Bénédicte Monville
Écologiste, ex-conseillère régionale d'Île de France, conseillère municipale et communautaire de Melun
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Billet de blog 30 janvier 2016

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De la duplicité du bouclier

La première séance plénière du Conseil Régional d’Île de France a été marquée par le vote de mesures particulièrement rétrogrades et d’une grande violence symbolique pour notre société tout entière. La première est également particulièrement injuste et discriminatoire pour celles et ceux qu’elle concerne, les étranger-es en situation irrégulière (...)

Bénédicte Monville
Écologiste, ex-conseillère régionale d'Île de France, conseillère municipale et communautaire de Melun
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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La première séance plénière du Conseil Régional d’Île de France a été marquée par le vote de mesures particulièrement rétrogrades et d’une grande violence symbolique pour notre société tout entière. La première est également particulièrement injuste et discriminatoire pour celles et ceux qu’elle concerne, les étranger-es en situation irrégulière. J'ai déjà eu l'occasion d'écrire dans un précédent post ce que j’en pensais. L’une comme l’autre ont été adoptées grâce aux voix conjointes pour l’occasion de la droite et de l’extrême droite. 

La deuxième de ces mesures portait sur l'instauration d'un bouclier de sécurité contre laquelle notre groupe a déposé une motion de censure. Nous pensons que ce rapport n’apporte aucune solution efficace pour la sécurité des franciliennes et des franciliens, qu’il caricature les problèmes d’insécurité et mélange des questions très différentes comme la petite délinquance et le terrorisme. 

Le rapport qui présentait la proposition et promesse électorale de Valérie Pécresse ne donnait qu'un seul motif objectif : le « sentiment d’insécurité » exprimé par 47% des franciliennes et des franciliens dans les transports en commun et mesuré en novembre 2014 par un institut de sondage "OpinionWay-Axis". On pouvait déjà s'étonner du choix d'une statistique produite par un institut de sondage privé et d'une statistique sur "un sentiment" et non pas sur des faits qui auraient permis de caractériser objectivement l'insécurité. D'autant que toutes les études sur le sujet, dont celles menées régulièrement par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Île de France, montrent qu’il n’y a aucune corrélation nécessaire entre le sentiment d’insécurité tel que peuvent l’exprimer les francilien-nes et la réalité de l’insécurité. 

A la lecture du rapport, il apparaissait évident que ce bouclier de sécurité entendait bien répondre « au sentiment d’insécurité », non pas en lui opposant une analyse objective de l’insécurité susceptible de rassurer nos concitoyen-nes et d’adapter nos réponses mais en le prenant pour l’expression rationnelle et proportionnée de l’insécurité effective. Ce qui revient à le légitimer voire à l’amplifier. 

Et justement, à ce propos, une note récente publiée le 16 décembre 2015 par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) relève exactement l’inverse de ce que sous-entend à chaque page ce rapport sans le démontrer : si les plaintes sont plus nombreuses et les magistrats plus sévères, qui prononcent plus fréquemment des peines de prison, le nombre d’actes de violence est stable.

Et on retrouve le même biais idéologique dans la partie qui concerne les lycées. Le rapport souligne implicitement et pourtant de manière appuyée que les politiques menées par la majorité précédente auraient constitué une menace pour la sécurité des lycées alors même qu’une étude de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), dont la presse s’est récemment fait l’écho, dément ces allégations et précise, au contraire, que les violences dans les lycées n’ont pas augmenté depuis 2010. Ce qui ne signifie pas qu’il faille considérer que le problème est réglé. Mais là encore, les préalables du rapport sont faux. 

Tous ces éléments suffisaient à montrer que ce bouclier de sécurité était essentiellement inspiré par des présupposés idéologiques qu’un examen attentif et objectif de la réalité contredit.

