été inquiété comme l’est actuellement M. Abdelhakim Sefrioui.
A cette question centrale, plusieurs éléments probants plaident pour le fait d’affirmer que plusieurs signaux auraient dû alerter les autorités compétentes sur l’idéologie et la radicalisation du terroriste Anzorov, opérée bien avant le début de la polémique autour de ce cours de M. Paty.
Loin d’être indétectable comme veulent le suggérer les autorités, le terroriste Anzorov avait déjà fait l’objet de plusieurs signalements pour ses publications sur les réseaux sociaux. Plusieurs articles, notamment deux très détaillés de Médiapart[32][33], retracent de façon très précise la chronologie de l’activité d’Anzorov sur le réseau social Twitter. Mais surtout, il est fait état de plusieurs signalements, dont certains sur la plateforme Pharos, directement gérée par le ministère de l’Intérieur, où sont signalés les contenus qui sont ensuite directement analysés et traités par les policiers et gendarmes affectés à ce service.
Outre d’autres signalements directement effectués auprès de twitter, le premier effectué auprès de Pharos remonte au 30 juillet 2020. D’autres signalements auront lieu par la suite. Par ailleurs, le 30 août, Anzorov se fera à nouveau remarquer par la publication d’un inquiétant photomontage mettant en scène un homme sur le point de se faire décapiter. L’image était un assemblage d’une scène issue d’une série télévisée et du visage d’un homme non identifié. Plus tard encore, le 10 octobre, six jours seulement avant son attentat, Anzorov postera une publication sur Twitter qui fera l’objet d’un nouveau signalement sur Pharos[34]. Les enquêteurs travaillent toujours à l’identification de ce message à la suite de la désactivation du compte du terroriste par Twitter.
De façon supplémentaire, Wassim Nasr, journaliste et veilleur analyste spécialiste des mouvements djihadistes fait l’observation suivante : « On sait aussi, parce que j’ai aussi pu consulter son compte Twitter, qu’il a cherché d’autres adresses d’autres personnes. Ça c’est important. Dès début octobre. Avec une volonté d’agir. Une volonté fanatique d’agir. »[35]
En outre, depuis au moins la mi-septembre[36], Anzorov était en relation avec au moins deux jihadistes en Syrie. Il leur faisait explicitement référence à sa volonté de combattre. De même que c’est à un de ces deux contacts en Syrie qu’Anzorov partagera la photo macabre de son crime[37]. Il s’avérera finalement que c’est ce contact basé en Syrie qui diffusera par la suite largement cette photo et le message associé. Ce n’est ni à Brahim C., ni à Abdelhakim Sefrioui que le terroriste envoya la preuve de son crime barbare.
De même, la récente mise en examen le 6 novembre de trois nouvelles personnes corrobore l’idée d’une radicalisation en amont. Ces trois personnes sont accusées d’avoir échangé sur un système de messagerie avec Anzorov des messages semblant faire référence à l’action terroriste[38].
En dehors de la question de l’activité du terroriste sur les réseaux sociaux, les témoignages émanant de sa propre famille et de son entourage sont assez clairs sur son cheminement entamé bien avant le début de la polémique. Ceux-ci décrivent notamment un repli sur soi entamé plusieurs mois auparavant[39]. Lors de sa conférence de presse du 21 octobre, le procureur Ricard a fait état de ce que les auditions de ses amis en garde-à-vue font ressortir « une radicalisation depuis plusieurs mois, marquée par un changement de comportement et d’apparence physique, un isolement, une fréquentation assidue de la mosquée et des propos non-équivoques sur le djihad et l’État Islamique. »[40] De même, le JDD avance que « le parquet national antiterroriste a démontré que le processus de radicalisation du tueur avait débuté il y a plusieurs mois »[41], soit bien en amont de la polémique sur le cours de M. Paty.
Nous avons donc l’assemblage de plusieurs faits concrets, qui font parvenir au constat implacable que si les autorités avaient pris les mesures qui s’imposaient, les signalements déjà effectués en amont, associés à la volonté manifeste et exprimée dès début octobre par Anzorov de trouver une cible, auraient permis d’éviter ce drame. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le gouvernement a pris la décision de renforcer les effectifs du dispositif Pharos quelques jours après le drame[42], aveu implicite du rôle déterminant que celui-ci aurait dû jouer dans l’identification du tueur programmé qu’était Anzorov.
