Cette affirmation — moi et le Père sommes un — est la cause de ce que les "Juifs" veuillent, sur le champ, lapider Jésus. Il est important de le rappeler en préambule à ce passage, car la suite de la discussion ne permet pas à elle seule de le deviner. Dire en effet que "Dieu et moi, ça ne fait qu'un", ce n'est pas la même chose que d'invoquer le Psaume 82(81), 6 qui affirme que "vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous" en s'adressant à des hommes, et ce n'est pas non plus la même chose que se s'affirmer "Fils de Dieu".
"Fils de Dieu", c'est un titre que le judaïsme reconnaît particulièrement à chacun de ses rois, nombre de ses prophètes, et d'autres personnes encore, y compris tous le peuple dans son ensemble. On ne peut pas se l'attribuer à soi-même, c'est Dieu qui le fait, mais cela n'a donc rien d'exceptionnel pour autant.
"des dieux", dans le psaume 82, est peut-être surprenant, surtout si on le rapproche du dialogue avec le serpent dans le jardin d'Eden "vous serez comme des dieux". Mais il faut se rappeler que, après qu'ils aient mangé du fruit défendu, Dieu confirme qu'Adam et Ève sont bien devenus "comme l'un de nous", comme des dieux. L'expression "les dieux" (elohim) n'est cependant pas équivalente à "Dieu" ("YHWH" dans l'Alliance première, "le Père" pour Jésus). "des dieux" signifie en fait "divins", participants à la divinité, ce qui n'est pas la même chose que de s'identifier à Dieu lui-même.
Comment alors comprendre ce "le Père et moi sommes un" ? Il semble effectivement difficile de ne pas y voir ce que les "Juifs" reprochent ici à Jésus : il se fait Dieu. Le dogme chrétien (concile de Chalcédoine) semblerait alors confirmer un tel point de vue : Jésus est à la fois et homme et Dieu. Mais il ajoute que, si son humanité et sa divinité ne sont pas séparées (elles sont parfaitement transparentes l'une à l'autre), elles ne sont pas non plus confondues (l'une n'est pas la même chose que l'autre) : il y a en Jésus une humanité pleinement humaine qui est distincte — sans séparation mais distincte quand même — de sa divinité.
Dans ce "le Père et moi sommes un", on pourrait donc discerner la première moitié du dogme, mais il y manque la seconde.
L'évangile de Jean est ainsi fait, fruit d'écritures et de réécritures, traduisant des évolutions de la communauté johannique et trahissant aussi des dissensions. Si nous avons ici une affirmation qui révèle une faction jusqu'au-boutiste qui n'hésite pas à prêter à Jésus une formule excessive (excessive par omission : telle quelle elle peut mener au docétisme, c'est-à-dire que Jésus n'aurait été homme qu'en apparence), on trouve aussi ailleurs (Jean 17, 3) : "Telle est la vie éternelle : c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul Dieu véritable, et celui que tu as envoyé, Jésus messie", où Jésus se distingue sans ambiguïté de Dieu, comme n'étant que l'envoyé de celui qui, seul, est Dieu...

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(Jésus :
« Moi et le Père sommes un. »)
Les Juifs de nouveau apportent des pierres
pour le lapider.
Jésus leur répond :
« Je vous ai montré beaucoup d'œuvres belles
de la part du Père.
Pour laquelle de ces œuvres me lapidez-vous ? »
Les Juifs lui répondent :
« Pour une œuvre belle, non !
Mais nous te lapidons pour blasphème :
c'est que toi, un homme, tu te fais Dieu ! »
Jésus leur répond :
« N'est-ce pas qu'il est écrit dans votre loi :
J'ai dit : vous êtes des dieux ?
Si elle dit dieux ceux à qui vient la parole de Dieu
– l'Écrit ne peut certes être détruit ! –
celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde,
vous lui dites : "Tu blasphèmes !"
parce que j'ai dit : "Je suis Fils de Dieu ?"
Si je ne fais pas les œuvres de mon Père,
ne croyez pas en moi !
Mais si je les fais,
même si vous ne me croyez pas,
croyez aux œuvres !
Que vous sachiez et connaissiez
que le Père est en moi et moi dans le Père. »
Ils cherchent donc de nouveau à l'arrêter,
et il sort de leurs mains.
Il s'en va de nouveau au-delà du Jourdain
à l'endroit où Jean d'abord avait baptisé,
et il demeure en ce lieu.
Beaucoup viennent à lui et disent :
« Jean n'a fait aucun signe,
mais tout ce que Jean a dit de celui-ci était vrai !»
Et beaucoup croient en lui, en ce lieu.
(Jean 10, 31-42)