Dans la grande salle de la Bellevilloise (Paris 20ème), pleine d’adhérents et sympathisants d’Anticor, c’est l’humoriste et comédienne Audrey Vernon qui a animé la cérémonie. Un bon choix, voilà quelqu'un qui connaît le milieu car elle a beaucoup appris pour "Comment épouser un milliardaire", ce qui lui donne une compétence particulière... dans son spectacle elle explique le petit cercle des «ultra riches».
Après l’ouverture par la Présidente, Élise Van Beneden, qui a fait un détour par Bruxelles en citant la vice-présidente du Parlement Européen et son soutien (sous le versant corrompu) à l’état gazier et sanguinaire du Qatar. Oui la prise de conscience grâce à l’action d’Anticor est aussi un combat européen.
C’est la journaliste Carole Rouaud, de Politis, qui a remis le 1er prix éthique à Bernard Nicolas et Thierry Gadault, journalistes d’investigation, pour leurs enquêtes et révélations sur les pratiques du Qatar, publiées dans Blast, à partir d'infos confidentielles et sensibles sur l'émirat du Qatar.
Révélations à propos de la corruption endémique orchestrée par les maîtres de Doha. Mondial de football, guerre en Libye, rôle de BHL ou de Jean Marie Le Guen, financement du terrorisme, intrusion en Israël et en Syrie : une douzaine de documents ont été remis aux magistrats parisiens qui vont maintenant, on l’espère, investiguer officiellement sur les découvertes de Blast.
C’est Paul Cassia, que les lecteurs du Club de Mediapart connaissent bien, qui a remis le prix éthique à Lina Megahed, docteure en droit public, pour sa thèse «Le contre-pouvoir populaire».
Il a souligné l’importance de ce travail universitaire qui ‘‘invite à penser la notion du contre-pouvoir populaire et à analyser sa nature, sa fonction, les conditions de sa reconnaissance et de son utilité sur la démocratie française et ses dysfonctionnements (présidentialisation, défaut de représentativité, défaut de contre-pouvoirs)’’.
La lauréate, d’origine égyptienne a expliqué que souvent en Égypte on donne en exemple la démocratie en France. Elle a souhaité y venir pour étudier ‘‘in loco’’ la réalité de cet exemple. Le constat est amer et fait deux propositions sur un référendum d'initiative citoyenne (RIC) négatif - c'est à dire possibilité de défaire les lois par les citoyens - et révocation populaire.
La ‘‘casserole #1’’
Vient ensuite la première casserole. C’est l’avocat Vincent Breugarth, connu pour les dossiers touchant aux libertés fondamentales (défense des victimes de violences policières, de personnes poursuivies pour «délit de solidarité»), qui l’annoncera.
«Le gagnant est...» Il s’agit de Gerald Darmanin, le ministre à l’origine de la réforme de la police judiciaire. Sous prétexte de rationaliser l’action de la police cette mesure modifie le travail d’investigation, subordonnant les officiers de la PJ, à un unique responsable, le directeur départemental de la police nationale (DDPN), in fine sous l’autorité du Préfet ce que les fonctionnaires de Police considèrent comme une ‘‘liquidation judiciaire’’. Réforme également dénoncée par les magistrats.
Certes, ce sera une casserole de plus pour ce ministre, mais en l’espèce il me semble que ça méritait une ‘‘casserole collective’’ car dans ce gouvernement ni le ministre de la Justice ou la première-ministre ne semblent pas alertés par les critiques des professionnels de la justice et de la police. Une réforme qui pourrait profiter aux délinquants financiers et permettre au pouvoir politique d’interférer dans des investigations qui regarderait trop du côté des amis politiques…
‘‘Les Fossoyeurs’’ et les marchands de vieux ORPEA.
Le 3ème prix éthique remis par Laurence Gaal, administratrice d’Anticor, revient au journaliste Victor Castanet, auteur du livre Les Fossoyeurs, pour son travail d’enquête dénonçant les dérives du leader mondial des Ehpad et cliniques ORPEA.
Sa sortie a été une ‘‘déflagration, un séisme, une prise de conscience dans la société, un coup de poing sur les trafiquants de la mort’’. Un scandale démontrant la captation de l'argent public par la recherche de profits extrêmes. Sentiment de totale impunité d'Orpea grâce aux bonnes relations avec fonctionnaires et politiques.
