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Billet de blog 26 févr. 2023

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"Jean TEULE (1953-2022), écrivain" par Amadou Bal BA

Jean TEULE (26 février 1953 à Saint-Lô 18 octobre 2022 à Paris) prolifique écrivain de l’histoire de France et de sa littérature. Attentif aux poètes maudits et aux histoires loufoques ou sordides, il est resté profondément humaniste dans sa description de la souffrance et de l'âme humaine. Déjà dans la postérité.

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«Jean TEULE (26 février 1953 à Saint-Lô 18 octobre 2022 à Paris) prolifique écrivain de l’histoire de France et de sa littérature» par Amadou Bal BA -

Romancier et auteur de bandes dessinées, Jean TEULE faisait partie de mes contacts Facebook. Il nous a quittés sur la pointe des pieds le 18 octobre 2022, sans nous dire aurevoir. J’ai donc un pincement au cœur, quand j’ai revu ce 26 février 2023, sa date d’anniversaire défiler. J'ai dû mal à retirer certaines personnes, même disparues, de mon compte Facebook. A sa famille, Mme Sylvette HERRY dite Miou-Miou sa compagne depuis 1998, à son fils issu d’une autre union, Roman TEULE-FRANCO et à sa fille, à ses amis et aux amoureux de la Littérature, nous adressons nos sincères condoléances. Le président Emmanuel MACRON a rendu hommage à Jean TEULE «un écrivain triplement doué pour la bande dessinée, la télévision et la littérature, qui nous lègue des histoires pleines de fantaisie et de lucidité».

Jean TEULE est né le 26 février 1953 à Saint-Lô, dans la Manche, en Normandie, une ville bombardée, par erreur, par les Alliés pendant la Seconde guerre mondiale. Son père, un communiste surnommé «Graine de Moscou», Robert TEULE, originaire d’Agen, (Lot-et-Garonne) en Nouvelle Aquitaine, un charpentier, débarque Saint-Lô, dans le cadre de la reconstruction d’une ville sérieusement ravagée. Son père y rencontre, Alice, une bretonne serveuse dans un café. Fils de militants communistes, chassés de Saint-Lô pour leurs idées politiques, avec ses parents et sa sœur, la famille vient s’installer, dans la région parisienne, à Arcueil-Cachan (Val-de-Marne), «une banlieue rouge». Son père, Robert, devient menuisier à L’Humanité et la mère, Alice, concierge à la mairie, puis agent des écoles. A l’école Jules Ferry d’Arcueil, Jean a comme camarade de classe Jean-Paul GAULTIER, un futur grand couturier. Considéré comme un mauvais élève, on veut l’orienter, initialement, en mécanique auto, mais son professeur de dessin, Pierre PILLOT, l’incite à s’orienter vers la bande dessinée, en lui donnant des cours du soir «Mes parents étant communistes et concierges à la mairie d'Arcueil, j'ai donc toujours connu la Fête de l'Huma. Plus tard, adolescent, je commençais alors à dessiner, et j'ai fait, quelques années durant, la décoration du stand d'Arcueil» dit-il au journal l’Humanité. Jean est d’abord recruté, en 1978, à «l’Echo des Savanes», une revue de bandes dessinées, puis chez «Glénât» et travaille à l’adaptation de «Bloody Mary» de Jean VAUTRIN (1933-2015), et reçoit, en 1984, le Prix du festival de la bande dessinée d’Angoulême. En 1990, le festival d’Angoulême lui décerne un prix spécial du jury pour sa contribution exceptionnelle au renouvellement du genre de la bande dessinée. Il collabore avec diverses revues de bandes dessinées comme Circus, Zéro, A suivre, Gens de France ou Gens d’ailleurs. Jean TEULE va changer de métier, pour collaborer avec Bernard RAPP (1945-2006) à l’émission d’Antenne 2, «L’Assiette anglaise».

