
«Le président Macky SALL : comment évaluer le résultat des municipales du 23 janvier 2022 au Sénégal ?» par Amadou Bal BA -
A entendre les tintamarres de l’opposition, après le résultat des municipales du 23 janvier 2022, l’alternance en 2024 aurait déjà eu lieu, et par anticipation ; ils auraient gagné. Point n’est donc plus besoin d’organiser les prochaines élections présidentielles. Comment donc évaluer, objectivement et lucidement, le résultat des élections locales et départementales du 23 janvier 2023, ainsi que ses incidences, à court et moyen terme, sur le jeu politique au Sénégal ?
1ère observation : le Sénégal, «un Grand petit pays», confirme sa position de modèle de la démocratie en Afrique
Au moment où l’on note une résurgence des coups d’Etat militaires (Mali, Guinée et Burkina-Faso), le Sénégal est, et reste, une grande démocratie apaisée, respectée, où des élections transparentes et libres se déroulent, à échéances régulières, dont les résultats sont acceptés par tous. De ce point de vue, et en dépit d’un terrorisme intellectuel d’une partie de l’opposition, le Sénégal est bien, «un Grand petit pays», en référence au titre de mon titre de mon 3ème ouvrage qui vient de paraître chez Amazon.
Ce calme et cette sérénité des élections locales tranchent avec un passé électoral marqué parfois par de graves violences. Ainsi, en 1951, dans la compétition entre Léopold Sédar SENGHOR (1906-2001) et son mentor maître Lamine GUEYE (1891-1968), des militants de la SFIO ont été assassinés en Casamance. En réplique, et à Thiès, Aïnina FALL, un partisan de SENGHOR, a été lynché à mort. A la suite de violences aux municipales à Saint-Louis, certains dirigeants du Parti africain de l’Indépendance (PAI) sont emprisonnés, d’autres ont été exilés, comme Majemout DIOP (1922-2007) et Amat DANSOKHO (1937-2019). On sait maintenant que les poseurs de bombes, en 1988, ayant causé une année blanche, et les assassins de maître Babacar SEYE (1915-1993), sont connus de maître Abdoulaye WADE.
Par ailleurs, ce qui a frappé tous les observateurs, et contrairement à l’abstention qui avait battu des records aux dernières élections locales en France (58% aux municipales de juin 2020 et 65% aux régionales du 27 juin 2021), c’est la forte mobilisation des électeurs sénégalais, jeunes comme Anciens, dans ces locales du 23 janvier 2022. La conséquence de cet engouement et de cette forte participation, c’est que le résultat de ces locales a été très serré, âprement disputé, dans certaines villes (Ogo, Thiès, Rufisque).
A ma connaissance, cependant, aucune femme n’a été élue maire d’une grande ville.
2ème observation : le rapport de forces entre l’opposition a-t-il été bouleversé ?
Si l’on ne s’en tenait qu’à une lecture rapide et superficielle du titre des journaux sénégalais, on aurait eu l’impression d’une grande alternance au Sénégal : «La grosse punition (de Macky)», titre «Mandat», «Avertissement avec frais» écrit «24 heures», «un autre vent souffle» dit «Vox Populi», «Sall fin de Macky» entonne «Source», «Le vent Yaw souffle sur le pays» dit «l’As», «Alerte au 3ème mandat» écrit «L’Evidence», «Locales 2022, Yewi, la razzia» dit «L’Obs», et «Walf Quotidien» est sans nuance «Yewwi prend le pouvoir», le journal «l’Enquête» parle de «Grand séisme». Qu’en est-il exactement ?
L’opposition a, certes, gagné de grandes nouvelles villes, mais celles-ci étaient déjà détenues, non pas par la majorité gouvernementale, mais d’autres composantes de l’opposition. C'est donc un basculement à l'intérieur même de l'opposition, confirmant ainsi l'effondrement du Parti démocratique sénégalais de maître Abdoulaye WADE qui avait voulu imposer son fils, Karim WADE, en exil et condamné pour détournement de derniers publics (environ 6 milliards d'euros). Ainsi, pour ce qui est donc de Dakar, ville gagnée par Barthélémy DIAS, il n’a échappé à personne que la capitale, dirigée auparavant par Khalifa SALL, déchu de ses droits civiques, avait pour maire Mme Soham EL WARDINI. S’agissant de Ziguinchor, détenu par Abdoulaye BALDE un opposant, a été conquise par Ousmane SONKO, un autre opposant. A Kaolack, le vainqueur, M. M’BOUP, est plutôt proche de la majorité présidentielle. Touba était déjà dans l’opposition.
