Le 22 juin, le Professeur Axel Kahn a définitivement refermé sa "Chronique apaisée de la fin d'un itinéraire de vie", par ces mots ci-dessous. De l'acceptation de la divagation pour endormir la douleur, accueillir la sagesse. Depuis le 3 juin, il y consignait avec pudeur et lucidité, son quotidien en sursis, son amour de la vie, sa pensée intacte.
CONTEXTE ET DÉCOR DU LOUP
22 juin 2021
Ce qui suit est écrit et diffusé approximativement deux ans après mon élection au poste de Président national de La Ligue contre le cancer.
1, je requiers mille pardons, ma priorité a cessé, cessera d’être le sérieux de l’analyse des situations, elle est la maîtrise de la douleur chez les autres et chez moi. La douleur est en effet la perte de toute assurance, de toute sérénité, de presque tout espoir en la possibilité d’un moment heureux. Sus à la douleur, elle est pour l’essentiel maîtrisable par des moyens pharmacologiques, psychique, mystique …. Cependant, difficile sans la morphine et l’opium.
2, L’apaisement de la douleur n’est pas compatible avec le respect scrupuleux de la vigilance et la certitude. Sous réserve d’exceptions à confirmer, la souffrance menace la sagesse. Son traitement aussi…mais il apaise au moins la souffrance.
3, En ce qui me concerne, je sais qu’Axel le loup qui se veut sage peut en fait divaguer. Axel le loup souffrant est aussi un loup amoindri.
4 A cela il préfère un loup absent. Vaguement divaguant, sachez-le.
5, Pour Axel le loup, il n’est pas de vraie sagesse soumise à la tyrannie de la douleur. On en peut déceler parfois dans la divagation engendrée par les moyens de l’atténuer.
DÉSOLÉ, JE N’AI RIEN D’AUTRE À VOUS OFFRIR QU’UNE SEMBLABLE INCERTITUDE qui m’a bien entendu imposé, pour la raison que je craignais, de mettre un terme à ma “Chronique apaisée de la fin d’une itinéraire de vie“. Je puis fort bien divaguer, en effet.
Axel, le loup désemparé, mardi 22 juin 2021.
*https://axelkahn.fr/la-chronique-apaisee-de-la-fin-dun-itineraire-de-vie/
* https://axelkahn.fr/blog/
- Conversation autour de son dernier livre : "Et le bien dans tout ça? "
- Son dernier entretien avec François Busnel, la Grande Librairie, 24 juin 2021.
https://youtu.be/mps6NhJRH7s
AXEL KAHN ET LA FIN DE VIE.
Axel Kahn s'est prononcé sur de nombreuses questions de société, telle la PMA, affirmant récemment son accord avec la réforme votée. Il s'est également exprimé à plusieurs reprises sur la fin de vie, la loi en vigueur, le suicide assisté et l'euthanasie, ces deux dernières "options" ne recueillant pas son assentiment. Le médecin cancérologue qu'il était ne pouvait se résoudre à satisfaire de façon active une demande à mourir lorsque la vie devient insupportable, tout en écartant vigoureusement tout acharnement thérapeutique. "l'interdiction de tuer" restant pour lui un principe intangible, une option impensable pour celui qui doit soigner les êtres jusqu'au bout, le soin incluant l' abrègement des souffrances endurées, mais aussi l'accompagnement médical, et affectif des patients, il considérait que la loi Leonetti répondait en théorie à cet impératif.
Bien que n'épousant pas l'idée d'introduire la possibilité légale pour un médecin d'aider un homme ou une femme à mourir, Axel Kahn estimait qu'un tel geste ne devait nullement susciter une réprobation morale dans une société laïque, ni davantage une pénalisation tant du suicide assisté que de l'euthanasie.Dans une tribune très intéressante publiée en 2011 par la Revue du projet (1), il se prononçait en faveur de l'interruption de toute procédure judiciaire engagée à l'encontre de tiers (médecins ou non) poursuivis pour homicide lorsque l'aide active à mourir est la marque d'un geste humain, d'un geste de solidarité.
Non figé sur une position totalement fermée comme nombre de ses pairs et de politiques, cette réflexion nuancée d'Axel Kahn restait néanmoins éloignée des revendications de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité, dont le combat est celui de la liberté ultime, autrement dit, il appartient à chacun de choisir sa mort, hors de tout relation mercantile, cela va sans dire. Voici peu Alain Cocq, s'est ainsi rendu en Suisse à contre-coeur, afin de mettre fin à une longue vie de souffrances, de survie qu'il ne jugeait plus supportables, faute de solution légale en France.
Un sujet majeur, objet de discordes et de débats relancé à plusieurs reprises, en 2018 et en avril dernier, via une proposition de loi largement soutenue à gauche mais également par des députés LAREM , proposition intervenue en pleine pandémie Covid et noyée par 2300 amendements de députés LR. Sachant qu'une majorité de Français se prononcent en faveur d'un tel texte, encadré afin d'écarter toute dérive.
Du côté de la justice, si des poursuites sont de temps à autre engagées en pareil cas, les justiciables ne sont pas en général condamnés. En décembre 2017, la Cour de Cassation, soutenait une décision d'appel, se prononçant en faveur de l'acquittement d'un homme ayant aidé sa femme à mourir (2). Pour sa part, un an plus tard, la haute juridiction administrative rejetait toute révision de la loi Leonetti. Preuve que le débat existe aussi au sein de l'ordre judiciaire.
Axel Kahn militait pour un déploiement massif des unités de soins palliatifs. Or, celles-ci sont au nombre de 150 seulement sur tout le territoire français (3), ce qui grève l'objectif affiché de la loi Leonetti, à savoir un accompagnement digne vers la mort pour chaque être humain
Outre son magistère à la faculté de médecine de Descartes , Axel Kahn, médecin véritablement habité par une vocation, aura fait un long chemin aux côtés des malades du cancer, réussissant à en sauver certains, à en accompagner d'autres jusqu'à la fin. Ceci expliquant en partie cela, il aura également contribué de façon active, dans le respect des partisans de l'euthanasie, à la réflexion philosophique sur une question éthique fondamentale, celle la mort et de la liberté individuelle. Que l'on épouse ou non ses convictions, c'est avec hauteur de vue, qu'il aura privilégié le débat à l'anathème.
Un type bien.
( ) http://projet.pcf.fr/8726
(2) https://www.lemonde.fr/sante/article/2017/12/14/la-decision-de-la-cour-de-cassation-sur-la-fin-de-vie-legitime-un-peu-le-suicide-assiste_5229917_1651302.html)
(3) http://www.sfap.org/rubrique/en-quelques-chiffres
NB : en 2015, Axel Kahn a publié ce texte plus "carré" sur l'écart entre les dispositions de la loi Leonetti et les pratiques dans les services de soins curatifs et de soins palliatifs : https://axelkahn.fr/loi-sur-la-fin-de-vie/