Dans un stylé décalé, drôle et s’inspirant de faits divers, de société ou de l’histoire, Jean TEULE sera épanoui dans la littérature «J’ai fait de la bande dessinée, sans le vouloir, de la télé sans le désirer, et je suis écrivain sans l’avoir choisi non plus, et à chaque fois, ça m’a plu» dit-il. En raison de sa riche et variée contribution littéraire, c’est sur cet héritage à la postérité qu’il faudrait rendre hommage à Jean TEULE, un auteur à succès. Dans ses récits Jean TEULE sonde l’âme humaine, dans ses grandeurs, comme dans ses bassesses, et où se côtoient l’histoire, l’insolite, l’étonnement, l’érudition, le burlesque, l’humour, la dramaturgie, les malheurs, de violence, de sang, de sexe, de mort, la beauté, la douceur et les fragilités de l’être. «Cet amoureux des mots fait de la littérature à partir de l’atroce, et sait raconter, avec talent, l’horreur avec détachement tout en maniant avec dextérité un humour noir , grinçant, à l’esprit décalé, qui fait de lui, un écrivain hors pair, et dans lequel le lecteur s’immerge complètement dans l’histoire» écrit Laurence SANDEAU.

J’ai recensé pas moins de 24 livres de Jean TEULE entre 1988 et 2022, et il a produit entre 2010 et 2012 cinq livres. Curieux destin d’un écrivain qui n’aimait pas lire «Je ne lis pas de romans. Je n'en lisais pas avant d'écrire, et je n'en lis toujours pas. Je n'ai pas envie que ça me coupe les pattes, et de me dire : s'il y a des mecs qui écrivent comme ça, c'est pas la peine que je prenne un crayon», disait-il, en 2019, sur France Inter. En fait, au-delà de la coquetterie, jeune il avait déjà commencé à lire : «Quand j'ai commencé à faire de la BD, je n'avais lu qu'un album de Tintin. Comme je suis issu d'une famille communiste, mes parents avaient tout de même Vaillant et Pif Gadet, à la maison. Jeune, je lisais également très peu de romans et, parmi ceux-ci, un seul m'a vraiment marqué : Sans famille d'Hector Malot. En revanche, je lisais beaucoup les poètes. Grâce à la musique. Un midi, j'étais encore collégien et je déjeunais chez mes parents quand une chanson incroyable est soudain diffusée à la radio : «C'est extra !» Je repars alors pour l'école et je parle à un copain de cette révélation. Il m'apprend qu'il ne s'agit pas d'un nouveau chanteur et il m'apporte quelque temps plus tard des disques de ce Léo Ferré. J'écoute, et je suis scotché par les paroles. Comment peut-on si bien écrire? Je me suis aperçu qu'en réalité Ferré chantait Verlaine et Rimbaud ! Voilà comment j'ai découvert la poésie – Baudelaire, Nerval, etc. Avec mes romans sur les poètes, j'ai voulu être moi-même une sorte de passeur, comme Léo Ferré l'avait été avec moi» dit-il en octobre 2016 à l’Express.

Par conséquent, snobé par la nomenklatura de la littérature, ses livres, de son vivant, traduits dans plus de 24 pays, l’ont déjà fait entrer dans la postérité, de quoi rendre jaloux les poètes maudits qu’il a dépeints (VERLAINE et BAUDELAIRE). Même s’il est resté fidèles à Betty Mialet et Bernard Barrault, deux éditeurs (8 livres chez Pocket et 6 chez Julliard) se partagent part la part du lion. Jean TEULE est donc un homme prolifique, avec un sens de la formule, dans sa verve, son humour, sa créativité et son riche vocabulaire, on peut contempler les titres évocateurs de ses ouvrages, «Crénom», un juron équivalent à «Sacré nom de Dieu», comme le dirait Charles BAUDELAIRE à la fin de sa vie, «Tout est vain !».  Il s’intéressait aux gens atypiques, aux marginaux ou aux génies affrontant la misère ou la souffrance «Dans mes yeux, l’éclair d’acier de ma malice infinie de poète-grimacier au-dessus de ma bouche déformée. Le seul auditoire qui m’intéresse vraiment est celui des marginaux» écrit Jean TEULE dans «Je, François Villon». Aussi, défile, sous sa plume, l’histoire de France, comme de la littérature.