Victor Castanet a aussi reçu le prix Albert Londres (nov 2022), illustrant parfaitement la citation sur le travail du journaliste... "Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie "
‘‘La poursuite du bleu’’ à l’honneur !
C’est le théâtre, à travers la compagnie "La poursuite du bleu" que le jury a choisi manifestant la diversité des prix éthiques. Il a ainsi salué et rendu justice… au spectacle ‘‘Coupures’’ sur les failles démocratiques à partir d'un cas virtuel d'installation d'antennes relais sur une commune dont le maire est écolo.
Un spectacle à voir à Paris (Théâtre de l'Œuvre) jusqu'au 30 avril 2023
« Ce soir, dans l’assistance, personne n’y comprend plus rien. Comment Frédéric, maire écologiste, agriculteur, jeune père de famille, engagé, rêveur, recyclage, circuit-court, pistes cyclables et festival de musique débranchée… bref, comment Frédéric a-t-il pu décider seul, et dans le secret, du déploiement de la dernière génération d’antennes-relais partout dans la commune ?
Coupures aborde la place que le public occupe, ou plutôt celle qu’il n’occupe pas, dans le débat démocratique. »
La presse a salué la performance de ce théâtre, superbement engagé (écrit le Figaro). Et selon le Canard Enchaîné "Que reste-t-il de la démocratie quand le débat n'est plus que simulacre ? Là est la question, très politique, très actuelle, traitée ici avec brio. Bravo !" La Poursuite du Bleu
Cabinets Conseil, ‘‘influenceurs et profiteurs’’
Très opportune récompense et pour que le sujet reste dans l'actualité, présentée par Eric Alt, vice-président d’Anticor (et auteur sur Mediapart, /eric-alt/blog), qui a dénonce le milliard d'euros dépensé par le gouvernement au profit des cabinets conseils. Un Prix éthique pour les deux parlementaires, Eliane Assassi et Arnaud Bazin, auteurs du rapport du Sénat pour réguler le recours aux cabinets conseils par l’Élysée mais aussi les ministères.
Eliane Assassi a souligné le travail collectif et transpartisan sur le recours exponentiel aux cabinets conseils ce qui interroge sur la façon dont on pratique la politique aujourd'hui:
Nous avons payé 850 000€ pour que des citoyens répondent à la question « Qu’est ce que c’est pour vous la justice idéale ? »
Nous avons payé 450 000€ pour un rapport médiocre sur les 1000 premiers jours de l’enfant – alors que Boris Cyrulnik avait rendu gratuitement son rapport sur le sujet.
Nous avons payé 500 000€ pour un rapport d’évaluation sur l’évolution du métier d’enseignant, plagié et rempli de platitudes.
Nous payons les consultants au prix de 1500€ par jour : c’est le salaire net d’une infirmière en soins généraux après trois ans d’études. Au total, nous, contribuables, avons payé 1 milliard environ en 2020.
La ‘‘pantoufle’’ de l’année !
Arrive la ‘‘pantoufle 2023’’ remise par Pierre Boivin, co-référent d’Anticor, à Jean-Pierre Djebbari, secrétaire d’État et ministre délégué chargé des Transports dans les gouvernements du premier quinquennat Macron. Il est passé de ministre délégué aux transports à administrateur de la Sté. Hopium qui développe des véhicules à hydrogène. Au ministère il a œuvré pour financer le développement des véhicules à hydrogène. La boîte dont il est devenu administrateur s'est vu attribuer un bon pactole…et même la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a tiqué !
Il faut dire que cette pratique de bonnes ‘‘alliances’’ public-privé est bien vue en haut lieu (les affaires et compromissions ne semblent pas étrangères en Macronie). Je ne sais pas l’action qu’il a mené dans son ministère mais cela donne un peu l’impression qu’il aurait été nommé En Marche commandée pour son futur job !
L’Économie morale des élites dirigeantes
Contraste saisissant avec la présentation par Clarence Bathia, juriste d’Anticor, de Pierre Lascoumes, directeur de recherche émérite à Sciences Po, pour son ouvrage “L’économie morale des élites dirigeantes’’ et l’ensemble de son travail de recherche sur la corruption. Et il a dénoncé souvent cette porosité qui sert et dont le pouvoir s’en sert : « Les allers-retours entre haute fonction publique et cabinets de conseil ont installé un cadre intellectuel commun au sein de ces élites » Réputés pour la qualité de leurs travaux, les cabinets de conseil sont très prisés des responsables politiques, car ils leur permettent de s’abriter derrière cette « expertise » pour imposer une modernisation des services de l’État », avait-il déclaré au journal Le Monde (avril 2022).
