
je suis une femme, pas très grande, un peu enrobée. Je suis nue, ou presque, je danse.
Je suis une femme orientale, je fais une danse du ventre. Je suis seule à danser. Me regardent essentiellement des hommes, ils portent des fez, ce sont des turcs. Quelques uns ont des sièges, les personnages les plus importants ; les autres, sous-fifres ou serviteurs, sont debout ou assis par terre sur les tapis. Il y a un homme principal, le maître de maison ; il est froid, cruel. Ses yeux sont presque jaunes.
Quand j'ai fini de danser, je salue et me retire dans ma chambre, et j'attends. Je sais que l'homme va venir. Effectivement, il vient, et il me prend, par devant, par derrière ; il est violent, il me fait mal, il y a de la méchanceté dans sa façon de me posséder, il n'a aucune attention. Il prend son plaisir, et il a du plaisir à me faire souffrir, il est le maître.
Quand il me laisse enfin, je vais prendre un bain, qui me fait du bien. Je me lave, intérieurement aussi, de toute cette souillure. C'est ma vie, c'est comme ça, je n'y peux rien.
Mais j'ai un enfant, une fille de près de douze ans, et je sais que ça va être son tour, bientôt, d'y passer, et ça, je ne peux pas le supporter. J'ai envisagé de tuer cet homme, mais je n'en ai pas la possibilité matérielle. J'ai envisagé de tuer ma fille pour lui éviter ça, mais j'en suis incapable moralement. Alors, je me tue.
Je sais, j'ai laissé ma fille seule, il faudra que je répare, mais c'est comme ça, je n'ai pas su faire autrement.
Je me retrouve dans la lumière. Puis je vais pour commencer une autre vie. Il y a de la lumière et de l'ombre mélangées. La lumière c'est mon futur corps, le zygote. L'ombre, c'est mon destin à accomplir, la réparation, et c'est aussi mon corps. Dans mon corps sont à la fois mon principe lumineux éternel et l'histoire qui m'attend dans cette incarnation-ci. Il me semble que je vais renaître comme enfant de celle qui fut ma fille dans cette vie précédente...
En fait je me suis suicidée comme seul moyen, pensais-je, d'essayer d'apitoyer le maître pour qu'il épargne ma fille ; ce n'était pas de l'abandon, même si cela n'a en réalité servi à rien, et que ma fille, elle, l'a évidemment ressenti comme ça :(