 I – Jean TEULE et l’Histoire de France

Féru d’histoire, son livre, «Charly 9», ne traite pas de la dramaturgie de Charlie hebdo, mais d’un roi, qui a inscrit des pages sombres et ensanglantées de son passage fugace au trône. Charles IX (1550-1574) fut de tous nos rois de France l'un des plus calamiteux, le plus sanguinaire de France, Jean TEULE nous conte une farce aussi tragique qu’effrayante et son livre a été vendu à plus de 100 000 exemplaires. A 22 ans, sous influence de sa mère, Charles IX ordonna, les 23 et 24 août 1572 le massacre de la Saint Barthélemy qui épouvanta l'Europe entière (entre 15 000 et 30 000 morts). Il faut préciser que Charles IX lorsqu'il monte sur le trône de France n’avait que 10 ans. C'est sa mère, Catherine de MEDICIS (1519-1589) qui assure la régence pendant les plus jeunes années de son fils. Néanmoins, Catherine de MEDICIS gardera toujours sur lui une forte emprise, jusqu'à le convaincre de signer l'autorisation du massacre de la Saint-Barthélemy. Abasourdi par l'énormité de son crime, Charles IX sombra dans la folie, et fait des hallucinations et des cauchemars. «Tu as commis un grand crime. Tu n’es plus un Roi, mais un assassin. Un meurtre abominable ensanglante tes mains. Te voila couvert du sang de tes sujets» lui sa conscience, dans «Charly 9». Courant le lapin et le cerf dans les salles du Louvre, fabriquant de la fausse monnaie pour remplir les caisses désespérément vides du royaume, il accumula les initiatives désastreuses. Transpirant le sang par tous les pores de son pauvre corps décharné, Charles IX mourut à 23 ans, haï de tous.

«Azincourt, par temps de pluie» fait, un joli nom de village, le vague souvenir d'une bataille perdue, celle du 25 octobre 1415, il pleut dru, des hallebardes, sur l'Artois. Quelques milliers de soldats anglais qui ne songent qu'à rentrer chez eux se retrouvent pris au piège par des Français en surnombre. Bottés, casqués, cuirassés, armés jusqu'aux dents, brandissant fièrement leurs étendards, tous les aristocrates de la cour de France se précipitent pour participer à la curée. Ils ont bien l'intention de se couvrir de gloire, dans la grande tradition de la chevalerie française. Pour cette armée, pourtant en surnombre, bouffie de suffisance et alourdie par la bêtise, aucun n'en reviendra vivant. Toutes les armées du monde ont, un jour ou l'autre, pris la pâtée, mais pour un désastre de cette ampleur, un seul mot s'impose : grandiose ! Jean TEULE est un magicien des mots, mélangeant des mots anciens, comme nouveaux, il savait restituer une atmosphère, dans cette bataille dans la gadoue, une déroute, un fiasco ou une dérouillée.

Sociologue, observateur attentif, avec finesse et distanciation de la société, en 1988, dans «Gens de France», Jean TEULE brosse la peinture de personnages décalés, des drôles d'allumés en proie à quelques drames, qu'il épingle sur sa toile avec la délicate attention d'un humaniste parfois cruel. Il avait l'art d'explorer l'inexploré, les sujets inexploités, de dénicher les secrets là où personne ne pensait les trouver. «Gens de France» est également, une œuvre autobiographique formellement radicale et décalée où l'auteur toujours présent face à son sujet d'enquête, ne se dispense pas de commentaires narquois ou de pensées complices frôlant parfois la confession. Il explore sans tabou, l'âme de ses contemporains, il se met aussi souvent personnellement à découvert.

«Héloïse, Ouille !» c’est cette histoire légendaire d’amour entre Pierre ABELARD (1079-1142)  et Héloïse (1092-1163). En l'an 1118, le célèbre théologien Pierre ABELARD est sollicité par un influent chanoine pour parfaire l'éducation de sa ravissante nièce, Héloïse. D'une réputation irréprochable, ABDELARD n'a qu'une seule et unique maîtresse : la dialectique. Mais les charmes irrésistibles d'Héloïse s'apprêtent à lui faire découvrir une dimension jusqu'alors inconnue : l'amour fou, quel qu'en soit le prix à payer. Dans cette passion au-delà de toute rationalité, Jean TEULE avec son talent faire renaître un texte d’amour du Moyen, transgressif, débridé, un amour qui touche au divin, et fait entrevoir l'absolu. Il y a de l’audace dans la façon dont Jean TEULE décrit cette relation passionnelle, probablement avec les yeux de notre temps, avec un vocabulaire empreint d’érotisme et de grands élans que certains jugent pornographiques.

