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Billet de blog 30 août 2013

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Nicolas Genest, jazzman aux quatre vents

Compositeur, et trompettiste de jazz, Nicolas Genest est un musicien arc-en-ciel. Se définissant humblement comme un touche-à-tout, ce passionné de musiques premières se nourrit de voyages et des sons du monde. Il est aussi l’homme-orchestre du Festival de Jazz Métis. La  3ème édition ouvre ses portes ce soir à Montreuil.

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Compositeur, et trompettiste de jazz, Nicolas Genest est un musicien arc-en-ciel. Se définissant humblement comme un touche-à-tout, ce passionné de musiques premières se nourrit de voyages et des sons du monde. Il est aussi l’homme-orchestre du Festival de Jazz Métis. La  3ème édition ouvre ses portes ce soir à Montreuil. Rencontre au long cours.

Voici tout juste trois ans, vous avez crée le Festival de Jazz Métis. Qu’est-ce qui a présidé à sa naissance ?

Avec Jean-Rémy Guédon, autour de l’Ensemble Archimusic, une cohabitation de plusieurs genres musicaux réunissant le classique, le jazz et le contemporain, on a commencé à lancer un premier festival, avec des invités  venant essentiellement des communautés africaines : des musiciens camerounais avec lesquels je joue, puis des Maliens, et en 2010, des Antillais ainsi que Codjia, un percussionniste  béninois.

Lorsque j’ai repris les choses en main en 2011, j’ai souhaité organiser un rendez-vous où puisse se produire un éventail de groupes plus large, représentant toutes les influences des musiques traditionnelles se mariant avec le jazz. Autrement dit, proposer un panel plus ouvert à la diversité culturelle,  avec une composante jazz plus marquée. Ainsi, au cours des deux éditions précédentes, le Festival a reçu des musiciens argentins, d’Afrique subsaharienne, du Maghreb, d’Inde et l’on a pu entendre de grandes formations tel l’Orchestre de la Lune, ce Big band festif fondé par le saxophoniste américain John Handelsman.

La France compte aujourd’hui une myriade de festivals, qui embrassent absolument tous les genres musicaux,  jazz compris. En quoi le Festival de Jazz Métis est-il singulier?

C’est vraiment un événement atypique dans la mesure où il se déroule dans un cadre très intimiste, presque familial. Concrètement, l’idée est née d’une discussion à bâtons rompus avec mon voisin, Christophe Simon, qui travaillait au Bénin dans le secteur de la recherche pétrolifère. Né lui-même en Afrique de l’Ouest, il s’intéressait aux musiques traditionnelles et disposait d’un espace disponible. On a commencé à faire des fêtes chez lui et comme je suis musicien, il m’a dit « tu pourrais venir jouer avec un de tes  groupes ». Du coup, on en a aussi profité pour faire des expériences musicales. Puis un jour, on est passé à la vitesse supérieure, en faisant un premier concert ouvert avec le Wonder Brass Factory : on a invité tout le quartier, dit à chacun d’amener à boire et à manger. Ca s’est transformé en super teuf.

En fait, tout est parti de là. Après que plusieurs groupes aient investi les lieux ponctuellement, on s’est dit que ce serait pas mal de continuer de façon plus un peu plus cadrée, je dirais plus sérieuse [rires]. C’est cette genèse qui explique l’aspect improbable du festival, tel qu’il existe aujourd’hui, son côté tranquille. Son côté, jazz à la maison.

D’une édition à l’autre, y-a-t-il un fil directeur qui détermine vos choix de programmation ?