Enfin, pour finir, il semble opportun de s’arrêter sur un élément pour le moins troublant. Il s’agit d’une déclaration faite par l’ancien ministre Jean-Pierre Chevènement, sur le plateau de la chaîne télévisée CNEWS, dans l’émission Face à l’info diffusée le 16 octobre, jour du drame, mais en réalité enregistrée la veille, soit le 15 octobre. Au cours de cette émission, et s’adressant à Eric Zemmour, il dit : « Je pense que dans le projet de loi que prépare le Président de la République contre le séparatisme, il y a des outils utiles pour faire en sorte que dans notre pays, à l’école, les valeurs républicaines, la laïcité soient respectés. Et je pense que la démarche de Jean-Michel Blanquer qui consiste à désigner des référents laïcité porte ses fruits. On voit qu’il y a des signalements qui permettent de combattre au quotidien un certain nombre de faits, des injures, des manifestations tout à fait insupportables, comme par exemple la vocation de la décapitation de tel ou tel professeur, ou de toute chose que l’on voit circuler. »[43]
Un jour avant les faits, ce qui s’apparente à une véritable prophétie a de quoi questionner. D’autant plus que Chevènement associe directement cette menace à un signalement dont elle a pu faire l’objet. De quel signalement s’agit-il exactement ? Pourquoi donc ne pas l’avoir pris au sérieux ? Il est étonnant que dans le contexte de l’attentat commis à l’encontre de Samuel Paty, aucun média n’ait soulevé ce point. On trouve juste quelques rares traces, notamment dans un billet écrit par un certain Louis Daufresne qui relate l’intrigue[44]. Celle-ci a pourtant remué les réseaux sociaux et suscité un certain émoi. En tout cas, la présentatrice Christine Kelly a confirmé en personne la datation des propos de l’ancien ministre, confirmant sur Twitter à une personne qui la sollicitait sur la question que l’émission avait bien été enregistrée le 15 octobre.
En résumé, tout corrobore le fait qu’Anzorov était déjà radicalisé bien en amont de la polémique sur le cours de M. Paty. Il était déjà avant celle-ci en quête d’une victime et nourrissait déjà des liens avec la mouvance terroriste. Ainsi donc, en aucune façon on ne peut considérer que l’implication de Brahim C et d’Abdelhakim Sefrioui n’eut une influence psychologique sur Anzorov en le poussant à la violence et à la radicalisation. De même qu’on ne peut pas considérer qu’il ait perçu cette implication comme un appel à l’action illégale et terroriste.
Comme le souligne Le Parisien, l'enquête révèle plutôt qu’en tout état de cause « Abdoullakh Anzorov, Tchétchène de 18 ans radicalisé depuis plusieurs mois, s'est opportunément servi de cette affaire locale pour assouvir ses pulsions djihadistes. »[45] Cette affaire locale aurait d’ailleurs tout aussi bien pu être divulguée précisément par Le Parisien, le parti pris militant en moins. L’erreur de Brahim C. qui lui incombe d’avoir divulgué le nom de M. Paty, semble ainsi difficilement pouvoir être jugé comme un facteur déterminant du passage à l’acte du terroriste Anzorov.
L’implication d’Abdelhakim Sefrioui dans la polémique a été très rapidement identifiée par les services de renseignement
Pourquoi donc, à la lumière de tout ce qui précède, Abdelhakim Sefrioui se retrouve-t-il aujourd’hui dans cette situation de détention ? Laurent Nunez en personne, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, déclarait dans un entretien accordé à Francetvinfo et publié le 18 octobre, que celui-ci n’était pas porteur de « menaces directes qui sont des menaces d’actes de violence qui peuvent être proférées, des menaces directes de passer à l’action contre un individu » et qui « tombent sous le coup de la loi » et qui « permettent aux forces de l’ordre d’intervenir en déférençant la vidéo, en interpellant et en plaçant en garde à vue l’auteur de ces vidéos ». Si tel avait été le cas, dit-il, « les services de renseignement auraient judiciarisé son cas »[46].
