Armand Ajzenberg (avatar)

Armand Ajzenberg

Abonné·e de Mediapart

47 Billets

1 Éditions

Billet de blog 17 février 2015

Armand Ajzenberg (avatar)

Armand Ajzenberg

Abonné·e de Mediapart

LES HANDICAPÉS MENTAUX VICTIMES DE VICHY SORTENT DE L’OUBLI

Armand Ajzenberg (avatar)

Armand Ajzenberg

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Selon nos informations, François Hollande a décidé d’honorer la mémoire des handicapés mentaux et malades psychiatriques abandonnés sans nourriture et sans soins en France de 1941 à 1945. Il vient de l’annoncer en réponse à une pétition qui avait été signée par 80 000 personnes l’an dernier et dont il avait été directement saisi.

« Des gestes mémoriels ». C’est ce que François Hollande recommande d’instituer en signe de reconnaissance adressé aux nombreux handicapés mentaux et malades psychiatriques qui furent condamnés à mourir sous le régime de Vichy de 1941 à 1945 » annonçait le 16/2/15 à 09 H 12 le journal La Croix.

 Effectivement : « Je partage votre volonté, qui est aussi celle des nombreuses personnes qui ont signé votre pétition, qu’à ce délaissement de la République ne s’ajoute pas le silence de l’oubli. Il est important que, dans les principaux lieux où cette tragédie s’est déroulée, des gestes puissent être effectués afin d’en rappeler le souvenir et d’en honorer les victimes. En cette année 2015 qui marque le 70ème anniversaire de la victoire sur le nazisme, le rappel de cette page sombre de notre histoire sera aussi un appel à chacun d’entre nous, la réaffirmation que dans une société humaine, aucune vie n’est “minuscule” et que c’est à la façon dont elle traite ses personnes vulnérables que l’on juge une civilisation » a été le message envoyé par Président de la République François Hollande, le 11 février 2015, à Charles Gardou.

 « Notre mobilisation a porté ses fruits » écrit ce dernier, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2, l’un des initiateurs de la pétition ci-après. « C’est en quelque sorte un jour historique pour la reconnaissance de toutes les victimes mortes par abandon dans les hôpitaux psychiatriques et les hospices français dans cette sombre période de notre histoire. »

l’appel pour un mémorial en hommage aux personnes fragilisées par la maladie et le handicap condamnées à mourir sous le régime de Vichy lancé sur Change.org

 « Auteure d’un livre fort documenté sur le sujet (L’Hécatombe des fous, Aubier, 2007), Mme von Bueltzingsloewen a elle-même refusé de signer la pétition : « je ne peux signer un appel qui, dans sa formulation ambiguë et bien qu’il s’en défende, dresse un parallèle entre ce qui s’est passé en France et en Allemagne », explique l’historienne pour qui la démarche relève d’une forme de bouillie mémorielle” » rapporte Thomas Wieder, rédacteur en chef du service France au Monde, le 16 février.

 Faut-il rappeler qu’en 2007, profitant du compte-rendu par ce journal de l’ouvrage de l’historienne, ce fut pour certains le soulagement : « Incroyable mai vrai. Le régime de Vichy est enfin innocenté d’avoir programmé un “génocide”. Celui des pensionnaires des asiles d’aliénés » s’écria un journaliste de Rivarol, journal d’extrême-droite et pro-vichyste. Il ajoutait : « En 1987 puis 1988, deux ouvrages rédigés par des psychiatres prétendaient que sur les 76 000 aliénés décédés (bilan total), 40 000 relevaient d’un programme “euthanasique”, bien sûr inspiré par le nazisme, et organisé par l’État français. Voire par “le docteur maréchaliste Alexis Carrel, initiateur en 1941 d’une fondation pour l’étude des problèmes humains” -  extrait d’un article dans Le Monde (du 23 février 2007) de Mme Elisabeth Roudinesco, qui s’inscrit d’ailleurs en faux contre la thèse du “génocide”, mais après avoir pris soin de préciser que Carrel était “de sinistre mémoire” ». Soyons méchant : « Dis moi qui t’applaudit, je te dirais qui tu es ».

 Faut-il rappeler quelques faits historiques :

 - Le 3 mars 1942, une circulaire émanant de la Direction de la Santé refusait toute aide aux malades mentaux : « Dans les conditions actuelles, il est difficile de faire obtenir à ces malades (mentaux) un supplément à la ration qui leur est octroyée, supplément qui ne pourrait être prélevé que sur les denrées déjà trop parcimonieusement attribuées aux éléments actifs de la population, en particulier aux enfants et aux travailleurs. »

- En mai 1942, un courrier émanant d’un Directeur régional de la Santé recommandait : « Demandez à vos médecins de désigner les bénéficiaires par classement basé sur la distinction ci-après : les malades récupérables, c’est-à-dire ceux qui, par un traitement approprié et séjour de courte durée dans votre hôpital pourront être rendus à la liberté et reprendre leur place dans la société et leur activité antérieure : ce sont ceux-là qu’il convient de réalimenter ».

 « Un surprenant revirement de Vichy ». C’est ainsi que Mme von Bueltzingsloewen qualifie dans son livre une circulaire du 4 décembre 1942 accordant enfin quelques suppléments. Ce qui lui permet, alors que les deux tiers des condamnés par la famine sont à cette date déjà morts, d’absoudre le régime de Vichy de toute responsabilité dans l’hécatombe.

 Pour en savoir un peu plus, on peut se rendre sur Mediapart :

- http://blogs.mediapart.fr/blog/armand-ajzenberg/210514/le-choc-des-images-le-poids-des-mots

- http://blogs.mediapart.fr/blog/armand-ajzenberg/070214/dire-non-la-re-vichysation-des-esprits

- http://blogs.mediapart.fr/blog/armand-ajzenberg/170914/un-memorial-pour-les-victimes-handicapees-du-nazisme-inaugure-berlin-le-2-septembre-2014

 Pour en savoir encore plus, on peut lire ou relire :

- L’extermination douce (réédition), de Max Lafont. Préface d’Antoine Spire, Le Bord de l’eau éditions, 2000. Ce livre d’abord publié en 1987 fut un événement. Notamment à la faveur d’une tribune publiée dans Le Monde par une psychiatre, le Dr Escoffier-Lambiotte : « … Max Lafont qui établit, pour la première fois, le dossier complet d’un drame survenu en France pendant l’occupation allemande… ».

-  Le train des fous (réédition), de Pierre Durand. Présentation d’Armand Ajzenberg, préfaces de Lucien Bonnafé et Patrick Tort, éditions Syllepse, 2001. Ce livre décrit, de manière romancée, ce que fut la vie, et la mort, dans l’hôpital psychiatrique de Clermont-de-l’Oise (3536 morts de 1940 à 1945). Pierre Durand, grand résistant fut déporté à Buchenwald Dora. Il a été journaliste à L’Humanité de 1947 à 1983.

- L’abandon à la mort… de 76 000 fous par le régime de Vichy d’Armand Ajzenberg, suivi de Un hôpital psychiatrique sous Vichy (1940-1945) d’André Castelli, préface de Michaël Guyader, L’harmattan, 2012. Ce livre est d’abord une réfutation de la thèse d’historiens niant la responsabilité de Vichy dans la mort des fous sous ce régime. La deuxième partie du livre décrit la vie, et la mort, dans l’hôpital psychiatrique de Montdergues-les-Roses (1880 morts de 1940 à 1945).

PUB : http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=38711

 Armand Ajzenberg, 17 février 2015

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.