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Billet de blog 15 janvier 2015

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Hommages à Paco de Lucia

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Photo René Robert.

LE FLAMENCO EN PISTE POUR

HONORER

SON MAITRE ET MENTOR DISPARU

Près d’un an après qu’il nous ait quittés, au faîte de sa gloire, plongeant la planète flamenca dans un deuil incommensurable, Paco de Lucia, fauché à 66 ans, sera à l’honneur du Festival de flamenco de Nîmes ce vendredi 16 janvier : conférences, témoignages, projection du film-documentaire la Busqueda réalisé par son fils Curro, retour sur le parcours inédit et flamboyant du maestro andalou, expositions photographiques retraçant l’épopée unique de l’enfant d’Algeciras (1-2). Pendant cinquante ans, El hijo de Luzia, guitariste de génie d’un talent, d’une inventivité et d’une sensibilité inégalés, a plus que quiconque servi, réinventé et sublimé l’art du toque, sans jamais s’éloigner du flamenco puro.

Ceux qui ne peuvent, hélas, se rendre dans la cité romaine peuvent néanmoins se réjouir.  Au même moment, demain en  soirée,  la présence si singulière de Paco enveloppera  le chapiteau du Cirque Romanès, à Paris. Sous l’égide de Casa Planete (3) - et de Tchiriclif -premier centre européen d’art tzigane crée par Délia et Alexandre Romanès-, un hommage appuyé et vibrant sera rendu à Paco, ce payo magnifique au toucher incomparable et à l’âme gitane. Frère éternel  du grand cantaor Camaron de la Isla avec lequel  il porta au firmament  le souffle du duende, Paco de Lucia laisse une empreinte indélébile dans l’histoire du flamenco.

« Au début du flamenco », rappelle Laurent Milhoud, fondateur de Casa Planete  » il n’y avait que le chant ». La guitare ne s’est incorporée au cante jondo qu’au  milieu  du XIXème siècle, en accompagnement. Mais aussi à la rythmique de la danse, pour structurer le flamenco contemporain. « Ajoutant des solos  entre deux moments de chant», les falsetas, (solos improvisés), de grands maîtres de la guitare se sont imposés petit à petit comme solistes. Parmi eux Sabicas, qui sera l’un des mentors de Paco au début des soixante. Il a 14 ans et joue depuis l’âge de 5 ans. Partant de là, il redonnera très vite un nouveau souffle à la guitarra flamenca, révolutionnera l’art du duende et donnera  au flamenco une dimension internationale (3)

Cante, baile, toque, à  partir de 20 heures 30, de jeunes et moins jeunes talents, représentant  ces trois disciplines pilier du flamenco, seront demain sur scène pour célébrer el Dios de la guitarra . Trois guitaristes appartenant à trois générations du flamenco, ayant en commun d’avoir été imprégnés dès leur plus jeune âge par Camaron et Paco, certains marchant à l’évidence dans ses pas avec passion, tel le benjamin Samuelito, jeune prodige de 20 ans, dont les falsetas et la technique musicale exceptionnelle s’inspirent directement de Sabicas et du Maestro. A ses cotés, deux de ses aînés, Jean-Baptiste Marino, guitariste français qui a affiné son style et sa technique musicale  en Andalousie auprès de Juan Manuel Canizares, puis  Dimitri Puyalte, soliste et accompagnateur  de cante depuis dix ans :  fils d’un grand concertiste de guitare classique, ce dernier  s’est immergé dans l’univers du flamenco à 17 ans, a fait ses gammes auprès de Pasquale de Lorca et bénéficié de l’enseignement de l’une des figures du toque flamenco, Andrès Serra dit « Serrita », accompagnateur de Carmen Amaya.  En solo, duo ou trio, ces trois artistes joueront  des  compositions extraites de "l’œuvre cathédrale" de Paco de Lucia, mais aussi de celle de Camaron. Outre cette interprétation de certains titres du plus grand tocaor de tous les temps, ils lui offrirons quelques-unes de leurs  compositions personnelles.

Egalement présente à ce concert-hommage, Paloma Pradal,  andalouse de la Ville rose et fille du musicien Vicente Pradal, s’est lancée à corps perdu dans le cante. Voix chaude, ample et mûre, Paloma Pradal,  évacue tout artifice, en recherche permanente de ce chant nu et puissant qu’est le cante jondo. Né du cri, initialement chanté a palo seco, ce chant profond, né de la rencontre entre les Gitans et la musique traditionnelle andalouse,  n’est qu’émotion pure et intime. Tout sauf cérébral, il se sent, s’éprouve et se ressent, ce qui le rend si difficile à définir par le Verbe. Paloma Pradal figure parmi les chanteuses de flamenco qui vont compter à n’en pas douter.