Son roman, «Le Montespan», ne concerne pas la favorite de Louis XIV, mais son mari cocu qui voulait sauver son honneur, Louis-Henri de PARDAILLAN, marquis de MONTESPAN (1640-1691), un aristocrate désargenté. Au temps de Louis XIV, le Roi-Soleil, avoir sa femme dans le lit du monarque, était pour les nobles une source de privilèges inépuisables. «Tout le monde se moquait de lui comme Saint-Simon ou Madame de Sévigné. Personne ne comprenait cet homme qui était amoureux de sa femme quatre ans après l’avoir épousée. C’est en fait l’histoire d’un mari amoureux alors qu’à l’époque, surtout dans la noblesse, on ne se mariait jamais par amour. L’amour et le mariage n’avaient rien à voir. On ne se marier que pour des raisons d’argent, pour associer des familles, etc.» dit Jean TEULE. Le jour où Louis XIV jeta son dévolu sur Françoise de ROCHECHOUART de MORTEMARY, dit Mme de MONTESPAN (1640-1707), chacun, à Versailles, félicita le mari de sa bonne fortune. C'était mal connaître le marquis de MONTESPAN. Gascon fiévreux et passionnément amoureux de son épouse, il prit très mal la chose. Dès qu'il eut connaissance de son infortune, il orna son carrosse de cornes gigantesques et entreprit de mener une guerre impitoyable contre l'homme qui profanait une union si parfaite. Refusant les honneurs et les prébendes, indifférent aux menaces répétées, aux procès en tous genres, emprisonnements, ruine ou tentatives d'assassinat, il poursuivit de sa haine le Roi Soleil pour tenter de reconquérir sa femme. Le mari cocu, mais attaché à son honneur et à sa femme, projette d’aller voir des prostituées à Paris pour attraper des maladies qu’il refilera à sa femme et dont il espère, elle transmettra au Roi. C’est donc l’histoire d’un mari courageux et orgueilleux, n’acceptant pas cette injustice, et dont tout le monde se moque. Il sera le premier à oser contester la légitimité de la monarchie absolue de droit divin. Mais le Roi le jettera en prison et il sera contraint à l’exil. Juste avant de mourir, le marquis de Montespan dira à propos de sa femme : «Je ne réclame que la gloire de l’avoir aimée».

Remarquable conteur, avec une plume enjouée et un humour caustique, ce roman historique de Jean TEULE, «Le Montespan», un énorme succès littéraire, vendu à 600 000 exemplaires, a été récompensé, le mercredi 21 mai 2008, du  Grand Prix Jean d'HEURS du roman historique, le Prix Maison de la Presse, et a été porté au théâtre.

Historien de personnages hors norme, Jean TEULE est aussi un avocat de la cause des femmes martyrisées dans les «Lois de la gravité». Dans ce roman, une femme rentre dans un commissariat pour s’avouer être la meurtrière de son mari disparu dix ans plus tôt. Elle l’a tué en le poussant par la fenêtre du 11ème étage, car il était sadique, la battait elle et ses enfants, alcoolique, dépressif. Il sortait d’un hôpital psychiatrique après avoir tenté de se tuer plusieurs fois, il s’agissait donc là d’un suicide et tout le monde l’a cru à l’époque. Mais prise de remords, elle se dénonce dix ans après jour pour jour car le lendemain, le crime sera prescrit. Le Commissaire Pontoise ne veut pas l’arrêter, car pour lui elle a tué un salaud et a protégé l’avenir de ses enfants. Pendant des heures, la meurtrière et le policier vont s’affronter.

Humaniste, frère de tous les vaincus de la vie, des dégantés, et des meurtris, puissants comme anonymes, Jean TEULE s’est intéressé notamment au sort des détenus, dans «Longues peines». Ce livre relate, avec un grand réalisme, l’univers carcéral des détenus et de leurs gardiens, où tout le monde souffre d’amour, de solitude et de folie, un monde dur et souvent cruel, où chacun tente de survivre en se raccrochant à une lueur d’espoir. Dans cette immense souffrance humaine, Jean TEULE décrit avec brio un univers cruel, avec ses rituels et ses règles. La prison réhabilite-t-elle le condamné ? Est-elle la seule réponse pénale en cas de trouble à l’ordre public ? Le détenu, quelque soit ce qu’on lui reproche, reste un Homme, digne d’attention. Une leçon d’humanisme, de compassion et de bienveillance.

