Converger : Tendre vers un même point...vers un même but.
Lutte : ensemble des actions menées pour obtenir quelque chose, pour défendre une cause.
Convergence des luttes : faire tendre les combats vers le même but. Quel but?
La Nuit debout qui a fait de la convergence des luttes un axe fort a émergé avec la forte et claire détermination à combattre la loi El Khomri.
Mais petit à petit, l'attrait du processus a pris le pas sur le but à atteindre qui, pour sa part, devient un peu plus flou.
Ce qui n'enlève en rien de son intérêt...au contraire! Là, les choses s'inventent, s'expérimentent. Ici on se trompe...et on recommence...
Comme à Marseille où la Nuit s'est tenue debout dans un quartier populaire, aux Flamants précisément, mais où elle a chaviré plusieurs fois sous les vagues de mises au point lancées par les habitants/militants du quartier. La première vague rappelle que les habitants n'ont pas attendu ce moment pour se tenir debouts. Quand un certain insiste pour projeter Merci patron! on lui rétorque que c'est un non sens de vouloir projeter Merci patron! à des habitants qui ne savent même plus à quoi ressemble un bulletin de salaire. Ce qui transparaît en filigrane c'est le refus de l'injonction. La nécessité pour avancer d'être dans la co-construction (du programme de la soirée notamment). Ce qui se révèle en transparence c'est la résistance à se voir imposer un "pack" duplicable à souhait. Ici, on rappelle les particularités.
Les maladresses sont pointées...malgré cela on discute, on échange et...on chante. Au bout du compte, le lien s'est fait. L'espace à permis la rencontre et a amorcé le balisage du chemin à parcourir.
Qu'est-ce que raconte cet épisode? Il raconte que quand le but n'est pas clairement défini la convergence a besoin de temps pour co-construire le sens que l'on veut lui donner.
Il est plus facile de faire tendre des luttes qui ont pour source la même colère. Ce que la Nuit debout aux flamants aura compris ce soir là, c'est que les habitants de ce quartier populaire ont des colères, des priorités qui ne sont pas les mêmes que celles des militants du centre ville.
Ici on vit l'urgence quotidienne d'une population délaissée, abandonnée dans des cases d'un autre temps qui portent les stigmates de la colonisation. Ici on souffre d'une politique urbaine qui s'est construite dans l'urgence de la gestion et non dans la perspective du bien-être des habitants. Pas loin de là, des familles souffrent au quotidien des nuisances sonores de l'autoroute...les habitants réclament un mur anti-bruit...les pouvoirs publics n'entendent pas cette nécessité...à défaut d'un mur anti-bruit il y a un mur anti-son...entre les habitants et les politiques.
Là, des mères partagent leur désespoir...comment faire sortir leurs enfants du ghetto, condamnés dès leur scolarité où ils sont confondus dans la masse des représentations. Leurs individualités, leurs potentialités propres ne sont pas prises en compte. Pour beaucoup ce sont des jeunes des quartiers populaires avant d'être des adultes en devenir. Ils sont saisis dans la représentation massive que l'on se fait d'eux plutôt que dans les désirs prometteurs que chacun peut offrir.
Ici on n'hésite pas, comme certains parents du centre ville, entre la pédagogie Freinet et la pédagogie Steiner. On est suspendu à la bascule de l'exclusion scolaire. On est suspendu aux conséquences de la désillusion et du découragement.
La convergence des luttes a besoin de temps, donc, pour saisir les particularités des combats qu'elle entend unir. Et ce ne sont pas ceux qui hurlent à l'échec qui doivent la faire vaciller. Ceux qui hurlent à l'échec sont pétris dans le moule du système qui est combattu : l'efficacité, la nécessité d'atteindre rapidement un résultat.
La Nuit debout est basée sur un processus, et c'est là son intérêt. Elle s'alimente d'agrégations continues, de luttes qui ont des colères différentes mais provoquées par des adversaires ou des ennemis communs : parmi eux, la privatisation du monde au profit d'une oligarchie de privilégiés qui s'allient entre eux pour préserver leurs privilèges...et toutes les conséquences qui en découlent (voir, sur médiapart, l'interview de Jacques Rancière : la transformation d'une jeunesse en deuil en jeunesse en lutte).
A l'échelle mondiale ça donne 63 personnes dont les revenus sont équivalents à ceux de 3 milliards de personnes...environ la moitié de l'humanité!!!
A l'échelle de Marseille ça donne une ville classée au rang de celles dont le taux de pauvreté est le plus élevé et, parallèlement au 3ème rang des régions françaises de province pour la collecte de l'impôt sur la fortune. Selon le journal La Marseillaise, en 2011 "la fortune des quatre premiers marseillais les plus riches équivaut au budget 2011 de la ville (1,8 milliards d'euros)". Comme le dit si bien Patrick Viveret, on vit à l'ère de la démesure.
Parler de violences en oubliant celle-là c'est parler des symptômes sans évoquer les causes.
Partant de là, la Nuit debout s'invente. Elle teste les moyens de faire alliance contre un système révolu. A la privatisation croissante de l'espace public, elle répond par son occupation. A l'Etat d'urgence qui suscite la crainte et le repli sur soi, elle oppose l'urgence de créer des liens, d'aller à la rencontre des autres, de se parler. Donnant ainsi raison à Edgar Morin quand il nous rappelle qu'"à force de sacrifier l'essentiel pour l'urgence on finit par oublier l'urgence de l'essentiel".
A la posture, rappelons le Machiavélique, qui fait passer la fin, le but, avant les moyens, elle préfère les processus, la co-construction de sens.
A Marseille, belle et rebelle, le Poivre des murailles est partout. Cette herbe rebelle, dite mauvaise, fragile, est pourtant capable de briser le béton pour prendre sa place au soleil.
"Ici on est chez nous!" dit la plupart et ce ne sont pas quelques interdictions municipales et les gros enjeux financiers dictant la politique urbaine qui changeront quelque chose à l'affaire! Ici on occupe les places, on fabrique des tables pour les repas partagés. A la morosité entretenue par la chape médiatique, on oppose des balèti, des fanfares, un carnaval populaire coloré, animé et joyeux qui, pour certains élus "provoque de l'insécurité". Certes les alliances populaires dans le bonheur et la joie sont des menaces profondes pour les élus qui assoient leur pouvoir sur la crainte et la division.
Les cerveaux qui sont en train d'imaginer et de créer le monde qui vient sont ceux qui ont échappé au formatage de Patrick Le Lay. Ces changements sont incompréhensibles pour certains esprits inscrits dans une mécanique qui se perpétue sans remise en question. Voyant des cerveaux non formatés ils concluent à l'absence de cerveau...
Comme le dit Antonio Gramsci, "le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres" : les monstres sont parmi nous, aucun doute, mais à lire les définitions météorologique et géologique de la convergence, je me demande si les mondes nouveaux ne sont pas en train d'apparaître...
Définition géologique : La convergence est le rapprochement des plaques tectoniques.
Intéressant : rapprochement des plaques tectoniques qui peuvent former un continent!
Définition météorologique : accumulation de l'air pas suite de son arrivée, à l'horizontale, dans une région donnée, ce qui appelle, à l'endroit de l'accumulation, un mouvement vertical compensatoire du bas vers le haut (ascendance dynamique).
Une accumulation d'air arrivée à l'horizontal qui crée une ascendance verticale du bas vers le haut...
A méditer...