Des présupposés idéologiques qui font, par exemple, que dans un rapport sur l’insécurité en Île de France est fait référence à la loi anti-burqa comme si le fait de porter la burqa pouvait constituer en soi, et quoi qu’on en pense, une atteinte à la sécurité des personnes. Plus surprenant encore, le rapport oublie totalement les femmes qui représentent pourtant les premières victimes de violence et pour lesquelles la région pourrait agir efficacement et rapidement, à travers un soutien durable aux associations et centres d’hébergement qui les accompagnent ou à travers la généralisation d’un numéro de téléphone d’urgence. Mais non, les femmes n’apparaissent pas, sinon dans une allusion problématique qui associe implicitement certaines d’entre elles (quelques centaines tout au plus) au terrorisme et renforce une représentation manichéenne et simpliste de phénomènes complexes qui requièrent, au contraire, notre attention rigoureuse. 

Venons-en maintenant aux solutions préconisées par le rapport : la généralisation de la vidéo-surveillance nommée de manière remarquable vidéo-protection. Là encore son efficacité est très controversée et la plupart des études concluent à son inefficacité en matière de protection des personnes. La video-surveillance aurait une faible incidence sur les vols (en particulier en circuit fermé) et aucune efficacité sur les crimes violents. Si, par contre, elle aide parfois à l’élucidation des crimes, elle coûte très cher aux collectivités pour un service médiocre. C’est d’ailleurs pour cette raison que de nombreuses villes et régions d’Angleterre ont fait le choix en 2015 et 2016 de revenir sur une politique de développement massif de la video-surveillance (les régions de Powy et de la Cornouialles, les municipalités de Denbighshire et d’Anglesey, par exemple, ont abandonné leur système quand d’autres comme Birmingham ont choisi de les réduire). 

En plus de la video surveillance, la région souhaite équiper les salles de spectacles et les lycées de portiques de sécurité et aider à l’équipement en gilets pare-balles et en armes des polices municipales. Comme s’il était souhaitable de vivre dans un monde où le déploiement de l’hyper-technologie sécuritaire nous rappelait sans cesse que la violence est partout et qu’elle peut se déchainer à chaque instant. Comme si cette hyper-technologie sécuritaire pouvait être autre chose qu’une réponse ponctuelle, nécessairement insatisfaisante, à des problèmes à la racine desquels nous feignons de croire qu’elle nous dispense de nous attaquer. En outre et à l’instar de la video-surveillance, les portiques de sécurité sont d’une efficacité relative, il suffit pour s’en convaincre de considérer la multiplication des tragédies aux Etats-Unis, ces meurtres de masse commis dans des lieux pourtant équipés. Ces portiques arrêteront-ils des hommes déterminés à tuer et mourir comme ceux qui ont agi récemment à Paris et à Saint-Denis ?  

Par conséquent, en plus d’être inspirées par des considérations purement idéologiques, les seules solutions préconisées par ce bouclier de sécurité constituent un très mauvais pis-aller à la réduction dramatique des effectifs et des moyens de la police et de la justice. Par contre, leur mise en oeuvre garantira une rente confortable à des sociétés qui participent à ce qu’un récent reportage sur une chaine publique qualifiait de « business de la peur ». 

Pourtant, les attentes des franciliennes et des franciliens sont réelles, surtout en cette période difficile et les solutions, nous les connaissons. Elles passent non seulement par un redéploiement des politiques de prévention de la délinquance mais aussi par la garantie que tou-tes les citoyen-nes aient accès au droit commun. Pour ne rien dire de mesures de justice sociale renvoyées aux calendes grecques par le gouvernement. Quant aux lycéen-nes, un meilleur encadrement par des adultes présents dans les établissements et en mesure d’établir au quotidien des relations de confiance et d’autorité a longtemps fait la preuve de son efficacité. Jusqu’à ce que des politiques irresponsables de réduction systématique du nombre de fonctionnaires prive nos collectivités de moyens efficaces dans la lutte au quotidien contre l’insécurité, les déviances sectaires et/ou violentes et les comportements qui peuvent représenter un danger pour les jeunes eux-mêmes. Là encore la région pourrait intervenir efficacement. 

Si le sentiment d’insécurité des populations franciliennes est réel, ce rapport joue avec nos peurs, participe de représentations fausses et les solutions qu’il propose ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux. 

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