 II – Jean TEULE et l’Histoire littéraire

Jean TEULE s’est attaqué aux géants de la littérature française, en particulier aux écrivains maudits et de génie, frappés par la souffrance et la tragédie, comme Charles BAUDELAIRE, Arthur RIMBAUD et Paul VERLAINE : «Ils ont un point commun, tous : leurs problèmes viennent de la mère. Verlaine ses relations avec sa mère sont invraisemblables, une alternance entre passion et haine. Rimbaud appelait sa mère «la bouche d’ombre». Leurs rapports étaient très bizarres, elle était dingue… La veille de l’enterrement de son fils elle a passé la nuit au fond de la tombe pour savoir comment serait son fils une fois inhumé. Baudelaire, sa blessure fondamentale c’est d’avoir une passion qui tient de la psychiatrie pour sa mère. Et le fait qu’elle se soit remarié 19 mois après la mort de son père a tout déclenché. Pendant le buffet dinatoire du remariage, il a fermé à clé la chambre conjugale puis jeté la clé dans un puits» dit Jean TEULE.

Jean TEULE est l'auteur de «Crénom, Baudelaire», donc sur Charles BAUDELAIRE (1821-1867, voir aussi mon article). Il faisait partie, comme Jean-Paul SARTRE, de ces auteurs hostiles au dandysme de ce poète maudit. «Si l'œuvre éblouit, l'homme était détestable. Charles Baudelaire ne respectait rien, ne supportait aucune obligation envers qui que ce soit, déversait sur tous ceux qui l'approchaient les pires insanités. Drogué jusqu'à la moelle, dandy halluciné, il n'eut jamais d'autre ambition que de saisir cette beauté qui lui ravageait la tête et de la transmettre grâce à la poésie. Dans ses vers qu'il travaillait sans relâche, il a voulu réunir dans une même musique l'ignoble et le sublime. Il a écrit cent poèmes qu'il a jetés à la face de l'humanité. Cent fleurs du mal qui ont changé le destin de la poésie française» écrit Jean TEULE. BAUDELAIRE est misogyne, désagréable avec tous, insupportable, un être fantasque, mais sa poésie, «Les fleurs du mal», c’est l’Everest !» dit-il. Par conséquent, Jean TEULE est, quelque part, attiré par ces personnages hors normes, provocateurs ou tragiques ; sa mère, Alice, avait l’habitude de lui raconter des histoires horribles à provoquer des cauchemars, comme ce motard voulant doubler un camion, un objet contondant lui a coupé la tête, et la moto a continué sa route.

«Je, François VILLON» ou François de MONTCORBIER dit VILLON (1431-1463), poète du Moyen-âge, est peut-être né le jour de la mort de Jeanne d'Arc, à Rouen, le 30 mai 1431. Son père pendu au gibet des voleurs et sa mère suppliciée, François fut confié à un homme d’église, maître Guillaume de VILLON (1405-1468), qui devait en faire un clerc tonsuré. François, ayant pris le nom de son tuteur, aura appris le grec et le latin à l'université de Paris. Las, le jeune homme va montrer d’autres dispositions : Ripailles, fréquentation des filles de mauvaise vie, chansons, beuveries rythment sa vie. Il a joui, menti, volé dès son plus jeune âge. Il a fréquenté les miséreux et les nantis, les étudiants, les curés, les prostituées, les assassins, les poètes et les rois. Aucun sentiment humain ne lui était étranger. François est poète, il dit des poèmes doux et sait tirer, de la paillardise et de la misère, les mots de la beauté et de l’émotion. «Ce n’est pas le scintillement de la neige que la branche que je vois en hiver mais les engelures aux pieds. Nu comme un ver, vêtu en président, je ris en pleurs et attends sans espoir je me réconforte au fond du désespoir, je me réjouis sans trouver le moindre plaisir» chante François VILLON. Pris en grippe par le sergent du guet, doit se cacher chez une belle qui lui offre une histoire d’amour qu’il trahit de façon ignominieuse.

