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Billet de blog 23 août 2014

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Extrait de LA SERVITUDE VOLONTAIRE d’Etienne de la Boétie, 1549. Une libre traduction en français moderne

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« Ainsi le Patriarcat asservit les Sujettes les unes par le moyen des autres, et est gardé par celles, desquelles, si elles valaient rien, il se devrait garder, mais comme on dit, pour fendre le bois il se fait des coins du bois même. Voilà ses Archères, voilà ses Gardes, voilà ses Hallebardières ; non pas qu’elles-mêmes ne souffrent quelquefois de lui, mais ces perdues, ces abandonnées de Dieu et des humains sont contentes d’endurer du mal pour en faire, non pas à celui qui leur en fait, mais à celles qui en endurent comme elles, et qui n’en peuvent mais.

Et toutefois, voyant ces femmes-là, qui flattent le Patriarcat pour faire leurs besognes de sa tyrannie et de la servitude des femmes, il me prend souvent ébahissement de leur méchanceté, et quelquefois quelque pitié de leur grande sottise. Car, à dire vrai, qu’est-ce autre chose de s’approcher du Patriarcat, sinon que se tirer plus en arrière de la Liberté, et (par manière de dire) serrer à deux mains et embrasser la servitude ?

Qu’elles mettent un peu à part leur ambition, qu’elles se déchargent un peu de leur avarice et puis qu’elle se regardent elles-mêmes, qu’elles se connaissent, et elles verront clairement que les féministes, les affranchies, lesquelles tant qu’elles peuvent elles foulent aux pieds, et en font pis que des forçats ou des esclaves, elles verront, dis-je, que celles-ci ainsi malmenées, sont toutefois à ce prix fortunées et un peu libres.

Le Patriarcat voit les autres qui sont près de lui, coquinant et mendiant sa faveur : il ne faut pas seulement qu’elles fassent ce qu’il dit, mais qu’elles pensent ce qu’il veut, et souvent, pour lui satisfaire, qu’elles préviennent encore ses pensées. Ce n’est pas tout à elles que de lui obéir, il faut encore lui complaire ; il faut qu’elles se rompent, qu’elles se tourmentent, qu’elles se tuent à travailler en ses affaires et puis qu’elles se plaisent de son plaisir, qu’elles laissent leur goût pour le sien, qu’elles forcent leur complexion, qu’elles dépouillent leur naturel. Il faut qu’elles prennent garde à ses paroles, à sa voix, à ses signes, à ses yeux ; qu’elles n’aient ni œil, ni pied, ni main, que tout soit au guet pour épier ses volontés et pour découvrir ses pensées.

Cela est-ce vivre heureusement ? Cela s’appelle-t-il vivre ? Est-il au monde rien de si  insupportable que cela, je ne dis pas à une femme bien née, mais seulement à une qui ait le sens commun, ou, sans plus, la face humaine ? Quelle condition est plus misérable que de vivre ainsi, qu’on n’ait rien à soi, tenant d’autrui son aise, sa liberté, son corps et sa vie ? »

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