"Maladies chroniques, Prévenir plutôt que guérir", tel est le titre d'un article paru le 22 mai dans une des éditions participatives de Médiapart
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/220514/maladies-chroniques-prevenir-plutot-que-guerir?onglet=commentaires.
Drôle de titre -comme s'il fallait choisir entre l'un et l'autre- et quelle drôle de conception de l'accès aux soins, de la protection des êtres, du soin. Si l'on ne peut être que d'accord pour lutter contre les fléaux environnementaux ou pour informer la population (et non sanctionner) certains us et coutumes, ou modes de vies pouvant altérer, à moyen et long terme la santé, cette conception du primat de la prévention porte en elle le germe d'une vision très inégalitaire, très économique et même culpabilisatrice.
Plus personne ne dira aujourd'hui que l'excès tabac, -bourré d'adjuvants cancérogènes- ou d'alcool est bon pour la santé. Mais de là à souhaiter que chaque citoyen soit clean, éloigné de toute addiction, voire abstinent, il y a un pas. L'homme sain de corps et d'esprit doit-il être une sorte de saint, d'home nouveau résistant à tout plaisir, toute tentation potentiellement délétère? Au risque d'être jugé responsable de ses maux s'il faillit. Exemple édifiant de cet air du temps : Lorsque Patrice Chéreau nous a quittés, (paix et admiration sans limites à cet immense artiste qui manque cruellement) on a ainsi entendu une ministre avancer que le comédien et metteur en scène serait peut-être toujours vivant...s'il avait respiré moins de volutes de fumée! Le summum de l'outrance et de la bêtise! voici quelques années encore, aucun politique fut-il de droite ou de gauche, n'aurait eu l'idée saugrenue et irrespectueuse de dire une telle chose. Cette saillie n'est d'ailleurs pas sortie de la bouche de la dite ministre au hasard : elle intervient à un moment où, faute de vouloir réfléchir et chercher à financer le système de santé public, on le met à mal, on le privatise sans scrupules, sur les injonctions de l'Union européenne, avec la bénédiction des ultra-libéraux et malheureusement aussi, des sociaux-démocrates au pouvoir.
Désormais, le malade -dont on oublie qu'il est un citoyen qui contribue au système de protecton sociale- doit être rentable : pas étonnant du coup que l'on réserve un étage entier à un émir au prétexte de renflouer les caisses, alors qu'en réalité l'intéressé ne va s'acquitter que d'un dépassements d'honoraires de 30% (pour les soins), tandis que dans le même temps certains citoyens lambdas, attendent des mois pour voir le Pr X en consultation, des heures sur un brancard aux urgences , ou sont parfois privés de soins adaptés, car pas rentables. Quand certains ne sont carrément oubliés faute de surveillance et retrouvés sans vie, en plein hiver dans un débarras donnant accès sur l'extérieur d'un établisssement hospitalier, comme ce fut le cas au cours d'un précedent hiver. Sans parler de cette femme retrouvée décédée dans un couloir des urgences, à Cochin, 5 heures après son admission.
Quand on sait par ailleurs, qu'une étude récente pointe le fait que la diminution du nombre d'infirmières dans un service a un effet direct sur ces fameux "événements indésirables" que sont les complications sévères ou décès de personnes dus à des erreurs ou fautes médicales, -jamais reconnues comme telles-, que des patients hospitalisés attendent parfois plusieurs jours pour avoir un lit, que d'autres sont renvoyés chez eux sans soin, on s'étouffe à la lecture de ce texte (volontairement?) aveugle sur un pan tout entier de la politique de santé, tant en France qu'en Europe, où la Commision ne cesse de lancer des injonctions aux pays membres pour qu'ils continuent de rogner les dépenses de protection sociale, tout en limitant le coût du travail.
Si les maladies chroniques ne touchent évidemment pas que les populations vieillissantes, celles-ci sont plus exposées à nombre d'entre elles. Va-t-on bientôt leur reprocher de vieillir, d'être en partie responsables du fameux trou de la Sécu?
Faut-il en déduire, comme cela se pratique déjà en sourdine, qu'il ne faudrait plus soigner qu'a minima ceux qui sont atteints de telles pathologies chroniques? pas de gras, pas de clopes, pas d'alcool, etc., chacun se devra désormais d'être clean si l'on suit ce raisonnement àl'excès : il va sans dire que l'éducation diététique devrait exister dès le plus jeune âge, tant à l' école qu'en famille. Mais penser ou laisser penser que seuls les fumeurs meurent du cancer du poumon, de la gorge ou de l'oesophage est totalement erroné ; dire cela c'est écarter les causes génétiques, héréditaires, congénitales mais aussi l'histoire psychologique, émotionnelle, matérielle, familiale de chaque sujet. Un cancer, ou une maladie dégénérative, ça vous tombe dessus sans prévenir, l'environnement y est de plus en plus pour quelque chose, mais c'est aussi parfois, -notamment pour le cancer- l'aboutissement d'une vie pétrie de malheurs. Avec ou sans bio, avec ou sans alcool ou cigarette, à la campagne comme à la ville, que l'on soit jeune ou "vieux. Le corps parle.