J’en ai honte, mais… absolument pas [rires solaires]. Moi, je marche carrément au feeling, à l’instinct. Par exemple, l’administratrice avec laquelle je bosse m’a dit : « Ce serait bien qu’il y ait de la musique éthiopienne ».  Eh! bien, qu’à cela ne tienne. Moi aussi, j’adore cette musique, j’ai beaucoup écouté Mahmoud Ahmed et tous ces gens-là, je suis allé voir Le tigre des Platanes dans le cadre du festival Africolor. Tant que les  musiciens ou chanteurs rentrent dans le cadre  du concept de jazz fusion, je me dis : bon, pourquoi pas? Cette façon d’être et d’agir permet de conserver une certaine authenticité ;  cela évite de construire quelque chose qui soit trop normatif, trop cadré, trop raide aussi.

Cette année, neuf groupes sont à l’affiche. Parmi eux, le World Kora trio et l’excellentissime Hadouk trio dont la réputation dépasse les frontières. L’événement connaît un véritable écho. Comment vivez-vous cette montée des marches vers la renommée?  

Moi, ça me fait toujours un petit peu peur car, quand on commence à grandir, on gagne certes en reconnaissance, mais on perd toujours quelque chose. C’est un vrai dilemne. Mais on n’en est pas encore là! Cette année, on reçoit des groupes salués, tant sur la scène nationale qu’internationale. C’est certes une autre façon de grandir,  mais si ces groupes participent à l’aventure, c’est d’abord parce que ce sont des amis, avec lesquels j’ai joué et partagé des choses. Ainsi avec Hadouk, on a enregistré  un concert au Cabaret Sauvage en 2007, on se retrouve de temps à autre sur scène, quand ils jouent sur Paris. Quand je les invite,  je ne me pose pas la question de savoir si c’est un groupe connu. S’ils acceptent, ça me fait avant tout plaisir car cela traduit surtout le fait que … oui, quelque part, on reste ensemble. Bien sûr, je ne suis pas naïf, je sais qu’un groupe comme le leur ramène du monde et suscite  une réelle ouverture médiatique. Mais, ce ne sont pas des considérations de cet ordre qui déterminent mon choix. Hadouk trio, c’est en premier lieu une musique et des gens que j’aime, de surcroît un groupe de jazz world dont l’esprit et l’univers  musical collent parfaitement au concept du festival.

Vous entretenez un lien quasi charnel avec l’Inde, sa musique, sa spiritualité. Cette omniprésence  a inspiré deux de vos albums, Hatiet Sur les Bords du Gange, Hati étant par ailleurs le nom de votre groupe. En quoi l’Inde résonne-t-elle avec le jazz?  

J’ai découvert en même temps le jazz, la musique classique, plus précisément Jean-Sébastien Bach, et la musique indienne. Ces trois découvertes ont provoqué un véritable choc émotionnel et depuis, c’est tout le temps resté en moi. S’agissant de la musique indienne, qui constitue à elle seule tout un univers, mon apprentissage est d’abord passé par l’écoute : Ravi Shankar bien sûr, mais aussi des chanteurs comme Bade Ghulam Ali  Khan ou Balamuralikrisna. A un moment donné, j’ai senti le besoin d’aller plus loin. J’ai alors commencé à étudier cette musique et j’ai fini par m’immerger en elle, pour tenter de comprendre comment ça marchait, sachant qu’il existe deux grands courants dans la musique indienne dite savante. Au Nord, la musique hindoustanie qui a subi les influences du monde arabo-persan, est intimiste,et développe l’expression, le sentiment. Au Sud, la musique carnatique - plus proche de la musique dravidienne des anciens temps-, met davantage l’accent sur la structure et l’improvisation. Moins connue, elle est plus rêche et  fait surtout appel aux percussions (mridangam, ghatam, ou kanjira) , tandis que l’instrument roi de la musique hindoustanie est le sitar, accompagné par les tablâ.