Autres lieux, autre couleur vocale, autre timbre, Manuel de la Junquera, né à Jerez de la Frontera a été bercé par le flamenco dès sa venue au monde, puisqu’il  est issu d’ une grande famille d’artistes gitans, dont le regretté et prodigieux guitariste Moraito Chico, ainsi que son fils Diego el Morao, également tocaor. Après avoir mis ses pas dans ceux de son illustre aîné, Manuel de la Junquera  s’est tourné,  lui aussi, vers l’expression première du flamenco, le cante. Maître du compas, il a en lui le duende et le transmet sans conteste à son auditoire. Son chant, sa gestuelle, tout son corps en témoignent. L’écouter et le regarder chanter procure le frisson. Une voix qu’il ne faut pas manquer.

La danse se devait également d’être au rendez-vous. Karine Gonzalès,  belle et fougeuse, danse telle une gitane, avec audace et sensualité. C'est une artiste éclectique : danse classique, piano, la baïlaora, née en Espagne, travaille notamment  en collaboration avec le grand danseur madrilène José Maya. Son travail déborde celui de la scène flamenca : ayant participé à plusieurs films de Toni Gatlif, elle collabore notamment avec les pianistes de jazz Dorantes et Didier Lockwood.

Quid du flamenco sans Paco de Lucia? Depuis sa disparition, cet art majeur a perdu son plus bel ambassadeur, son héraut : artistes et aficionados restent orphelins, déboussolés. Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur cet après. L’intéressé lui-même était préoccupé ces dernières années, par cette question majeure relative à la transmission. Avec la mort de Paco, c’est aussi une conception du flamenco qui s’en est allée. Une tradition relayée de génération en génération.

 A l’image des artistes qui se produiront  au Cirque Romanès, une nouvelle génération se dessine cependant, laquelle dans sa majorité appréhende le flamenco via de nouveaux chemins. Compas, rythme, chant et accords étaient autrefois lentement apprivoisés, appris à l’oreille, sans papier, ni partitions écrites, le plus souvent au sein de lignées familiales. Désormais, il est souvent enseigné de façon académique et, de surcroît, confronté à l’accélération du monde, alors qu’il requiert patience et lenteur. Gageons que les six réunis demain pour rendre hommage au Maestro, seront à la hauteur du défi qui leur est lancé.

Tocaor prime inter pares, Paco laisse de fait un vide sans fond, ressenti bien au-delà du cercle flamenco comme l’attestent les mots de Keith Richard, le guitar heroe des Stones, repris par Casa Planete, au lendemain du décès del Dios de la guitarra : « Vous dites que je suis une légende de la guitare. Vous n'avez pas d'idée. Il y a seulement deux ou trois guitaristes que l'on peut considérer comme une légende. Et au-dessus de tous, il y a Paco de Lucia »

Dans son dernier album posthume Cancion Andaluza, -son hommage à la tradition musicale andalouse qui a récemment reçu les prix du « Meilleur album de l'année » et du « Meilleur album de musique flamenca » aux 15e Latin Grammy Awards-, l’une de ses coplas s’intitule «Te he de querer mientras viva ». En écrivant cette déclaration d’amour, dédiée à son épouse Gabriela, Paco ne se doutait peut-être pas que ces mêmes mots sont sur les lèvres de tous ceux qui lui vouent une admiration et une gratitude éternelle.

  1. http://www.theatredenimes.com/fest-36-festival_flamenco_2015.html        

  2.  http://www.theatredenimes.com/spect-557-hommage_a_paco_de_lucia.html

  3. www.casaplanete.com

  4. Biographies en espagnol : Paco de Lucia live (2003) et Paco de Lucia : retrato de familia con guitarra (1994) de Juan José Tellèz

  5. Sur l’histoire du flamenco, lire notamment : le Guide du Flamenco de Raoul Ruiz, membre de la Chaire de Flamencologie de Jerez ,  Editions l’Harmattan ; Memoria del Flamenco de Felixe Grande

CHAPITEAU DU CIRQUE ROMANES

Caserne de Reuilly.

20 rue de Reuilly. 75012 Paris

Métro : Faidherbe-Chaligny (Ligne 8) ou Reuilly Diderot (Ligne 1 et 8)

Réservation : contact@casaplanete.com ou par téléphone : 06 60 05 91 22

Tarif unique : 25 euros

Ouverture dès 19 heures : restauration possible sur place

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