On sait par ailleurs aujourd'hui, que le stress est la première cause de maladie ou de décès sur le plan cardio-vasculaire. Que proposent nos adeptes de la prévention exclusive pour que les conditions de travail, de transport, de vie soient moins sources de stress, sachant que là encore, les premiers touchés sont les plus précaires. Si leurs propositions concernant la sécurité au travail sont à saluer, quid de la flexibilité à outrance, du burning-out, des politiques mangériales source de harcèlement moral, de la mise au chômage de centaines de salariés, chaque fois qu'un site, une usine ferme ses portes pour être délocalisée. De la maigreur des salaires pour le plus grand nombre, condamnés à manger des pâtes aux nouilles, la tête lourde de fatigue et d'inquiétudes pour l'avenir.
Adepte de la nourriture de qualité, du respect de l'environnement, d'un contrôle accru de l'agro-alimentaire, de politiques agricoles favorisant et permettant le retour à une agriculture propre, je ne supporte plus - comme la majorité- la pollution qui nous fait mourir à petit feu dans les métropoles, ni davantage la wi-fi à tous les étages, toutes choses en effet contres lesquelles les pouvoirs publics ne font rien.
Mais comment oser parler de politique de santé sans aborder la question de son financement (éxonerations de cotisations sociales en cascade, manque à gagner pour la Sécu résultant de l'emploi dissimilé ou du non-paiement des charges sociales, ), sans parler de politique sociale, de défense du système de santé publique. D'ores et déjà, le taux de refus de soins des malades atteints de maladies chroniques graves et invalidantes ou maladies rares est de près 10% (baromètre 2014 du CISS) . Qu'en pensent nos thuriféraires du tout-prévention?
Pour toutes ces raisons, cette tribune riche à bien des égards, est aussi une façon d'envelopper dans du papier de soie une politique de santé européenne et nationale régressive qui ne dit pas son nom, implique l'exclusion croissante de malades qui n'ont pas demandé à l'être. Ses auteurs portent de fait, sans doute sans le vouloir, un grand coup de canif à l'idée de mutualisation des risques et de solidarité, culpablisent les malades chroniques, devenus une source de "déficit", bref, accompagnent d'une certaine manière, le discours libéral dominant.
Si l'on doit prévenir plutôt que guérir, les maladies chroniques en hausse comme le suggèrent les auteurs de cette tribune, autant dire clairement, qu'on dévalorise à terme le soin, jugé trop dispendieux et qu'on discrimine un peu plus les individus atteints par des pathologies lourdes et invalidantes ainsi que le système de protection sociale issu de 1945, dèjà menacé de toutes parts. Les propositions pour mettre fin à l'ald ou conditionner le remboursement des frais de soins aux revenus sont récurrentes depuis plusieurs années. On laisse ainsi la part belle à une santé à deux vitesses. Dont les assurances privées (mais aussi les mutuelles) pressées de s'arroger le marché de la santé, avec à la clé des critères de sélection drastiques qui évinceront les plus malades, les vieux, et ceux qui ne rentreront pas dans les cadres moraux fixés.
Dommage également que les auteurs n'abordent pas la question du remboursement de certaines médecines alternatives reconnues pour leur efficacité dans nombre de maladies chroniques- médecines bien souvent dispensées par des médecins hors convention pratiquant des honoraires libres et triant de fait leur patientèle. On le vérifie tous les jours, et sans doute les lobbies médical et pharmaceutique ne sont pas étrangers à ctte situation : en conséquence, les médecines dites alternatives bénéficient aux classes sociales les plus favorisées.
Ces derniers jours, on apprenait qu'Outre- atlantique les dépenses de soins ont fortement augmenté en raison de l'Obamacare : c'est une très bonne nouvelle pour ceux des Américains qui ont enfin accès aux soins, même si la loi votée n'est pas celle qui était prévue au départ, à savoir un régime de sécurité sociale publique! Nombreux sont ceux qui restent encore sur la berge. La France conserve un système public de santé digne de ce nom, bien que vilipendé et attaqué. Défendons-le sur la base de l'égal accès aux soins pour tous. Et si l'on parvient à obliger les gouvernements à prendre des mesures contre les pollutions de tous ordres, ce ne sera que du bonheur et du bonus, pour le bien-être de tous.