Les résultats des élections législatives montrent que ces élections n’ont pas été l’occasion d’un scrutin d’adhésion, mais celle d’un rejet de la vie politique française, des institutions de notre pays, des logiques de pouvoir qui s’y mettent en jeu. La signification du résultat de ces élections est, ainsi, sans doute, moins à comprendre sur le plan de l’évolution des forces politiques de notre pays ou de la façon dont se transforme ce que l’on a l’habitude d’appeler l’échiquier politique, ou l’espace politique, mais plutôt sur le plan de ce que représente la politique en France, aujourd’hui.
Pour la gauche, une victoire qui n’en est pas vraiment une
Quelque chose s’est cassé, dans notre pays : la gauche semble ne plus pouvoir avoir la force d’engager les classes populaires, de les faire adhérer à son projet, de leur permettre de se retrouver dans son discours, dans ses mots, dans ses propositions. Il est vrai que ce n’est pas un fait dont on se rend compte aujourd’hui. Depuis la fameuse élection présidentielle de 2002, qui a vu un second tour opposer J. Chirac et J.-M. Le Pen, la gauche n’a connu qu’une véritable victoire, celle de F. Hollande à l’élection présidentielle de 2012. Et encore il ne s’agissait pas d’une victoire de la gauche mais du constat que le P.S. avait cessé d’être un parti de gauche. En revanche, cette année, J.-L. Mélenchon, lors de l’élection présidentielle, puis la NUPES aux élections législatives étaient des acteurs de gauche. L’échec de J.-L. Mélenchon à l’élection présidentielle, dû à l’absence de candidature unique et à l’émiettement de la gauche en plusieurs candidatures, laisse un goût amer. De la même manière, la NUPES a remporté les élections législatives, mais avec un autre goût amer, celui de l’importance de l’abstention, lors des deux tours. Le parti d’E. Macron, « Ensemble » n’a certes, pas la majorité absolue, mais la NUPES non plus.
Pour la droite, une défaite qui n’en est vraiment une
La coalition macroniste n’est donc pas parvenue à obtenir la majorité absolue des sièges de l’Assemblée. En ce sens, il s’agit d’une défaite, mais, tout de même, la droite demeure une force importante : avec plus de 300 sièges, la droite classique et le droite macroniste demeurent, ensemble, le premier parti de l’Assemblée. Il s’agit donc d’une défaite, puisqu’aucun parti ne se dégage pas, et, surtout, parce qu’aucun projet politique lisible ne pourra être mise en œuvre au cours de ce mandat, mais tout de même, ne nous payons pas de mots, c’est bien la droite qui est la force la plus importante à l’Assemblée nationale. Si la droite a connu une défaite, c’est moins celle d’un parti que celle d’un discours auquel notre pays n’adhère plus. Mais, finalement, peut-être la droite retrouve-t-elle la gauche dans cette sorte de décalage par rapport aux attentes des citoyens de notre pays, par rapport à ce qui pourrait les pousser à s’engager.
Pour l’extrême droite, la promesse d’un poids dans les institutions
Avec son nombre important de députés élus, le R.N. est en mesure d’imposer bien plus qu’auparavant ses idées racistes, xénophobes et autoritaires dans le travail législatif. C’est la première fois que le Front national, ou le Rassemblement national, son nouveau nom, qui se veut plus consensuel que le terme « Front » qui était un mot de guerre, en parvenant à constituer un groupe de 90 députées et députés, va exercer un véritable pouvoir au sein de l’Assemblée, va pouvoir, ainsi, soumettre à son jugement et à sa volonté les projets présentés à l’Assemblée. Désormais, ce poids de l’extrême droite dans le pouvoir législatif va faire apparaître la véritable orientation des dirigeants de notre pays. En effet, qu’ils soient libéraux ou totalitaires, ils se retrouvent dans un orientation commune : ils sont de droite. Ce poids de l’extrême droite ne fait que manifester le glissement de notre pays vers la droite : finalement, la mutation de la droite en extrême droite n’est que le même processus que celui de ce qui restait de la gauche vers la droite libérale d’En marche.
