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Billet de blog 19 octobre 2025

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Gabon : L'affaire Ankama, révélateur des failles du dispositif sécuritaire

L'éviction brutale du commandant de la sécurité rapprochée du président révèle les contradictions d'une cinquième république qui peine à soumettre son appareil militaire à l'État de droit.

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Courrier de limogeage du lieutenant-colonel Lucamar Ankama, commandant du Groupement de sécurité rapprochée (GSR), le 14 octobre 2025

Le limogeage brutal du lieutenant-colonel Lucamar Ankama, commandant du Groupement de sécurité rapprochée (GSR), le 14 octobre dernier, constitue un tournant dans la gestion sécuritaire de la transition gabonaise. Au-delà du cas individuel, cette affaire met en lumière les dysfonctionnements structurels d'un appareil de sécurité encore largement imperméable aux règles de l'État de droit.

Une éviction précipitée aux origines troubles

Selon nos informations, les autorités auraient révoqué Ankama dans le contexte d'une séquence d'événements survenus début octobre. L'homme d'affaires chinois Wang aurait disparu le 2 octobre 2025, sans qu'un mandat légal ni un enregistrement officiel ne soient établis par les services compétents. Des sources concordantes évoquent l'implication présumée d'Ankama dans cette disparition, ainsi que dans un affrontement armé entre éléments de la Garde républicaine et agents de la Direction Générale des Recherches (DGR), qui aurait fait plusieurs blessés par balles.

Ces informations, bien que non officiellement confirmées par les autorités, circulent dans les cercles diplomatiques et sécuritaires de Libreville. L'ampleur de la crise a conduit l'ambassade de Chine à exiger des éclaircissements immédiats. Plaçant ainsi le pouvoir gabonais dans une situation diplomatique délicate, compte tenu de l'importance stratégique des partenariats sino-gabonais dans les secteurs minier et énergétique dans ce pays.

Un profil symptomatique 

Ankama incarnait une figure particulière au sein du dispositif sécuritaire présidentiel. Officier réputé pour son autoritarisme, il aurait progressivement étendu son influence bien au-delà de ses prérogatives statutaires. Le contrôle des accès au chef de l'État, la supervision d'un réseau d'informateurs infiltrant d'autres services : son mode opératoire illustrait la personnalisation excessive des fonctions régaliennes, caractéristique d'un système dans lequel la proximité avec le pouvoir prévaut sur le cadre institutionnel.

Son nom a également été cité, selon plusieurs sources, dans d'autres dossiers sensibles impliquant des abus de pouvoir et des violences qui sortiraient du cadre légal. Ces allégations, jamais formellement instruites par la justice, témoigneraient d'un climat d'impunité de fait pour certains cadres de l'appareil sécuritaire.

Djeskain, un profil de rupture

Le lieutenant-colonel Mabele Djeskain, qui succède à Ankama, présente un profil sensiblement différent. Les autorités ont choisi un officier discret, formé aux forces spéciales, reconnu pour son professionnalisme et sa discipline. Contrairement à son prédécesseur, Djeskain n'a jamais été publiquement associé à des affaires de corruption ou d'ingérence politique.

Sa nomination traduit une volonté de normalisation du GSR, dans un contexte où l'image de la sécurité présidentielle nécessitait un assainissement urgent. Pour les partenaires internationaux, ce choix constitue un signal rassurant, indiquant une intention de recentraliser le contrôle sécuritaire et de limiter les initiatives autonomes.

La question demeure de savoir si cette nomination relève d'une réforme structurelle ou d'un simple ajustement cosmétique destiné à apaiser les tensions immédiates.

Des implications économiques 

L'affaire Ankama soulève des interrogations sérieuses quant à la sécurité des investissements étrangers au Gabon. Le gouvernement multiplie les appels à capitaux pour des projets stratégiques : transformation du manganèse, infrastructures hydroélectriques, Zones Économiques Spéciales, projet Belinga. Pourtant, l'arbitraire présumé dont auraient été victimes des ressortissants étrangers constitue un signal profondément négatif.

Pour les investisseurs, notamment chinois, indiens et européens, cette séquence révèle un risque systémique : celui d'une sécurité juridique et physique qui dépendrait des rapports de force internes à l'appareil sécuritaire, plutôt que du cadre légal et contractuel. Un tel environnement compromet durablement la crédibilité économique du Gabon.

Une 5e République à l'épreuve de ses contradictions

L'affaire Ankama met en exergue les contradictions de la transition gabonaise. La 5ᵉ République, issue d'un coup d'État du 30 août 2023 qui promettait une rupture avec les pratiques de l'ancien régime, peine visiblement à se démarquer de certaines dérives héritées : militarisation du pouvoir, opacité des structures sécuritaires, absence de mécanismes de contrôle civil effectifs.

L'éviction d'Ankama n'a pas été suivie d'une enquête judiciaire formelle ni d'inculpation. La sanction est restée purement administrative, ce qui suggère que la priorité résidait dans la gestion de crise diplomatique plutôt que dans l'établissement des responsabilités juridiques.

Cette logique soulève une question centrale : le régime peut-il soumettre l'appareil sécuritaire à l'État de droit, ou se contentera-t-il de gérer les crises au cas par cas, en sacrifiant les éléments devenus trop visibles ? La Garde républicaine demeurerait, selon plusieurs observateurs, une structure largement autonome, échappant aux contrôles budgétaires et hiérarchiques classiques.

Perspectives : une réforme nécessaire mais incertaine

La nomination de Djeskain pourrait offrir un répit temporaire, mais ne constitue pas, en elle-même, une réponse structurelle. Sans réforme en profondeur des mécanismes de contrôle, de transparence et de subordination des forces de sécurité au pouvoir civil, les conditions seraient réunies pour que d'autres affaires similaires surviennent.

Le véritable enjeu pour le président Brice Oligui Nguema réside désormais dans sa capacité à transformer cet épisode en point de départ d'une reconfiguration institutionnelle. L'alternative consistant à maintenir un statu quo précaire, où chaque scandale ne serait qu'un symptôme supplémentaire d'un système qui perdure, malgré les discours de rupture, n'annoncerait rien de bon, ni pour le pays, encore moins pour les dirigeants actuels.

Pour les partenaires internationaux comme pour les citoyens gabonais, la crédibilité de la 5e République se mesurera à l'aune de la capacité du régime à dépasser la gestion des crises individuelles pour s'attaquer aux causes systémiques de ces dérives. L'affaire Ankama pourrait constituer un avertissement. Elle pourrait aussi n'être qu'un épisode de plus dans une série qui se répète.

Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME, journaliste indépendante – 19 octobre 2025

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