En particulier, la société peule très hiérarchisée et féodale, tend vers plus d’égalité, par une acceptation des mariages entre castes, un refus lent mais inexorable de la polygamie et de tout mariage forcé.

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«Debbo, Femme, Haal, exprime-toi» par Amadou Bal BA -
«A toutes les femmes formidables et ordinaires qui rendent la vie de leurs gens extraordinaire, à grand renfort de charge mentale, qui peut se révéler être une charge létale» écrit dans sa dédicace, Debbo, la femme en Peul.
L’autrice, «Debbo», signifie en Peul la femme, et s’exprime donc sous un pseudonyme. Le titre de l’ouvrage, «Haal», également en Peul, prend la parole ou exprime-toi, est une puissante exhortation de la femme, étouffée par le patriarcat et par une structure familiale conservatrice, à s’exprimer, à se confesser sur ses souffrances, afin de se libérer de ces carcans qui l’étouffent. L’éditeur, CoolLbri, se situe à Toulouse, où j’ai commandé ce livre.
Par conséquent, et à partir de ces maigres indications, j’en ai déduis, sans certitude, que l’autrice est issue de la diaspora sénégalaise peule, résidant en France. En effet, un texte en Peul, non traduit en français, aux pages 12 et 13, faisant référence au chanteur Baaba MAAL (voir mon article sur cet artiste peul, 31 décembre 2019, Médiapart), estime que le silence tue et les ténèbres vous ensevelissent.
L’ouvrage, rédigé sous forme de confession, à partir d’un journal intime, est divisé en différents chapitres : le mariage, la chambre, la virginité, bout de chair ou l’excision, la jeune fille au pagne, la dépression, le divorce, la femme infâme, Magical Con, née pour paraître, chère société peule, bataille, garde alternée, entre vous et nous, mysoginoire, O femme noire, le royaume du désespoir, mère, terre inhospitalière et mère trop tôt.
Ce livre poétique, un style simple, mais incisif, rappelle, en partie, «la Belle du Seigneur» d’Albert COHEN (1895-1981), une conquête, une possession suivie d’une destruction. Dans ce système, bien huilé de la cellule familiale peule, depuis des millénaires, contraignant au mariage endogamique des jeunes filles, à peine sortie de la puberté, l’amour est censé, mécaniquement, venir plus tard, après la naissance des enfants, et une communauté d’intérêts. Mais, il y a un mais, après la défloration et la naissance, rien ne se passe comme prévu ; c’est un processus d’anéantissement de la femme qui se met en marche. Debbo dénonce violemment ces mécanismes surannés et décalés en Europe, de la société conservatrice peule : «Je t’aime sincèrement, j’ai grandi en ton sein et je suis fière de ce que je suis, de ma richesse culturelle. Mais j’ai quelques petites choses à te dire, et cela ne te plaira pas, aussi ne me pense pas ingrate ou mal élevée. Je te dis tout ça, pour que ça change en mieux. Chère société Haalpulaar, je voudrais savoir pourquoi tu ne laisses pas tes filles rester des petites filles. Un enfant n’oublie jamais le bien qu’on lui a fait, et encore moins, le mal qu’on lui a fait» écrit Debbo.
Finalement, ce livre de Debbo me parle, à travers un destin singulier, tragique et étouffant, il fait le procès d’une société conservatrice, d’un autre âge, mais aussi l’éloge de la liberté de la femme, aspirant à plus de liberté et de dignité. Dans ce conflit, entre tradition et modernité, jadis, dans la société traditionnelle peule, agraire avec une terre indivise appartenant à tout le groupe, et fondée sur l’élevage, l’individu n’existait pas en dehors de son clan, de sa famille qui le protégeait par un système d’alliances fondé sur le mariage ; en contrepartie de cette liberté ainsi aliénée, une solidarité sans failles est accordée à chacun, une sorte de sécurité sociale du groupe, «Neddo Ko Bandoum» en Peul ou «L’Homme est le remède l’Homme» suivant nos parents et amis Ouolofs.
