Et parmi ces utilisateurs, Facebook est depuis quelques années déjà la plateforme dominante, celle où l’on s’informe, où l’on débat, où l’on socialise… et parfois où l’on se perd.
Une présence massive dans la vie quotidienne
Pour beaucoup de personnes connectées, Facebook n’est plus seulement un réseau social : c’est devenu un espace public incontournable. On y suit les actualités, on y commente les événements, on y entretient ses relations, on y construit parfois même son image sociale.
Le problème n’est pas tant l’usage lui-même, mais la place démesurée que cet usage a prise.
Peu à peu, Facebook semble s’être transformé en référence principale, parfois unique, pour comprendre ce qui se passe dans le pays. Au point où l’on peut avoir l’impression que ce réseau influence la société bien plus que les institutions, les médias traditionnels ou les autorités compétentes.
La crise de 2025 : un tournant révélateur
La crise de 2025 a mis en lumière les dangers de cette dépendance.
Personne ne connaît avec précision l’ampleur des manipulations, fausses informations, rumeurs ou campagnes orchestrées qui ont circulé sur la plateforme. Mais tout le monde a pu en constater les effets : confusion générale, informations contradictoires, émotions exacerbées, divisions profondes, perte collective de repères.
L’espace public a été noyé sous un flot de contenus impossibles à vérifier. Le vrai et le faux se mélangeaient sans qu’il soit possible de faire la différence. Cette situation persiste et continue d’affecter la vie sociale et politique du pays.
Un outil puissant… mais parfois destructeur
Facebook peut être un outil formidable : il permet de communiquer, de partager, de s’informer. Pourtant, son usage à Madagascar révèle des dérives inquiétantes.
Dans la vie sociale, des réputations peuvent être détruites en quelques clics ; des conflits personnels s’étendent publiquement, prenant des proportions imprévues ; les émotions prennent souvent le dessus sur la réflexion.
Dans la vie politique : des décisions, des opinions et même des perceptions de légitimité peuvent se créer uniquement via les réactions sur Facebook ; les débats deviennent polarisés, agressifs, basés sur l’émotion plutôt que sur les faits ; une minorité connectée donne parfois l’impression de « dominer » la majorité, alors que seuls 20 % des Malgaches sont réellement en ligne et 12% sur les réseaux. On en arrive à une situation paradoxale où quelques millions d’utilisateurs (12%) semblent peser plus lourd dans le débat national que l’ensemble de la population.
Un problème de discernement collectif
L’un des aspects les plus préoccupants est la perte de discernement : un “like” devient un soutien politique, un “share” devient un fait supposé, un “commentaire” devient une vérité sociale, une réaction émotionnelle devient un jugement.
Les utilisateurs ne mesurent plus l’impact réel de leurs gestes numériques. Ils ne réalisent pas qu’un simple partage peut alimenter une rumeur, qu’un commentaire peut blesser profondément quelqu’un, qu’une fausse information peut se propager à toute vitesse.
Le réseau, au lieu d’être un espace d’échange sain, est parfois utilisé davantage pour nuire que pour construire.
Une démocratie fragilisée
Lorsque l’opinion publique se forme principalement sur une plateforme où circulent des informations non vérifiées, des manipulations possibles, des émotions exacerbées, des contenus viraux mais pas toujours fiables, la démocratie elle-même devient fragile.
Elle peut être biaisée, détournée ou influencée de manière disproportionnée.
Or, les institutions démocratiques reposent sur une population informée, capable de discernement et de réflexion, pas sur des réactions rapides et impulsives générées par un fil d’actualité.
Une responsabilité collective
La situation n’est pas irréversible, mais elle exige une prise de conscience. Les utilisateurs doivent comprendre que Facebook n’est pas la réalité, mais seulement un reflet parfois déformé. Il faut réapprendre à vérifier, à réfléchir, à se méfier des réactions instantanées. Facebook est un outil puissant, mais c’est à nous d’en maîtriser l’usage, pour que la démocratie, la vie sociale et la cohésion nationale ne soient plus à la merci d’un simple fil d’actualité.