Pour l’exécutif, l’incertitude
C’est un autre fait issu de ce second tour : l’exécutif n’est pas en mesure de gouverner. Il va devoir se soumettre à l’arbitrage du pouvoir législatif. Nous voilà revenus au temps de Montesquieu et de L’Esprit des lois. Trop longtemps, dans notre pays, la force de l’exécutif a étouffé le législatif et l’a empêché de jouer pleinement son rôle, d’être un véritable pouvoir. Eh bien, c’est terminé. En-dehors des questions d’appartenances et de partis, c’est l’équilibre des pouvoirs qui se trouve profondément transformé par ces élections législatives. Les grands mots d’E. Macron n’ont pas réussi à faire de lui un président. Cette sorte de vibrion qu’il fut tout au long de son premier mandat, notamment à l’occasion de la guerre d’Ukraine va devoir rentrer à la maison, et il va devoir jouer son rôle de chef de l’exécutif en mettant un terme la monarchie qu’il avait tenté d’instituer. C’est ainsi que nous pouvons parler d’incertitude : nous ne savons pas comment sera constitué le premier gouvernement institué après les élections législatives – et sans doute E. Macron ne le sait-il pas non plus. Nous ne savons pas quels seront les projets et les orientations de ce gouvernement. Nous ne savons pas quelles seront ses relations avec les autres pouvoirs, qu’il s’agisse du pouvoir de la justice avec les aventures de ministres comme D. Abad, ou du pouvoir législatif avec cette nouvelle configuration de l’Assemblée nationale née dimanche dernier.
La persistance de l’abstention
Le second tour n’a guère mobilisé davantage la population que le premier. C’est l’autre interrogation qui pèse sur la vie politique française. On pourrait appeler cela la philosophie du décalage. Si la moitié des citoyennes et des citoyens de notre pays n’ont pas voulu être des électrices et des électeurs, c’est que la représentation politique n’en est plus une. Les institutions ne jouent plus leur rôle, et, finalement, elles se trouvent réduites à n’être plus que des pouvoirs. Dans une société démocratique, les institutions expriment l’identité de celles et de ceux qui vivent dans la société et qui se retrouvent dans les institutions qui ne les dominent pas, mais qui régulent leur vie sociale. Quand les citoyennes et les citoyens ne se retrouvent pas dans les institutions, ce qu’ils ont voulu dire, en disant rien, dimanche dernier, les institutions ne sont plus que des pouvoirs. C’est le début du totalitarisme qui n’est plus une société politique. E. Macron devrait faire attention : en jouant, comme il le fait, avec les pouvoirs et en redisant la vie politique à des jeux, en réduisant son identité de président à l’action d’un acteur détenteur d’un pouvoir, il n’est plus que la figue vide d’une domination. Rousseau, encore, toujours : Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. En refusant de voter dimanche, et en refusant de donner à l’exécutif une majorité législative, les citoyennes et les citoyens de notre pays ont dit qu’ils ne voulaient pas de ce pain politique-là, mais ils ont dit aussi au président qu’ils ne lui faisaient pas confiance. C’est cela qui s’est cassé : peut-être notre pays a-t-il cessé d’être une démocratie quand le démos, le peuple, a cessé de vouloir être un kratos, un pouvoir. C’est bien pour cela que tout le monde s’accorde à reconnaître que le président est dans une impasse, que son pouvoir n’a plus d’issue. On en est même à parler de dissolution, alors que les députées et les députés n’ont pas encore pris leurs fonctions et n’ont pas commencé à exercer leur pouvoir. Pour que l’abstention cesse, il faut que le peuple retrouve son pouvoir, que l’exécutif cesse de le lui confisquer, de le lui voler. Il faut que les pouvoirs soient enfin, de nouveau, des contre-pouvoirs les uns pour les autres.