C’est dans le même esprit que s’exprime un autre haut fonctionnaire du renseignement, dont le nom n’a pas été cité, et qui dit : « On a fait un travail d'environnement, de criblage, on voyait apparaître Abdelhakim Sefrioui [figure de l'islam radical], connu pour faire de l'agit-prop [agitation et propagande], mais rien de plus »[47]. Décrit aujourd’hui comme un dangereux radicalisé, ceci prouve pourtant que le renseignement identifie depuis toujours Abdelhakim Sefrioui comme quelqu’un dont l’action est bien identifiée et ne constitue pas une menace. Raison pour laquelle, encore une fois dans ce dossier, les autorités ne sont intervenues à aucun moment à l’encontre d’Abdelhakim Sefrioui, malgré les cinq jours qu’aura duré la disponibilité de sa vidéo sur internet, avant l’acte barbare d’Anzorov.
Pourtant, force est de constater qu’à l’issue des quatre jours de garde-à-vue, le 21 octobre, le système judiciaire a malgré tout décidé de judiciariser le cas d’Abdelhakim Sefrioui. Ceci en dépit des faits, en dépit du droit et en dépit du jugement qui semblait même s’imposer à la raison d’experts du renseignement et de la lutte antiterroriste, comme l’est Laurent Nunez.
Il est fondamental ici de rappeler la note du renseignement territorial des Yvelines mise en lumière rapidement par Libération après le drame le 16 octobre. Il est également essentiel de rappeler ici que dès le 12 octobre, celle-ci était remontée jusqu’au plus haut niveau, à la DGSI. Ainsi, non seulement Abdelhakim Sefrioui est décrit comme un radicalisé fiché S, sous surveillance étroite depuis plusieurs décennies, mais encore une fois dans ce dossier, il était sous haute surveillance. Son intervention dans l’affaire, son accompagnement de Brahim C. lors de son rendez-vous avec la direction du collège, sa vidéo qui a été visionnable cinq jours durant avant le drame, tous ces éléments ont été analysés et surveillés en temps réel et on fait l’objet d’une appréciation par les services de renseignement. Cette appréciation fut telle qu’aucune mesure spécifique n’a été jugée nécessaire par les autorités, qu’il s’agisse de faire supprimer sa vidéo ou de s’expliquer sur celle-ci, ou bien encore, de faire mettre le professeur Paty sous protection. Ceci pour la simple et bonne raison que l’implication d’Abdelhakim Sefrioui dans cette affaire n’a jamais contrevenu au droit.
Ainsi donc, si cette décision d’inculpation pour un chef d’accusation aussi lourd que la complicité d’assassinat terroriste et la mise en détention provisoire n’obéit à aucune de ces logiques précitées, à quelle logique obéit-elle ?
Il semble de toute évidence qu’à l’issue des quatre jours de garde-à-vue des différents suspects interpellés, les responsables politiques et les hauts fonctionnaires concernés soient parvenus aux mêmes conclusions que le présent exposé détaillé que nous venons de fournir. La conclusion ultime en a finalement été pour eux que, Abdoullakh Anzorov étant mort, et la nation ayant été légitimement bouleversée par sa barbarie, il ne pouvait y avoir que deux personnes à jeter en pâture à l’opinion. Il n’y avait plus que deux personnes à présenter comme le coupable encore en vie et disponible pour endosser la charge émotive du peuple. L’une, physique, en la personne d’Abdelhakim Sefrioui, et l’autre, morale, en la personne de tous les instruments de l’appareil d’Etat et institutionnel ayant failli dans leur mission de traiter la menace extérieure à la protestation légale, qui était pourtant multi-signalée et qui s’est servie opportunément de celle-ci. La reconnaissance de cette faillite se cristallise dans les propos d’Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat de police Vigi et agent des renseignements territoriaux dans les Yvelines, qui dit : « Si cela s'était mieux coordonné entre les services, on avait toutes les cartes pour que [l'attentat de Conflans] ne se produise pas. » Il ajoute : « On n'a pas fait tout ce qui était en notre pouvoir »[48].
