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Billet de blog 18 mai 2011

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Du journalisme en 1981 : Mitterrand vu par Le Monde. De la politique en 2011.

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L'accession de François Mitterrand à la présidence de la République le 10 mai 1981 a très souvent été médiatiquement et politiquement commémorée. La dimension critique de l'exercice a souvent fait défaut, entre autres raisons, parce que celui-ci est intrinséquement un acte du présent, de ses propres enjeux politiques, plus qu'un exercice réfléchi d'évaluation du passé pour lui même. Ce travers s'est vérifié avec François Mitterrand qui, essentiellement dans le Parti Socialiste (1) mais aussi au-delà - jusqu'à un Jean-Luc Mélenchon pourtant aujourd'hui, affirme-t-il, totalement affranchi du PS -, est redevenu une référence pour (re)construire une identité de candidat au pouvoir. "Redevenu" car il a fallu lever l'hypothèque jospinienne du "droit d'inventaire" posée en 1995 et qui se transforma en cruel boomerang, pour l'homme mais surtout pour son parti, en 2002 (2). Avec un terrassement politique dont il s'agit précisément, pour le PS, de se relever en revendiquant désormais fièrement sa filiation mitterrandienne

Bien que centré sur le traitement médiatique de l'évènement/avènement de mai 1981, l'article de Daniel Schneidermann paru hier dans Libération peut nous permettre, en lisant les silences du Monde du 12 mai 1981 sur certains pans de la biographie du nouveau président, d'interroger ceux qui, d'une façon ou une autre, se revendiquent aujourd'hui de lui, sur ce que ces ombres mises à la lumière éclairent de leur propre projet en 2011.

Suffira-t-il qu'ils renouent avec le droit, devenu devoir, d'inventaire du mitterrandisme et le dualisme simpliste des deux colonnes (positif/négatif) qu'il induit, pour désamorcer ce que l'on retiendra ici, par-delà la circonstance historique du 10 mai 1981, du texte de Daniel Schneidermann ? A savoir que les projets politiques effectivement mis en oeuvre tiennent beaucoup (plus ?) à ce qui est laissé dans l'ombre qu'à ce qui est énoncé publiquement. Pour Mitterrand "les guillotinages «pour l’exemple» en Algérie" ou le soupçon de faux/auto-attentat de l'Observatoire avec l'indulgence qui en aurait résulté envers le patron du Figaro peuvent être reliés - souterrainement - au reniement de la gauche en 1983 et, deux anas après, à une affaire comme celle du Rainbow Warrior (3), pour ne prendre que cet exemple. Reniement qui deviendrait dès lors un mot impropre puisque serait décelée une absence de solution de continuité entre le personnage politique, que l'on qualifiera par euphémisme de "droitier", de la IVe République et celui qui s'est converti (a converti la gauche) à la Ve République qu'auparavant il vilipendait.

Que pourrions nous tirer de cette lecture du texte de Daniel Schneidermann pour les projets politiques de ceux qui, aujourd'hui, malgré cette face obscure, pourtant nécessairement connue d'eux, de Mitterrand, cultivent sa mémoire ? Procédant ainsi comme Le Monde du 12 mai 1981. Par omission ! (4) Et donc préparant par là-même une désastreuse répétition générale des démissions politiques propres au mitterrandisme pour le plus grand profit du sarkozysme et du lepénisme, voire d'un new look sarkolepénisme ?

(1) Le PS encense Mitterrand

(2) Les cinq années Jospin sous la loupe des socialistes

(3) Affaire du Rainbow Warrior On relevera au passage le rôle joué par Le Monde, en contraste avec son positionnement sur François Mitterrand en 1981, pour casser la mécanique gouvernementale du silence sur les tenants et aboutissants de l'attentat contre le bateau de Greenpeace.

(4) Il serait trop long de poser, dans le cadre de ce billet, comment la stratégie du silence et de l'omission, pas seulement sur les frasques sexuelles du personnage, a failli réussir à mettre sur orbite politique DSK, peut-être le plus "abouti" des fils politiques mitterrandiens. En construisant, dans une connivence d'éditorialistes du "système", des communiquants d'Euro RSCG (dirigé par un homme de Lagardère!) et des socialistes aubrystes et fabiusiens, l'oxymore de l'homme de gauche-FMI-compétent . Donnée qui rend politiquement caduques des focalisations hypercritiques, à la gauche du PS, sur l'homme du FMI qui feraient oublier le large appui dont il bénéficie (bénéficiait) dans l'appareil de son parti et qui ainsi le rendent emblématique du coeur même du social-libéralisme. Lequel social-libéralisme, sans DSK, restera ce qu'il était avec DSK, que Martine Aubry, Hollande, Royal, Montebourg ou encore Valls, en soit le candidat à la présidentielle de 2012.

