Un chat est un chat ou les leçons du populisme
Tous les commentateurs s’accordent en Europe sur le fait que notre modèle démocratique est profondément ébranlé. Si les racines de cette crise sont nombreuses et complexes, elles convergent vers un double constat. Le premier, c’est que qu’un nombre croissant de citoyens considèrent désormais que leurs responsables politiques sont dépassés par les défis politiques, économiques, sociétaux et environnementaux qu’il nous appartient de relever. La deuxième qui s’ensuit naturellement, c’est l’impression que nos institutions ne sont plus en mesure de répondre à ces enjeux. Et qu’il faut les changer.
C’est l’option illibérale qui s’est déjà imposée dans plusieurs pays européens. Elle est le résultat des critiques permanentes, sommaires et virulentes de notre système démocratique distillées inlassablement par les leaders populistes. Leur discours est accueilli favorablement par tous ceux qui se sentent dévalorisés. Pour ces derniers, il est ressenti comme un « parler vrai » en adéquation avec les souffrances qu’ils endurent et l’absence de perspectives. Ce sentiment est accru par l’affaissement d’une gauche politique incapable de se positionner sur ces défis.
Les médias, à l’affût de tout propos outrancier, amplifient ce phénomène. Il s’ensuit une surenchère dans la vulgarité qui laisse sans voix les acteurs politiques traditionnels peu à l’aise dans ces débordements. En cédant aux outrances des leaders populistes, ils abandonnent l’arène et laissent le champ libre aux acteurs les plus imprévisibles.
Le constat est d’autant plus préoccupant que les démocrates semblent désormais conscients de leur impuissance. Ils pressentent leur effondrement. « Dies certus an, et incertus quando » disaient les Romains en de telles circonstances.
Toutefois, le pire n’est jamais avéré surtout en politique, d’autant que les milieux extrémistes ne sont pas à l’abri non plus d’errements et de déchirements.
Mais un redressement de la situation par les démocrates ne sera possible qu’avec une reconnaissance des erreurs commises et une forte détermination à bouleverser tout ce qui ne fonctionne plus. S’offusquer de l’ignominie de suffit plus. Pas plus que les compromis boiteux, aussi ingénieux puissent-ils paraître aux classes dirigeantes. Car à force de nier les problèmes, nos responsables politiques en sont venus, insensiblement, à occulter la réalité en s’ingéniant à différer les vrais défis. En période de croissance, ces compromissions ne prêtaient pas à conséquence mais en période de doutes et d’inquiétudes, on attend justement des responsables politiques des engagements forts, clairs et conséquents. Quitte à user également d’un discours musclé.
Dans leur course au pouvoir les milieux extrémistes se servent avec opportunité de tous les dossiers qui « font mal », que ce soit l’immigration, la fiscalité, les inégalités sociales, les organisations et les institutions obsolètes et évidemment la corruption. C’est pourtant sur ce terrain qu’il faut les combattre sans risquer les amalgames.
L’enjeu pour les démocrates est d’autant plus difficile que s’ils rejettent tous, grosso modo, les dérives populistes, ils restent divisés sur les solutions à apporter à ces défis. Qui plus est les fractures interviennent de plus en plus à l’intérieur même des partis qui déchirent sur ces questions.
Le Président de la République française semble être le premier en Europe à avoir perçu la gravité de la menace en tentant de susciter une contre-offensive. Sa jeunesse, sa position centriste et sa volonté réformatrice sont autant d’atouts pour générer une coalition des démocrates européens. Mais toute ses tentatives sont scrutées avec la plus grande méfiance en France par son opposition de droite et de gauche qui n’a pas digéré son échec politique. Dès lors, pour parer des attaques susceptibles de l’affaiblir, il donne parfois l’impression de louvoyer. Pourtant sa réussite, tant sur le plan européen que sur le plan intérieur, passera nécessairement par une détermination sans état d’âmes sur les principaux défis politiques qui sont au centre du débat politique que ce soit au plan national ou international.
Récemment, il a tenu des propos forts sur la nécessité de mettre un terme aux « coquilles vides » qui étouffaient les relations entre l’Europe et le monde arabe. Certes, il ne faisait allusion qu’à quelques institutions largement reconnues comme des carcasses coûteuses et sans le moindre espoir de régénération instituées par ses prédécesseurs mais il proposait de « tourner la page » et de repartir sur de nouvelles bases en suggérant de réinventer des institutions capables de relever les défis actuels en y impliquant notamment la société civile.
Ces propos font écho à la « sunset theory » et postulent qu’une institution disparaisse une fois qu’elle n’a plus rien à proposer. Cette théorie doit aujourd’hui être généralisée à l’ensemble des institutions nationales et internationales qui ne répondent plus aux exigences des défis actuels que ce soit pour promouvoir l’union méditerranéenne, pour gérer la mondialisation, assurer la transition écologique ou les challenges du numérique sans oublier le grave problème des inégalités sociales et de la disparition de l’emploi traditionnel. Et ces institutions sont légions aujourd’hui. C’est le discours attendu par tous les citoyens sensibles aux propos musclés des leaders populistes. C’est la parole espérée par tous ceux qui veulent que disparaissent tous ces « machins » coûteux et désormais inefficaces.
Mais le discours restera ambigu et sans portée politique s’il se limite à évoquer des « coquilles vides », sans les nommer et sans s’atteler effectivement à leur remplacement. Il en va de même sur les enjeux climatiques et environnementaux qui nécessitent de difficiles décisions. L’échec ressenti dans l’opinion publique, bien au-delà de la France, à la suite de la démission de Nicolas Hulot témoigne de la nécessité d’une autre politique. Et c’est encore un discours fort que l’on attend sur les défis de la transition numérique avec ses conséquences inévitables sur l’emploi. Dans ce contexte, il est assez navrant d’abandonner au gouvernement populiste italien le mérite de la première introduction au niveau national d’une véritable allocation universelle.
Dès lors, si c’est le seul moyen d’être entendu, pourquoi ne pas appeler « un chat un chat ». Evidemment, sans se tromper de cibles.
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