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Billet de blog 9 janv. 2015

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Hommage à Bernard Maris

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bernard Maris a terminé sa carrière universitaire à l'Institut d'études européennes  de l'Université Paris 8, dont la directrice fut longtemps ma vieille amie Mireille Azzoug.

Mireille rend ici hommage à son collègue.

Né à Toulouse le 23 septembre 1946, Bernard Maris, professeur des universités, économiste, essayiste et chroniqueur au journal Charlie Hebdo, nous a quittés ce mercredi 7 janvier 2015. Il a été froidement exécuté, avec neuf autres membres de l’équipe de ce journal et deux policiers, par des tueurs barbares qui s’en sont pris à la liberté de la presse, à la liberté de penser, aux valeurs fondamentales de la démocratie, de la République et de l’humanité.

Notre peine est immense, notre indignation et notre colère aussi.

Bernard Maris était non seulement l’un de nos collègues, c’était, pour beaucoup d’entre nous, un ami, un économiste brillant, un enseignant de talent. Un chercheur aussi, doublé d’un essayiste à la plume élégante, féru de poésie et de littérature – il fut aussi auteur de romans. Un humaniste érudit qui s’intéressait aussi bien à l’histoire, à la sociologie et à la psychologie qu’à la psychanalyse ou la rhétorique, disciplines dont il nourrissait son approche de l’économie.

Il se trouva parfaitement dans son élément lorsqu’il fut nommé, en 1999 (jusqu’à son départ à la retraite en 2012), professeur à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8, celui-ci ayant mis la pluridisciplinarité au centre de ses enseignements et de ses recherches. Il y dirigea pour un temps le doctorat d’études européennes et le Centre d’études des mutations en Europe.

Bernard Maris séduisait son auditoire par l’originalité et la hardiesse de sa pensée, rétive à toute orthodoxie, par la clarté pédagogique de son exposé, qui ne sacrifiait en rien la finesse et la sophistication de l’analyse. Il enseignait avec brio le fonctionnement des marchés financiers, les rouages de l’économie financière et boursière, l’économie du développement durable, l’économie européenne. Il savait mettre au jour la rhétorique de l’économie et sa fonction de légitimation du discours dominant.

A Charlie Hebdo, c’était Oncle Bernard, avec ses chroniques à l’humour décapant et son art de la dérision. Humaniste, libre penseur, anticonformiste, antimonétariste, ennemi de la financiarisation de l’économie, du productivisme, il s’en prenait aux poncifs du néolibéralisme débités dans les discours prétendument « experts » des économistes gourous, qu’il tenait en piètre estime.

Rebelle aux orthodoxies, il voulait redonner à l’économie ses lettres de noblesse, celles du politique. Il admirait Keynes, qu’il convoquait souvent dans ses analyses. Ce qui le séduisait chez celui qu’il appelait l’économiste citoyen,c’était d’avoir su remettre l’économie à sa place, qui est d’être un outil au service de l’humanité. Dans l’ouvrage qu’il lui a consacré, Keynes ou l’économiste citoyen, Bernard Maris écrit : « Keynes est un pur économiste. C’est-à-dire qu’il ne peut envisager la réflexion économique sans l’art, la politique, le bien-être. [...] On ne peut comprendre l’économiste Keynes, entrer dans une pensée diverse, riche, contradictoire, mais indiscutablement la plus grande pensée économique du siècle, en dissociant un seul instant les mots « économie » et « civilisation ». Voilà pourquoi l’économie de Keynes est d’une brûlante actualité, bien au-delà des « politiques de relance », des « baisses du taux d’intérêt », des recettes pour cuisines de ministères ou des ponts aux ânes pour étudiant en macroéconomie. Quel économiste aujourd’hui pense à la Cité ? Aucun. »2 (Ou presque aucun, car quelques-uns sauvent quand même l’honneur).

Directeur adjoint de la rédaction de Charlie Hebdo, collaborateur à Marianne,aux Échos, au Nouvel Observateur, au Monde, chroniqueur à France Inter, très souvent invité sur les plateaux de télévision, il développait partout ses analyses décapantes et lucides avec un humour facétieux et une bonhomie tranquille et joviale. Jacques Sapir a pu dire de lui, dans l’hommage qu’il lui rend3, « qu’il reste un modèle d’économiste citoyen ».

Ce droit à la critique, ce devoir d’irrespect sans lesquels il n’y a pas de liberté, lui ont valu la mort, comme à ses confrères de la rédaction de Charlie Hebdo, à une époque où il n’est plus tolérable de mourir pour des idées.

Mais les idées qu’il a semées ne sont pas mortes pour autant : il nous les lègue en héritage. Et pour que celui-ci perdure, il nous suffit de lire ou relire ses nombreux ouvrages, ses articles, ses chroniques dans Charlie Hebdo ou d’écouter les enregistrements de ses interventions sur la Toile.

Nous sommes tous Charlie et nous le resterons !

Mireille Azzoug
Directrice honoraire de l’Institut d’études européennes Maître de conférences hors classe retraitée 

1 Titre que lui décerne Jacques Sapir dans son hommage, « À Bernard Maris, homme délicieux » (faisait écho au livre de Bernard Maris, Keynes ou l’économiste citoyen), Le Huffington Post, 07-01-2015 : www.huffingtonpost.fr/jacques-sapir/bernard-maris-mort_b_6429820.html 

2 Keynes ou l’économiste citoyen, Presses de Sciences Po, coll. « La bibliothèque du citoyen », 1999, p. 8-9. 3 Cf. note 1. 