Jean TEULLE, avec son talent littéraire, sait restituer une atmosphère, une époque sombre avec ses ténèbres, une vie de malheurs, de vices et de crimes, de vols, de mendicité, d'indigence d'une bonne partie de la population, une justice cruelle où les pendaisons, précédées de toutes sortes de tortures, étaient publiques, un passe-temps pour la foule. Des plus sublimes aux plus atroces, François VILLON a commis tous les actes qu'un homme peut commettre. Il a traversé comme un météore trente années de l'histoire de son temps et a disparu un matin sur la route d'Orléans. Il a donné au monde des poèmes puissants et mystérieux, et ouvert cette voie somptueuse qu'emprunteront à sa suite tous les autres poètes : l'absolue liberté. «Villon est à la poésie ce que Renoir est au cinéma ou Bruce Springteen au rock : le patron, le boss. Il est le premier poète moderne. Avant lui, la poésie n'est que forme. Elle est bucolique avec des scènes de bergers, des rimes artificielles. Villon écrit, et il fait exploser ces codes-là. Au scintillement de la neige sur la branche, il rétorque les engelures aux pieds. Il est dans le réel. Il est dans le corps, dans la souffrance, pas dans la crème chantilly de la cour du roi René. C'est le premier poète à foutre son» dit Jean TEULE à Marie-José SIRACH de l’Humanité.

«Ô Verlaine» relate l’histoire d’un autre poète maudit, Paul VERLAINE (1844-1896) alcoolique grandiose, amant frénétique et désordonné «J’ai toujours été amoureux d’un sexe ou deux» dit-il. Dans son existence faite de démesure, Paul VERLAINE oscilla, jusqu'à sa mort, entre l'ignoble et le sublime. C'est à la toute fin de sa vie, au moment de la pire déchéance morale et matérielle. Paul VERLAINE a souffert de plusieurs maux : syphilis, altération sanguine, diabète, souffle au cœur, cirrhose du foie, érysipèle infectieux, hydarthrose, pneumonie et cette liste est incomplète. Le préfet Louis LEPINE (1846-1933) le protégeât le génie de la poésie à terre contre les gens aux idées courtes et ses funérailles grandioses.

Jean TEULE nous relate la vie de VERLAINE, à travers, un narrateur Henri-Albert Cornuty, un étudiant de Béziers monté à Paris, à la Villette, chez son oncle, dans mon XIXème arrondissement, pour y croiser le poète maudit. La rencontre a lieu à l'automne 1995 et le voyage prend fin trois mois plus tard, à la mort de Paul VERLAINE. Jean TEULE relate donc les derniers instants d'extravagance et de souffrance, de folie douce et de maladie, du poète, vivant dans un Paris du XIXème siècle puant, magnifique, vivace et crasseux, un petit peuple marqué par l’indigence et la maladie, vivant dans la boue ; une vie et une époque qu'il écrit et invente, avec une bonne dose de réalisme et d'ironie. Le sordide côtoyant le sublime, le personnage de VERLAINE que décrit Jean TEULE est magnifique et terrifiant, est dépeint dans une plume incisive, moderne avec des anecdotes savoureuses, entre crises de mysticisme, désordre existentiel. Somme toute, c’est une biographie pathétique, un bel hommage au poète, loin des éloges traditionnels ou des leçons théoriques d'histoire littéraire. On sent, comme pour Charles BAUDELAIRE et François VILLON, que Jean TEULE a une certaine tendresse pour les artistes indigents et hors norme. De saynètes piquantes en tragédies de la misère, Jean TEULE célèbre par conséquent la figure du génie de la poésie française, Paul VERLAINE.

«Rainbow pour Rimbaud» est une fable poétique sur Arthur RIMBAUD (1854-1891). On n'est pas sérieux quand on a 36 ans, une queue-de-cheval rouge, une taille de géant et une armoire pour couche de prédilection. Robert vit à Charleville-Mézières, chez ses parents. Ici, Jean TEULE nous raconte la vie d'un homme qui s'identifiera jusqu'au bout à RIMBAUD, de l'amour qu'il va découvrir avec une jeune fille qui abandonnera tout pour le suivre sans pour autant le comprendre, et de l'avis de quelques personnes qui vont croiser le chemin de ce couple pas comme les autres, tout à fait atypique et incompréhensible. On y retrouve également le style poétique de Boris VIAN  et bien sûr, il est parsemé de citations de RIMBAUD. Dans sa création littéraire, parfois déroutante, mais innovante, Jean TEULE explore les poètes atypiques. En effet, comme d'autres connaissent toutes les paroles de leur chanteur préféré, Robert sait tout Rimbaud. Par cœur. Isabelle, standardiste à la SNCF, ne sait encore rien de Rimbaud, rien de l'amour, ni rien du monde. Un doux colosse nominé Robert, échappé de Charleville, les lui révélera. Entre Le Caire, l'île Maurice, Dakar et Tarrafal, ces deux-là brûleront d'amour et de poésie. Vagabonds célestes, amants absolus, ils laissent à jamais sur le sable et sur les âmes la trace de leurs semelles de vent. Enfin, leur odyssée sublime confirmera le mot du poète, tatoué sous le nez même de Robert : « Je est un autre... Je est Rimbaud».