Cependant, l’apparition de l’Etat, la monétarisation des rapports sociaux, l’émergence de l’individualisme, l’immigration, toutes ces valeurs traditionnelles sont en train de voler en éclats. En particulier, la société peule très hiérarchisée et féodale, tend vers plus d’égalité, par une acceptation des mariages entre castes, un refus lent mais inexorable de la polygamie et de tout mariage forcé. Désormais, la femme n’est plus le jouet du groupe ; elle a voix au chapitre, notamment quand elle a été éduquée et dispose de ressources pour son autonomie. En effet, dans l’Angleterre victorienne, les femmes étaient aussi douées que les hommes, mais leur liberté intellectuelle dépendait des choses matérielles ; pour pouvoir affirmer et exposer leur génie, il leur fallait de quoi vivre, du temps et une chambre à soi : «Une femme, pour être en mesure d’écrire doit avoir de l’argent et une chambre à elle ; et cela, comme vous allez le voir, ne résout en rien le grand problème de ce qu’est la nature de la femme et la vraie nature de la littérature» Virginia WOOLF (voir mon article, 28 décembre 2021, Médiapart). De nos jours, je vous avais déjà relaté les extraordinaires combats littéraires de grandes dames écrivaines du Sénégal contre ce système fondé sur la misogynie et le patriarcat : Mariama BA (28 octobre 2016, Médiapart), mon amie et sœur, Mariétou M’BAYE dite Ken BUGUL, 33ème femme d’un marabout (3 novembre 2017, Médiapart), Aminat SOW FALL (28 avril 2016, Médiapart), Annette M’BAYE D’ERNEVILLE (7 août 2022, Médiapart), Safi FAYE (11 mars 2023, Médiapart), Fatou DIOME, ( 21 février 2023, Médiapart).
Par conséquent, ce combat de l’autrice Debbo, pour la dignité de la femme, est plus que jamais d’actualité, puisque M. Ousmane SONKO, le DSK sénégalais (Voir mon article, 23 mai 2023, Médiapart), accusé d’un viol par sa masseuse, Mme Adji SARR, au lieu de se défendre utilement devant le tribunal, n’a trouvé d’autre argument que de qualifier, sa protagoniste de «Guénon atteinte d’un AVC», de vilaine. En effet, pour M. SONKO, chef de l’opposition, un pervers narcissique, rien ne le pousserait à violer Mme Adji SARR, en raison de son physique qu’il juge disgracieux : «J’ai le regret de constater qu’en lieux et places des réponses pertinentes sur ses responsabilités dans les viols répétitifs que j’ai subis, il a préféré s’épancher sur mon physique, allant jusqu’à me comparer à une gorille atteinte d’AVC. Ces propos, en dehors de leur impertinence, ont le mérite de mettre à nu les carences intellectuelles et morales de cet homme qui la prétention démesurée de présider aux destinées de notre cher Sénégal» réplique Mme Adji SARR. Par ailleurs, c’est parce que M. SONKO, aux législatives 2022, n’avait pas respecté la loi sur la parité, que sa candidature aux législatives avait été invalidée. Une partie de la classe politique sénégalaise est donc restée fondamentalement misogyne, traitant avec mépris les femmes.
Aux Etats-Unis, pourtant un grand pays prétendument démocratique, la femme n’a jamais été considérée comme l’égale l’Homme. Ainsi, Tina TURNER (voir mon article, 25 mai 2023, Médiapart), pourtant une artiste de génie, reconnue mondialement, avait longtemps subie des sévices, humiliations et violences de son mari Ike TURNER. L’unique mandat de Donald TRUMP, un misogyne, d’une grande obscénité et vulgarité assumée, a été émaillé de déclarations scandaleuses. «Je suis automatiquement attiré par les belles femmes, je les embrasse tout de suite, c’est comme un aimant. Je n’attends même pas. Et quand vous êtes une star, elles vous laissent faire. Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, les attraper par la chatte» avait Donald TRUMP, propos tenus en 2005 et révélés par le Washington Post du 7 octobre 2016.
En France, dans ce «contrat racial», suivant le titre d’un ouvrage de Charles Mills WADE, depuis 1789, il n’y a jamais eu de femme présidente de la République française, en raison du «privilège de l’homme blanc», suivant une expression de Jean-Paul SARTRE (Voir mon article du 14 février 2023, Médiapart). A la Révolution, dès l’origine, on a exclu de la plénitude des droits les colonisés, les esclaves et les femmes réduites à la minorité dans le Code civil de Napoléon. Aussi, lors de la primaire des socialistes, quand Mme Ségolène ROYAL a entamé de présenter aux présidentielles de 2007, ses amis socialistes machos n’ont eu aucune honte à tenter de l’humilier. «Qui va garder les enfants ?» lui aurait dit, en 2006, Laurent FABIUS, maintenant président du Conseil constitutionnel. Naturellement, de nos jours, en France, dans un enfumage, pour noyer la vérité, et détourner le regard, on préfère parler de la femme voilée des banlieues, de la défense des femmes afghanes ou Ouïghours. Charles Wade MILLS (1951-2021) invitait à une jonction des luttes, entre Blancs progressistes et tous les opprimés (retraités, chômeurs, faibles revenus, femmes, etc.) à trahir leur race, par une solidarité de tous les vaincus, quel que soit leur groupe ethnique.