Face à ce dilemme, le gouvernement et l’appareil judiciaire ont, en toute logique, rapidement fait le choix. Il semble bien qu’Abdelhakim Sefrioui serve de bouc émissaire dans ce dossier. Son avocat, Antoine Alexiev dit à ce propos : « Si on peut publier ou montrer des caricatures de Mahomet au nom de la liberté d’expression, on a tout aussi le droit de les critiquer. C’est ce que mon client a fait, mais il paye la charge de haine qu’il a accumulé contre lui depuis des années. »[49]
A l’issue de cet exposé des éléments objectifs disponibles pour apprécier la question de l’implication d’Abdelhakim Sefrioui dans ce dossier, nous laissons chacun libre de tirer les conclusions qui s’imposent sur la question de sa responsabilité dans le meurtre de Samuel Paty et de sa détention depuis le 21 octobre 2020.
La menace qui pèse sur l’Etat de droit
Nous terminerons enfin par une courte ouverture sur ce qu’il a été constaté comme événements et conséquences politiques à la suite de l’attentat dramatique de Conflans-Sainte-Honorine, et à la suite d’un projecteur davantage mis sur Abdelhakim Sefrioui que sur le terroriste Anzorov. En effet, les actions de celui-ci, longuement exposées dans ce qui précèdent, et les conséquences qu’elles lui valent aujourd’hui, posent des questions sur la situation de notre société et un certain nombre de dérives en cours qui font peser une véritable menace sur l’Etat de droit.
La liberté d’expression qui est au cœur de toutes les discussions actuelles et des attachement revendiqués par tous, semble pourtant faire l’objet d’une mise en application variable, pour laquelle on peine dans bien des cas à obtenir une justification claire et juridiquement fondée. En opérant un dépassement de la frontière du strict droit et de la responsabilité légale que l’on peut légitimement opposer aux individus, notre système judiciaire et le discours politique ambiant érigent des catégories différenciées et aux critères obscures, dans lesquels sont rangés différemment des individus usant pourtant d’une même liberté d’expression et des mêmes droits fondamentaux et civiques. Certains se retrouvent ainsi placés dans la catégorie des libres penseurs, quand d’autres se retrouvent condamnés de fait dans la catégorie des dangers pour la société, qu’il faut dès lors priver de l’exercice des libertés.
Par ailleurs, et dans cette même lignée, la lutte nécessaire et légitime contre le terrorisme prend une direction dont on constate déjà un certain nombre d’effets pervers et contre-productifs. En employant un grand nombre de moyens à l’encontre des mauvaises cibles, elle contribue mécaniquement à relâcher la pression sur les vraies menaces. Les profils des auteurs des derniers attentats montrent d’ailleurs bien à quel point ceux-ci sont éloignés de ce qui est actuellement visé par les autorités dans leur lutte contre la radicalisation et le délit supposé de séparatisme. Face à ces dérives, et comme l’a très bien exposé Vincent Brengarth dans une récente tribune[50], le véritable rempart au terrorisme est plus que jamais le droit, et non pas la dégradation de l’Etat de droit.
Cette dégradation et le sentiment de stigmatisation qu’elle suscite chez des millions de citoyens français qui se sentent injustement ciblés, a récemment fait l’objet d’une mise en lumière importante dans un communiqué d’Amnesty International, paru le 3 novembre et s’intitulant « France. Les mesures prises après le meurtre de Samuel Paty soulèvent des inquiétudes quant au respect des droits humains. »[51].
Face à ce qui apparaît comme un traitement injuste, d’exception et qui menace désormais la citoyenneté même, il est plus que nécessaire que des réactions se fassent entendre pour condamner l’ensemble de ces dérives. C’est bel et bien à l’Etat de protéger la société contre la menace du terrorisme et ses conséquences qui touchent celle-ci dans son ensemble, sans distinction de religion. C’est aussi à l’Etat de garantir à tous les citoyens sans distinction la possibilité pérenne de faire le libre usage de leurs droits civiques, notamment ceux d’exprimer leur opinion, de dénoncer et de manifester. Exercer un chantage au terrorisme à l’endroit de certains citoyens et de leur engagement légal revient à nier le rôle de l’Etat et à stigmatiser gravement une partie significative de la communauté nationale.