Parcours universitaire et professionnel de Bernard Maris (établi d’après son curriculum vitae, complété par les informations publiées sur Internet par Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Maris)

Diplômé de Sciences Po Toulouse en 1968.
Doctorat en sciences économiques à l'université Toulouse-I en 1975. Thèse intitulée « La distribution personnelle des revenus: une approche théorique dans le cadre de la croissance équilibrée », sous la direction de Jean Vincens.

Agrégation (science économique générale) en 1994 à l’IEP de Toulouse.
Assistant (1968), puis maître de conférences (1976), puis professeur (1994) en économie à l’université de Toulouse.

Professeur à l’Institut d’études européennes, Université Paris 8, de 1999 à 2012.
Professeur invité aux universités de Madrid, Iowa-City, Lima, Uqam (Montréal), Cambridge(King’s College)

Keynes ou l’économiste citoyen, Presses de Sciences Po, coll. « La bibliothèque du citoyen », 1999, p. 8-9. 3 Cf. note 1.

Fonctions universitaires

Directeur du Centre universitaire de Montauban : 1994-1999 et Directeur du DEA « Économie industrielle et de l'emploi ».

Directeur du LEREP (Laboratoire d’études et de recherches en économie de la production) de 1994 à 1999, Université de Toulouse 1.

Directeur du doctorat «La construction européenne. Enjeux géopolitiques, économiques et socioculturels », Institut d’études européennes, Paris 8, de 1999 à 2006.

Directeur du Centre d’études des mutations en Europe, Institut d’études européennes, Paris 8, 2000 à 2011.

Membre élu du Conseil national des universités (CNU) de 1999 à 2002
Membre du comité scientifique des revues : Sciences de la Société, Cahiers de l'Innovation,

Ecorev-Revue critique d'écologie politique

Distinctions

Le magazine Le Nouvel Économiste lui attribue en 1995 le titre de « meilleur économiste de l’année ».

Coordinateur du Schéma régional d'aménagement du territoire de la région Midi-Pyrénées, 1996-1997.

Vice-président du Conseil scientifique de l’association ATTAC, 1998-2001.


Directeur de la collection « Albin Michel Économie » aux Éditions Albin Michel (Paris), 1999. Nommé membre du conseil général de la Banque de France en décembre 2011.


Président d’honneur de « Je me souviens de Ceux de 14 » et de la Société des amis du Mémorial de Verdun.

Publications

Outre de très nombreux articles et chroniques, Bernard Maris est l’auteur de :

Économie

Éléments de politique économique : l'expérience française de 1945 à 1984, Privat, 1985.
Des économistes au-dessus de tout soupçon ou la grande mascarade des prédictions, Albin Michel, 1990.

Les Sept Péchés capitaux des universitaires, Albin Michel, 19991.
Jacques Delors, artiste et martyr, Albin Michel, 1993.
Parlant pognon mon petit. Leçons d’économie politique, Syros, 1994.
Ah Dieu ! que la guerre économique est jolie !, Albin Michel, 1998, coécrit avec Philippe Labarde

Keynes ou l'économiste citoyen, Presses de Sciences Po, coll. « La bibliothèque du citoyen », 1999 et 2007.

Lettre ouverte aux gourous de l'économie qui nous prennent pour des imbéciles, Albin Michel, 1999, et Seuil, coll. « Points-Économie », 2003.

La Bourse ou la vie - La grande manipulation des petits actionnaires, Albin Michel, 2000, coécrit avec Philippe Labarde

Malheur aux vaincus : Ah, si les riches pouvaient rester entre riches, Albin Michel, 2002, coécrit avec Philippe Labarde

Direction de La légitimation du discours économique, Sciences de la société, n° 55, Presses universitaires du Mirail, 2002 (Actes du colloque international du même nom organisé par B. Maris à l’IEE en 2001).

Antimanuel d'économie : Tome 1, les fourmis, Bréal, 2003
Antimanuel d'économie : Tome 2, les cigales, Bréal, 2006
Gouverner par la peur, Fayard, 2007, coécrit avec avec Leyla Dakhli, Roger Sue et Georges Vigarello

Petits principes de langue de bois économique, Charlie Hebdo, 2008.
Capitalisme et pulsion de mort, Hachette, coll. « Pluriel », 2010, coécrit avec Gilles Dostaler

Marx, ô Marx, pourquoi m'as-tu abandonné ? Éditions Les Échappés, 2010 et Champs actuel, 2012.

Plaidoyer (impossible) pour les socialistes, Albin Michel, 2012.
Journal d’un économiste en crise, Les Échappés/Charlie Hebdo, 2013 (sélection de textes d’Oncle Bernard (Bernard Maris) publiés dans Charlie Hebdo depuis 2005). Préface à La reprise tranquille, Charlie Hebdo, l’Année 2014 en dessins, 2014 Essais

L’Homme dans la guerre. Maurice Genevoix face à Ernst Jünger, Grasset, 2013.

Houellebecq économiste, Flammarion, 2014.

Romans
Pertinentes Questions morales et sexuelles dans le Dakota du Nord, Albin Michel, 1995.

L'Enfant qui voulait être muet, Albin Michel, 2003.
Le Journal, Albin Michel, 2005. 

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