Par ailleurs, en France on a tendance à confondre la permissivité, le libertinage et la nudité à la liberté de la femme. Ainsi, à chaque fois qu'un rayon de soleil apparaît, on expose outrageusement ses nichons, son arrière-train et son nombril, en signe de libération de la femme. Dans cette conception superficielle et exhibitionniste de la liberté de la femme, des écrivaines, même de talent, racontent, sur plusieurs pages, leurs exploits sexuels avec de petits jeunes ou parfois leur avortement. En revanche, Simone de BEAUVOIR, une féministe de renom, a choisi, elle, de prendre de la hauteur. Pour Simone de BEAUVOIR, les femmes comme les racisés dans ce contrat racial souffrent des mêmes discriminations et doivent rester solidaires (Simone de BEAUVOIR 27 février 2022, Médiapart).
En particulier, dans la société peule, celle de la diaspora africaine en France, ce qu’écrit Debbo, au-delà de son destin personnel, est un message universel. Ainsi, lors de la seconde édition du salon du livre africain (Mon compte rendu, 6 mars 2023, Médiapart), j’ai eu le bonheur, au 2ème salon du livre africain, à la mairie du 6ème arrondissement de Paris, de découvrir Mme Djaïli Amadou AMAL, une peule, vivant en France, et originaire du Cameroun. On raconte que le premier homme que Neil ARMSTRONG (1930-2012) a vu sur la lune, le 21 juillet 1969, serait un Peul. Peuple mobile, venant d’Egypte, né sur une valise sur la tête, ils sont présents dans plus de 27 pays africains, avec un fond culturel commun. Mme Djaïli Amadou AMAL a relaté, au cours de son intervention lors de ce deuxième salon du livre, animée par M. Bernard MAGNIER, son parcours personnel. Née dans une famille traditionnelle, à Maroua, dans le département de Diamaré, dans l’extrême-Nord du Cameroun, en pays peul, la nuit faisant le mur pour aller à la bibliothèque découvrir des livres autres que les manuels scolaires insipides et infantilisants, Mme Djaïli Amadou AMAL, fiancée à 14 ans, sera mariée, de force, à 17 ans, par un homme politique de plus de 50 ans. Après une période de crise et de dépression, de tentative de suicide, elle se remarie à un homme polygame ; ils ont eu deux filles qu’on a voulu marier de force ; c’est à moment qu’elle s’enfuit vers le Sud, pour protéger ses enfants. Mme Djaïli Amadou AMAL sera remariée, une troisième fois, à Hamadou Baba, un écrivain, et a entamé une brillante carrière littéraire. Dans son roman autobiographique, «les impatientes», Mme Djaïli Amadou AMAL relate le destin de trois femmes mariées de force. Dans leur souffrance, tout ce recommande l’entourage, c’est la «Mougnaal» ou patience en Peul, la résignation, la soumission. Une femme obéissante ne pourra donner naissance qu’à de valeureux enfants. Dans cette société musulmane «Au bout de la patience il y a le ciel» dit un dicton Peul. Mais le ciel peut devenir un enfer. Ce roman est une dénonciation du mariage forcé, du viol conjugal, et consensus autour de la polygamie. Mme Djaïli Amadou Amal brise les tabous en dénonçant la condition féminine, les violences faites aux femmes, en Afrique, et en particulier dans la société peule. Je reviendrai sur cette pépite d’or qu’est Mme Djaïli Amadou AMAL, une féministe, une conteuse, une autrice prometteuse, un Prix Goncourt des lycéens 2020.
De ce que j’ai lu sur Debbo, Haal, je ne doute pas un seul instant, que nous sommes à l’aube et au début d’une très belle carrière littéraire.
Référence,
Debbo, Haal, Toulouse, éditions CoolLibri, février 2023, 107 pages, au prix de 17,90 €.
Paris, le 28 mai 2023, par Amadou Bal BA -