J’ai eu envie de faire dialoguer cette musique avec le jazz, car ces deux héritages ont beaucoup de choses en commun, qu’il s’agisse de l’improvisation, de la façon d’aborder le groove, le rythme, ou de la quête de spiritualité qui leur est consubstantielle. Musique modale, la musique indienne a attiré nombre de musiciens de jazz avant-gardistes, dont John Coltrane, car elle est très riche en modes, en râgas qui doivent être au nombre de quelques milliers. C’est d’une richesse hallucinante. Pour s’y plonger totalement, il faudrait plusieurs vies mais on peut s’y référer, y puiser, en tant que jazzman, pour nourrir son propre jeu, pour avancer.  Dans les deux cas, on raconte une histoire : on part d’un point donné pour arriver à tout un développement  qui embarque littéralement dans des endroits faramineux. Ca emmène loin, loin, loin, puis ça nous ramène et nous redépose à la fin du morceau et, à l’arrivée, cela équivaut à un long voyage.

Chaque année, vous offrez une place de choix aux fanfares. Nées en Europe, elles sont profondément ancrées dans la culture populaire. Un temps ringardisées, elles connaissent une nouvelle jeunesse. Leur lien avec le jazz est très étroit. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Les cuivres ont toujours existé en Europe. La fanfare faisait partie de la tradition militaire. Ensuite, avec la conquête de ce qu'on appelle le Nouveau-Monde, et les déplacements de populations, forcés ou non, qui se sont ensuivis, toute cette tradition s’est frottée à la culture des Afro-Américains, pendant et après la période de l’esclavage, ce qui a donné naissance à de nouveaux types de fanfares métissées,  avec d’un côté les cuivres européens et de l’autre les percussions africaines. Le brassage a été très important. Par ailleurs, on a la tradition des fanfares de l’Europe de l’Est, des formations qui ont toujours rassemblé aussi bien les cuivres que les cordes, et que l’on redécouvre. Beaucoup ressurgissent, se modernisent, intègrent de nouveaux instruments, de nouvelles techniques musicales. Les fanfares d’aujourd’hui, notamment celles de l’Europe de l’Est empruntent beaucoup au jazz et même à la variété. Là encore, le lien entre fanfares et jazz est étroit, comme le montre la musique de la Nouvelle-Orléans. Le jazz, comme la fanfare a toujours utilisé les cuivres. Les trois instruments rois du jazz, c’est la trompette, le trombone et le saxophone. On retrouve toujours ces instruments dans les Big band. La filiation est évidente.

La world music a littéralement explosé dans les années 80, accompagnant souvent les soubresauts du monde. Aujourd’hui, ce qu’on appelle la fusion traverse absolument tous les courants musicaux . Certains puristes craignent que ce mouvement rime avec uniformisation, au détriment des musiques traditionnelles. Qu’en pensez-vous?  

Uniformisation, non, car je pense que chaque musique aura toujours son caractère. Pour ma part, je préfère le terme musique traditionnelle ou musique ethnique à la notion de world music. Personnellement, je fais du jazz-fusion mais j’adore écouter toutes les musiques  primitives, porteuses d’une identité très forte. Ainsi, en Inde, -j’y reviens-, il y a pléthore de musiques traditionnelles absolument magnifiques, qu’il s’agisse des bowls du Bengale,  des musiques du Rajasthan, de l’Utah Pradesh, etc. Il existe pour ainsi dire une musique pour chaque Etat. Alors, effectivement, il faut absolument que, de par le monde, des musiciens, des peuples perpétuent ces traditions musicales, très pures, car elles expriment une beauté originelle, unique, un trésor qu’on n’arrivera jamais à retrouver si on la mélange à autre chose. Moi aussi, ça m’embêterait qu’on perde cela. Mais dans le même temps, ça n’empêche pas de mélanger avec autre chose. A partir du moment où on garde et on protège cette source de pureté que sont les musiques premières, ce n’est pas dérangeant qu’il y ait des mariages qui s’opèrent sous d’autres auspices, grâce à d’autres magies.

 Ce débat entre les puristes et ceux qui veulent avancer vers autre chose est récurrent. Il recoupe tous les aspects de la vie, correspond à deux façons d’être au monde. Pour ce qui me concerne, j’aime tellement de choses, de cultures différentes que je ne peux pas rester sur un truc précis. Pour moi, ce n’est pas antinomique de faire de la fusion et d’avoir envie de jouer du be-bop. Il est certain que compte-tenu de mon bagage et de mon parcours, j’ai dû attraper quelques tics, mais entre le mélange et la pureté du son, je refuse de choisir.