 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

A – Contributions de Jean TEULE

 TEULE (Jean), Azincourt par temps de pluie, Paris, Mialet-Barrault, «J’ai Lu», 2022, 219 pages ;

TEULE (Jean), Ballade pour un père oublié, Paris,  Robert Laffont, 2011, 80 pages ;

TEULE (Jean), Bord cadre, Paris, Pocket, 2009, 175 pages ;

TEULE (Jean), Charly 9, Paris, Pocket, 2012, 221 pages ;

TEULE (Jean), Comme une respiration, Paris, Julliard, 2016, 156 pages ;

TEULE (Jean), Copy-rêves, Grenoble, Glénat, 1984, 109 pages ;

 TEULE (Jean), Crénom, Baudelaire, Le Mans, Libra Diffusio, 2021, 560 pages ;

TEULE (Jean), Darling, Paris, Julliard, 1998, 242 pages ;

TEULE (Jean), Entrez dans la danse, Paris, Julliard, 2020, 173 pages ;

TEULE (Jean), Fleur de tonnerre, Paris, Julliard, 2014, 259 pages ;

TEULE (Jean), Gare au Lou !, Paris, Julliard, 2020, 173 pages ;

TEULE (Jean), Gens de France, Paris, Casterman, 1988, 78 pages ;

TEULE (Jean), Héloïse Ouille !, Paris, Pocket, 2016, 313 pages ;

TEULE (Jean), Je n’aime pas les gens qui se prennent pour, préface de Florence Cestac, Paris, Hoëbeke, 2009, 64 pages ;

TEULE (Jean), Je, François Villon, Paris, Pocket, 2007, 432 pages ;

TEULE (Jean), L’œil de Pâques, Paris, Pocket, 2011, 156 pages ;

TEULE (Jean), Le magasin des suicides, Le Mans, Libra Diffusio, 2010, 144 pages ;

 TEULE (Jean), Le Montespan, Paris, Pocket, 2009, 309 pages ;

TEULE (Jean), Les gens de France et d’ailleurs, Angoulême, Ego comme X, 2005, 225 pages ;

TEULE (Jean), Les lois de gravité, Paris, Julliard, 2003, 139 pages ;

TEULE (Jean), Longues peines, Paris, Pocket, 2011, 184 pages ;

TEULE (Jean), Mangez si vous voulez, roman, Le Mans, Libra Diffusio, 2011, 131 pages ;

TEULE (Jean), Ô Verlaine, Paris, Pocket, 2006, 337 pages ;

TEULE (Jean), Rainbow pour Rimbaud, Paris, Julliard, 2008, 204 pages.

B – Critiques de Jean TEULE

BOURBON (Estelle), Immersion et distanciation, le paradoxe de multi-sensorialité dans la mise en scène de «Mangez-le si vous le voulez» de Jean Teulé, par le Fouic théâtre, thèse Université de Montréal, février 2018, 107 pages et un annexe ;

CATINCHI (Philippe-Jean), «La mort de Jean Teulé, écrivain, chroniqueur et Bédéaste», Le Monde, 20 octobre 2022 ;

CEYLAC (Catherine), «Invité : Jean Teulé,», émission télévisée Thé ou Café, dimanche 9 octobre 2016 ;

FERNIOY (Christine), LIGER (Baptiste), «Jean Teulé, je suis un aspirateur à dingues», L’Express, 24 octobre 2016 ;

RIOUX (Philippe), «Jean Teulé est mort», La Dépêche du Midi, 20 octobre 2022 ;

SANDEAU (Laurence), «Jean Teulé, conteur d’histoire», Save My Brain, 9 octobre 2012 ;

SIRACH (Marie-José), «François Villon, poète voyou», L’Humanité, 6 avril 2006 ;

VAUTRIN (Jean), Bloody Mary, illustration de Jean Teulé, Poitiers, éditions Flblb, 2018, 126 pages.

Paris, le 26 février 2023, par Amadou Bal BA -

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