Pierre Lascoumes, ému et heureux d’être ainsi reconnu par une association comme Anticor, soulignant que ses études universitaires sont ‘‘moins bien accueillis’’ dans sa propre communauté. Travaillant dans le domaine de la sociologie du droit et de la justice il s’est tourné vers l’analyse des politiques publiques notamment la mise en œuvre des politiques environnementales. Ce qui l’a conduit à étudier les politiques de lutte contre la délinquance économique et financière, ainsi que sur les représentations sociales de la corruption et la lutte anti-blanchiment. En l'écoutant je me suis dit que finalement ses travaux font partie du "fond d'Anticor"...
Et les ‘‘hérissons’’ dans tout ça ?
Pour le passage à la ‘‘casserole #2’’, Audrey Vernon (que tout au long de la cérémonie a, avec talent ponctué et commenté les divers lauréats), rappelle que ‘‘les hommes ne sont pas capables de se contrôler, qu’ils font n’importe quoi. L’espèce humaine a un problème, on va vers l’extinction, bordel !’’. Et c’est avec émotion qu’elle nous rappelle que les hérissons sont victimes des pesticides, de l'urbanisation à outrance, risquent de disparaître et nous a invité à un moment de silence. Debout, nous l'avons respecté… avec curiosité et ravi (pour ma part) de cette invitation.
C’est l’histoire d’un Laurent...
Et c’est avec humour et non sans malice qu’Alexandre Calvez nous parle d’un Laurent qui parfois, au détour d’une phrase dit des choses éthiques, de bon sens voire même à sélectionner pour le jury suivant ! C’est lors de l’université d’été du Medef, le 30 août 2022 que Laurent Wauquiez, affirme qu’il n’y a « aucune fatalité au gaspillage de l’argent public » et que les « sources d’économie » se trouvent « partout ».
Et il avait "raison", il lui faut faire des économies dans les hôpitaux, écoles, transports… pour qu’il puisse organiser des dîners des sommets aux frais de la Région dont il est président. Et toujours, peut-être par souci d’économie, il était le seul élu parmi les chef·fes d’entreprise, patrons de presse, sportifs, grands noms de la cuisine…, que des sommets quoi, à 1100€ par convive et pour lui tout seul!
Le président de la Région Auvergne-Halpes ne s’était pas fait représenter et donc n'a pas pu recevoir la casserole. Reste la question lancinante comment leur rendre ce qui leur est du, casseroles et pantoufles. Une délégation d’Anticor demandant audience? une cérémonie de dépôt des trophées devant leur domicile avec invitation à la presse? une distribution à domicile par livreur-Uber ou l’envoi par la Poste en colis suivi (pas toujours avec succès)? Sauf distraction de ma part rien n’a été dit à la cérémonie.
Et pour finir, Inès Bernard, juriste d’Anticor a salué le film-documentaire qu’on connaît bien à Mediapart, Media Crash qui dénonce la concentration des médias privés, posant la question ‘‘qui a tué le débat public’’, soulignant que c’est un film engagé avec ‘‘éthique, irrévérence, curiosité et rigueur’’. Présents pour recevoir la septième Marianne de la soirée, Valentine Oberti de Mediapart et Luc Herman des Premières Lignes.
Rappelant que c’est l’année des 20 ans d’Anticor, Emmanuelle Justum, membre d’Anticor, en paraphrasant l’autre à lancé plusieurs ‘‘qui aurait pu prédire...’’ dont celle qui nous taraude ‘‘...qu’en 2023 la corruption serait aussi en France’’, tout en nous invitant au verre de l’amitié et en nous incitant à nous parler, nous organiser, nous mobiliser et j’ajouterai à adhérer à .anticor.org/ [Adhérer Faire un don]
Ah, j'oubliai, Audrey Vernon a invité sur scène les lauréats et les membres ayant participé à la cérémonie pour chanter et ce fut le moment, après le silence pour les hérissons, de mettre Anticor, toutes et tous en chœur avec La Compagnie créole - Ça fait rire les oiseaux (1986)
Dans la version 2022 /anticor-et-ses-prix-ethique-pour-2022