L’autre grande bataille du leadership avait lieu au sein de la majorité présidentielle, dans la région de Matam. Farba N’GOM, griot et maire de Agnam, avait engagé une bataille déloyale à l’égard de maître Malick SALL, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Finalement, avec la victoire de Abou DIALLO BALEL à la commune de Ogo, et des maires qu’il a soutenus à N’Guidjilone, Ranérou, et Kanel, maître Malick SALL, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, est devenu, incontestablement, le chef de la majorité présidentielle dans le Fouta-Toro. Animé d’une compassion à l’égard des déshérités, maître Malick SALL bénéficie d’une grande estime des habitants du Fouta-Toro, une région convoitée et stratégique. Au conseil des ministres du mercredi 26 janvier 2022, le président Macky SALL a dit aux membres du gouvernement : «Préparez vos dossiers. Le gouvernement aura un Premier ministre !». Il est des hommes, comme le griot Farba GNOM, qui plombent la bonne action du président Macky SALL.
Par conséquent, Maître Malick SALL, homme généreux, discret, loyal, efficace, est l’une pièce maîtresse du président Macky SALL au Fouta-Toro, aucun candidat ne pourra gagner les élections présidentielles, sans l’appui des Foutankais. Le Fouta n’est pas qu’une référence géographique, les Peuls sont présents partout au Sénégal et à travers le monde.
3ème observation : rien n’est joué pour les présidentielles de 2024 : le peuple souverain décidera, tranchera le moment venu.
Il n’appartient pas à l’opposition, de décider à l’avance, qui peut, ou non, candidater aux élections présidentielles de 2024. Le grand mérite revient au président Macky SALL d’avoir gravé dans le marbre, la limitation du mandat présidentiel, à travers le référendum du 20 mars 2016. En effet, l’opposition bipolaire avait farouchement combattu cette réforme ayant consolidé la démocratie sénégalaise.
Limitation des mandats présidentiels à deux ? oui, mais à partir de quand ?
Je reste convaincu que c’est une question d’application des lois dans le temps. En 2016, le président Macky SALL avait déjà entamé son premier mandat depuis 2012. Par conséquent, en raison du principe de non-rétroactivité, les lois sévères ne rétroagissent pas dans le passé. En définitive, rien, sur le plan juridique, ne peut légalement empêcher au président Macky SALL de se représenter, en 2024. Le reste, c’est une question de légitimité. En effet, le Sénégal, «un Grand petit pays», ancré dans la démocratie, le peuple souverain tranchera le moment venu.
Pour ma part, et en dehors de la nomination d’un premier ministre et d’une nouvelle équipe gouvernementale, le président Macky SALL, un Pharaon des temps modernes, devrait structurer la majorité présidentielle autour d’un grand parti de centre-gauche, continuer les réformes structurantes et consolider la démocratie locale, en rééquilibrant la ville et la campagne, en s’attaquant aussi à l’emploi et à la formation des jeunes.
En dépit du nombre important de partis politiques, dont certains sont insignifiants et appelés «partis cabines téléphoniques», deux pôles se dégagent à la suite des élections locales du 23 janvier 2022 : la majorité présidentielle et la vaste coalition de Yewwi, un conglomérat différentes forces politiques. Cela au moins a l’avantage de la clarté.
4ème observation : ce scrutin reste, avant tout, des élections locales
Je félicite les nouveaux élus dans les départements et les communes. Une des grandes questions majeures est la place de l’argent dans la société sénégalaise qui a tout pourri. En effet, l’ancien maire de Dakar, Khalifa SALL, un dissident socialiste, a une belle rhétorique de gauche, mais ce sont les détournements de deniers publics de sa ville qui l’ont perdu.
Le nouveau maire de Ziguinchor, M. Ousmane SONKO, n’est pas encore totalement lavé de tout soupçon de viol, dans un salon de massage, une très belle carte de visite. S’agissant, nouvel élu maire de Dakar, Barthélémy DIAS, il a un casier judiciaire et du sang dans les mains. En effet, Barthélémy DIAS est directement mis en cause dans une affaire criminelle du 22 décembre 2011, concernant l’assassinat un militant du PDS, N’Diaga DIOUF, devant sa mairie. En effet, Barthélémy DIAS, ce jour-là videra, au moins, deux chargeurs de 17 balles sur ses assaillants. «La route qui me menait chez moi était bloquée. Je ne pouvais pas fuir ou retourner dans ma mairie. Je me suis battu pour ma vie» dit-il pour sa défense. Pour ces faits, Barthélémy DIAS a été condamné, en première instance, le 16 février 2017 «pour coups mortels» à deux ans de prison, dont six mois fermes. Il s’estime avoir tiré en légitime défense.
En dehors de ces questions criminelles ou de prédation sexuelle, l’un des problèmes important dans le jeu politique, est la place de l’argent aussi bien au niveau national que local. Les maires nouvellement élus vont être confrontés à différents parasites ou quémandeurs. C’est aux actes, et non aux beaux discours, qu’il faudra juger un homme politique.
Bonne chance au Sénégal !
Paris, le 27 janvier 2022, par Amadou Bal BA -