L’Hôtel du Lac ? Chaque fois qu’un photographe publie une image de sa pyramide inversée, chaque fois qu’un article rappelle son architecture brutaliste, la même scène se rejoue : l’élite se réveille, prête à monter sur scène. Elle appelle à la prière, prononce des discours grandiloquents sur le patrimoine, organise conférences et communiqués. Et pourtant, comme on dit chez nous, ils ont les pieds dans la merde et appellent à la prière.
Ils veulent avoir l’air, paraître vertueux, engagés, responsables… alors qu’ils n’ont l’air de rien du tout. Comme le disait Brel, la comédie des apparences est parfois plus cruelle que la vérité elle-même.
Ces grands protecteurs de la culture tunisienne, ces soi-disant gardiens de l’histoire, se donnent une identité en ombre chinoise : silhouettes derrière un rideau qu’ils croient magique. Sauf que là, ce n’est même plus le rideau qui bouge, eux ne sont même pas des clients de salon sophistiqués : ce sont des valans, insignifiants, incapables de peser dans l’histoire ou dans la ville, mais fiers de leur propre théâtre d’illusions.
Ils nous poussent au blasphème, au rejet, à l’indignation la plus vive… mais ceci serait déjà une certaine considération : le simple fait qu’ils provoquent une telle réaction prouve que, malgré tout, leur cirque a encore un poids dans nos esprits. Ironique, cruel et révélateur.
Les vendeurs de vent, quand ils sont sur la platitude, n’intéressent pas les voiliers. Cela ne veut pas dire que le patrimoine ne nous concerne pas. Il exige respect et attention, comme une muse : une femme attire toujours les regards, d’accord, elle ne peut être qu’attirante… mais le véritable caractère d’une muse est de n’appartenir qu’à celui qui sait s’en inspirer pour créer, pour transformer l’admiration en poésie.
L’Hôtel du Lac est devenu leur marionnette médiatique : rumeurs de démolition, pétitions, annonces de réhabilitation, démentis officiels… tout pour flatter l’ego et nourrir l’illusion d’une action. Et quand on regarde de près, que reste-t-il ? Des plans de reconversion confus, des promesses non tenues, et un spectacle quotidien où la morale publique sert de décor.
Ce cirque est symptomatique : l’élite tunisienne préfère faire le show que prendre des décisions concrètes. Elle se drape dans la vertu, invoque la prière, parle d’éthique et de patrimoine… mais ses mains restent collées à l’argent, au pouvoir et à l’inaction. Tant que cette comédie se jouera, chaque monument spectaculaire, chaque façade restaurée ne sera qu’un cache-misère, une illusion pour masquer l’échec général.
Il est temps de cesser de s’émerveiller devant la scène, et de regarder le vrai spectacle : la ville qui disparaît sous le regard de ceux qui se prétendent ses gardiens.
Et au bout du compte, ce n’est pas l’Hôtel du Lac qui est en danger. Ce n’est pas la pyramide inversée, ce n’est pas la pierre ni le béton. Ce qui vacille vraiment, c’est notre patience, notre regard, notre capacité à admirer sans nous soumettre aux illusions. Que ces valans continuent à gesticuler derrière leurs rideaux, que les vendeurs de vent hurlent leurs vertus fausses… la vraie poésie, le vrai patrimoine, celui qui fait battre la ville, restera toujours entre les mains de ceux qui osent regarder, créer et résister.