Ali Omari
[1] https://www.youtube.com/watch?v=oMP9Uw8Yw7c
[2] https://www.lci.fr/terrorisme/video-assassinat-de-samuel-paty-quinze-personnes-en-garde-a-vue-dont-des-collegiens-2167774.html
[3] https://www.youtube.com/watch?v=8Od1rjdXCKk
[4] https://www.leparisien.fr/faits-divers/attaque-a-conflans-quel-role-a-joue-abdelhakim-sefrioui-militant-islamiste-18-10-2020-8403736.php
[5] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/assassinat-de-samuel-paty-les-questions-qui-se-posent-dans-l-enquete-20201019
[6] https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-conflans-ce-qu-a-dit-aux-enqueteurs-le-trio-a-l-origine-de-l-engrenage-fatal-05-11-2020-8406833.php
[7] https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/19/attentat-de-conflans-nous-etions-convaincus-que-ca-allait-mal-finir_6056528_3224.html
[8] https://www.sudouest.fr/2020/10/19/lutte-contre-l-islamisme-des-operations-de-police-en-cours-contre-des-dizaines-d-individus-7979331-10407.php
[9] https://www.youtube.com/watch?v=8XZS9oAR4BI
[10] https://twitter.com/W_Alhusseini/status/1317375285445185536?s=20
[11] https://www.lefigaro.fr/politique/lutte-contre-les-separatismes-le-verbatim-integral-du-discours-d-emmanuel-macron-20201002
[12] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/11/04/la-france-se-bat-contre-le-separatisme-islamiste-jamais-contre-islam
[13] https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-conflans-ce-qu-a-dit-aux-enqueteurs-le-trio-a-l-origine-de-l-engrenage-fatal-05-11-2020-8406833.php
[14] https://www.youtube.com/watch?v=25ocYiGKGDE
[15] https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-conflans-ce-qu-a-dit-aux-enqueteurs-le-trio-a-l-origine-de-l-engrenage-fatal-05-11-2020-8406833.php
[16] https://www.youtube.com/watch?v=25ocYiGKGDE
[17] https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-conflans-ce-qu-a-dit-aux-enqueteurs-le-trio-a-l-origine-de-l-engrenage-fatal-05-11-2020-8406833.php
[18] https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/21/attentat-de-conflans-lors-de-son-audition-samuel-paty-a-nie-avoir-voulu-stigmatiser-les-musulmans_6056814_3224.html
[19] https://www.youtube.com/watch?v=Lg7aDHciQ-o
[20] https://www.liberation.fr/france/2020/10/18/monsieur-paty-il-etait-trop-drole-on-voulait-tous-l-avoir_1802719
[21] https://www.youtube.com/watch?v=-9FFobtSIk0
[22] https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Il-ne-faut-pas-qu-ils-gagnent-le-message-d-espoir-d-un-jeune-eleve-de-Samuel-Paty-1707991
[23] https://www.bfmtv.com/police-justice/terrorisme/professeur-assassine-une-note-du-renseignement-decrivait-les-tensions-apres-le-cours-de-samuel-paty_AV-202010190037.html
[24] https://www.liberation.fr/france/2020/10/17/conflans-une-note-du-renseignement-retrace-la-chronologie-des-faits_1802718
[25] https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/enseignant-decapite-dans-les-yvelines/caricatures-de-mahomet-on-n-est-pas-oblige-pour-enseigner-la-liberte-d-expression-de-montrer-des-caricatures-qui-sont-a-la-limite-de-la-pornographie-estime-luc-ferry_4165271.html
[26] https://www.bfmtv.com/police-justice/terrorisme/professeur-assassine-une-note-du-renseignement-decrivait-les-tensions-apres-le-cours-de-samuel-paty_AV-202010190037.html
[27] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/assassinat-de-samuel-paty-les-questions-qui-se-posent-dans-l-enquete-20201019
[28] https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/enseignant-decapite-dans-les-yvelines/samuel-paty-l-enseignant-etait-il-soutenu-par-sa-hierarchie_4149655.html
[29] https://www.liberation.fr/checknews/2020/10/18/samuel-paty-etait-il-sur-le-point-d-etre-sanctionne-par-la-rectrice-de-l-academie-de-versailles_1802754