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Le 12 mai 1981, François Mitterrand et «le Monde»

Par Daniel Schneidermann

Du danger des archives ! Pour le trentième anniversaire de la victoire de Mitterrand en 1981, le Monde offrait à ses lecteurs le fac-similé, en seize pages, du journal du 12 mai 1981. Titres sur trois lignes, pages austères, réactions des capitales mondiales sans en oublier aucune : ces plongées dans le vieux «Monde» sont toujours réjouissantes. Et surtout brusque replongée dans un monde où l’information était monopolisée par une poignée de médias «traditionnels». Si l’on voulait trouver autre chose, il fallait aller le rechercher dans Minute, et évidemment, personne n’aurait eu seulement l’idée de lire Minute. Mais quel était le degré d’indépendance du Monde, par rapport au nouvel élu de son cœur ?

Dans ce numéro de la victoire, la biographie du nouveau président occupe deux pages. Sous le titre «Une riche carrière ministérielle sous la IVe République», la page de gauche (signée Raymond Barrillon) est consacrée à l’avant-1958. Après, sa carrière d’opposant occupe la page de droite, signée par Jean-Marie Colombani. Ces deux pages résument les connaissances des citoyens sur celui qu’ils élisent à la tête du pays. Commençons par le commencement. De ses inclinations pour l’extrême droite dans les années 1930, on ne trouve aucune trace, la seule source citée par le journaliste étant… l’autobiographie de Mitterrand, Ma part de vérité (c’est plus simple).

Mais le plus stupéfiant est le récit de la politique de Mitterrand, alors ministre de la Justice, pendant la guerre d’Algérie. Si l’article rappelle sa phrase «la seule négociation, c’est la guerre, car l’Algérie, c’est la France», le rappel du passé colonialiste du nouveau président s’arrête là, l’ancien ministre étant même crédité d’avoir condamné «les sévices» en 1957 (le Monde ne va pas jusqu’à écrire «la torture»). Pas un mot sur l’un des principaux tabous de la carrière de Mitterrand : l’avis favorable donné par le garde des Sceaux d’alors aux guillotinages «pour l’exemple», en Algérie, des années 1956-1957, et notamment à l’exécution du militant communiste Fernand Iveton, qui avait déposé une bombe, programmée pour ne faire aucune victime (et qui n’a d’ailleurs pas explosé). Ministre de la Justice, Mitterrand a couvert torture et justice d’exception, quand d’autres (Mendès France ou Savary) quittaient le gouvernement pour ces raisons. Mais en 1981, il importe de le repeindre en homme de gauche irréprochable. Aucun journaliste du Monde en 1981 ne se souvenait-il de l’affaire Iveton ? La rédaction avait-elle estimé qu’il était inopportun d’exhumer cette affaire ?

La page de droite est tout aussi élogieuse, notamment à propos de la fameuse «affaire de l’Observatoire». «Une fusillade dirigée contre lui. Provocation ou machination ? La question agita, et agite encore, bien des esprits», écrit elliptiquement Jean-Marie Colombani, expédiant en trois lignes une affaire, certes encore obscure en 1981, mais qui jetait une ombre sérieuse sur le rapport du nouvel élu à la vérité et à l’honnêteté (rappelons que Mitterrand est soupçonné d’avoir fomenté lui-même, en 1959, un faux attentat contre lui, afin de s’attirer la sympathie, ou au minimum de s’être prêté à un simulacre d’attentat). Ces deux oublis, par la suite, ne vont pas s’avérer anodins. Ces deux épisodes, occultés en 1981, de la biographie de Mitterrand, expliquent plusieurs faits politiques ultérieurs, comme la piètre qualité des rapports entre Savary et Mitterrand, ou encore l’indulgence de Mitterrand à l’égard de Robert Hersant, alors patron du Figaro, mais qui avait voté contre la levée de son immunité parlementaire après l’affaire de l’Observatoire.

Que nous dit aujourd’hui ce fac-similé du Monde? Qu’on est toujours la Corée du Nord d’un autre. Il nous restitue la photo d’un pays souffrant d’une grave carence d’investigation sur le pouvoir politique (1981 marque d’ailleurs le début d’un déclin de la diffusion du Monde, qui ne se redressera qu’avec les investigations anti-Mitterrand, notamment l’affaire Greenpeace). Impossible de ne pas esquisser une comparaison avec la situation d’aujourd’hui. Apparemment, l’excès est inverse. Internet, avec son impulsivité, sa hiérarchie, imprime sa marque aux médias traditionnels. Mais l’arrestation de DSK à New York place la presse devant ses impasses persistantes. Depuis dix ans, innombrables sont les initiés qui ont vent de rumeurs de harcèlement sexuel, visant DSK. A la notable exception de Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, ou de l’humoriste Stéphane Guillon, qui en avait fait une mémorable chronique sur France Inter, elle a toujours abandonné ce sujet aux francs-tireurs et aux internautes. Ainsi éclatent les «coups de tonnerre».

http://www.liberation.fr/medias/01012337541-le-12-mai-1981-francois-mitterrand-et-le-monde

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