D’ailleurs, j’ai envie de remonter un quintet avec des musiciens qui sont plus restés dans le vocabulaire du jazz, et récemment, j’ai formé un duo avec Tony Texier, pianiste de jazz. Dans un tout autre domaine, j’ai commencé à faire des études sur la musique baroque et il m’arrive de jouer de la trompette dans des ensembles baroques. C’est mon kiff actuel. Entre fait, je suis un peu en train de boucler la boucle, je suis un peu touche-à-tout. Je vais où le vent me pousse.

Amazonia, Hati, Lékéré, chacun de vos albums est le récit de vos voyages, à la fois découverte de terres, de peuples parfois oubliés ou menacées, et de cultures lointaines . Quelles sont vos prochaines destinations?

En ce moment je passe beaucoup de temps au Bénin où j’ai monté un groupe qui s’appelle Sobedo. J’amène de nouvelles compositions, je suis en train de me pencher sur la musique béninoise qui a ses spécificités propres par rapport aux autres musiques du continent subsaharien. Il n’y a pas le même rapport à la voix ou aux percussions que dans la musique mandingue. L’instrumentarium est également différent : pas de balafon, beaucoup plus rythmes de cloches, mais aussi le langage secret des cérémonies vaudou que l’on retrouve  au Brésil ou en Haïti du fait des transferts de population causés par l’esclavage. Propre au Bénin et au Nigéria, ce sont les mêmes peuples,  ce langage musical particulier m’interpelle. Toutefois, je n’écris pas encore car,  très souvent, dans la fusion, on ne fait que juxtaposer des musiques, mais on ne s’en imprègne pas. Du coup, ça reste trop des choses qui sont collées, d’où rien de nouveau n’émerge. Pour moi, la fusion ce doit être un  peu comme une plante qu’on laisse germer, sur laquelle on découvre un jour qu’il y a une greffe qui donnera naissance à quelque chose d’inédit. Ma compréhension du Bénin, de sa tradition musicale s’éclaircit petit à petit, car volontairement, j’infuse, je laisse infuser. En même temps, j’aime beaucoup composer, écrire de la musique pour des grandes formations. Bach est ma pierre angulaire. Sachant que le dénominateur commun à tout cela reste et restera le facteur humain. C’est la raison première pour laquelle j’ai crée ce Festival de Jazz Métis à Montreuil. Cela permet de programmer des musiciens qui, injustement, sont peu ou pas programmés. Avec ce festival, je deviens le Zorro de la programmation, dans le but de donner plus de visibilité à des groupes amis qui le méritent.

Revenons donc à cette actualité, le Festival de jazz Métis, dont l’affiche est prometteuse. Je me suis laissé dire que celle-ci pourrait s’enrichir d’invités surprises? Vous confirmez ?

Oui, Magic Malick devrait venir jouer cette année avec Jasmim, le groupe aérien d’Hubert Dupont.  Peut-être sera-t-il aussi présent pour jouer avec Hati. Je ne lui en ai même pas parlé : si ça se fait, ce sera complètement à l’improviste. Stéphane Galland, batteur, doit également nous rejoindre et sans doute y aura-t-il des beufs. Tout est ouvert.

FESTIVAL DE JAZZ METIS

Du 30 août au 8 septembre 2013

Club éphémère Drillscan

31, rue Douy Delcupe,

93100 MONTREUIL (métro Croix-de-Chavaux)

Tarifs : 10 et 12 euros, pass pour 3 concerts à 30 euros.

Tél. : 01 48 51 75 66

Pour plus d'infos sur la programmation :

http://www.musiquesdumonde.fr/FESTIVAL-JAZZ-METIS,10715

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