[30] https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/religion-laicite/desintox-non-samuel-paty-n-etait-pas-sur-le-point-d-etre-sanctionne-par-l-education-nationale_4150311.html
[31] https://www.liberation.fr/france/2020/11/08/journaliste-de-libe-mis-en-cause-par-l-igpn-une-atteinte-a-la-liberte-de-la-presse_1805009
[32] https://www.mediapart.fr/journal/france/171020/attentat-de-conflans-sainte-honorine-le-terroriste-affichait-sa-radicalisation-sur-les-reseaux-sociaux
[33] https://www.mediapart.fr/journal/france/191020/chronique-d-un-terroriste-annonce
[34] https://www.lepoint.fr/societe/le-compte-twitter-du-meurtrier-de-samuel-paty-signale-a-plusieurs-reprises-23-10-2020-2397683_23.php
[35] https://www.youtube.com/watch?v=DSdq4oXm96o&feature=emb_title
[36] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/assassinat-de-samuel-paty-le-terroriste-aurait-ete-en-contact-avec-un-djihadiste-de-syrie-20201021
[37] https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-conflans-l-ultime-echange-du-terroriste-anzorov-avec-un-combattant-en-syrie-23-10-2020-8404579.php
[38] https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-conflans-trois-nouveaux-suspects-en-garde-a-vue-06-11-2020-8406912.php
[39] https://www.ladepeche.fr/2020/10/20/prof-decapite-le-parcours-sur-la-radicalisation-du-terroriste-au-coeur-de-lenquete-9151916.php
[40] https://www.youtube.com/watch?v=25ocYiGKGDE
[41] https://www.lejdd.fr/Societe/attentat-de-conflans-sainte-honorine-le-terroriste-raconte-par-ses-proches-4000996
[42] https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/enseignant-decapite-dans-les-yvelines/surveillance-des-reseaux-sociaux-jean-castex-annonce-un-renforcement-de-la-plateforme-pharos-et-la-creation-d-un-pole-specifique-gere-par-le-parquet-de-paris_4153307.html
[43] https://www.cnews.fr/emission/2020-10-16/eric-zemmour-face-jean-pierre-chevenement-1008702
[44] https://www.laselectiondujour.com/chevenement-non-il-dit-vrai-et-avant-tout-le-monde-n1105/
[45] https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-conflans-trois-nouveaux-suspects-en-garde-a-vue-06-11-2020-8406912.php
[46] https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/enseignant-decapite-dans-les-yvelines/video-enseignant-decapite-il-faut-mieux-cerner-les-menaces-insidieuses-maniees-par-l-islam-politique-selon-laurent-nunez_4146581.html
[47] https://www.francetvinfo.fr/monde/terrorisme-djihadistes/est-ce-qu-on-a-rate-quelque-chose-les-difficultes-des-services-de-renseignement-face-aux-derniers-attentats-islamistes-en-france_4168137.html
[48] https://www.francetvinfo.fr/monde/terrorisme-djihadistes/est-ce-qu-on-a-rate-quelque-chose-les-difficultes-des-services-de-renseignement-face-aux-derniers-attentats-islamistes-en-france_4168137.html
[49] https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-conflans-ce-qu-a-dit-aux-enqueteurs-le-trio-a-l-origine-de-l-engrenage-fatal-05-11-2020-8406833.php
[50] https://www.liberation.fr/debats/2020/11/02/le-droit-dernier-rempart-face-au-chaos-terroriste_1804239
[51] https://www.amnesty.org/download/Documents/EUR2132812020FRENCH.PDF
[52] https://www.lemonde.fr/education/article/2020/11/18/je-ne-ferai-plus-de-sequence-sur-ce-theme-dans-ses-derniers-messages-a-sa-hierarchie-et-ses-collegues-le-desarroi-de-samuel-paty_6060135_1473685.html
[53] https://www.lepoint.fr/societe/exclusif-l-erreur-de-samuel-paty-selon-l-inspection-academique-20-11-2020-2401898_23.php
[54] https://www.youtube.com/watch?v=5ROCLwL3bWo
[55] https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/enseignant-decapite-dans-les-yvelines/assassinat-de-samuel-paty-ce-qu-a-raconte-dans-sa-plainte-aux-policiers-l-adolescente-mise-en-examen-pour-denonciation-calomnieuse_4196463.html