Tout comme Condorcet faisait reproche à Voltaire et Montesquieu d’avoir fait preuve de retenue à l’égard de l’aristocratie et de la monarchie (Voir 1), nous devons faire reproche aujourd’hui à la plupart des hommes politiques, de droite comme de gauche, de leur retenue à l’égard du néocapitalisme et de l’économie néoclassique.
Le mot « retenue » est même certainement trop faible, car il serait plus judicieux de parler de complicité. Complicité d’appartenance pourrions nous dire.
Appartenance à une secte dirigeante, à une oligarchie entièrement régie par la préservation de son pouvoir, oligarchie majoritaire par l’organisation des institutions, majorité au service d’une ploutocratie, certes minoritaire en nombre, mais tenant tout, organisant tout, achetant tout et tout le monde.
S’achetant jusqu’à ces lieux d’où sortaient autrefois les contestations et les propositions de changements, mais où s’enseigne désormais, dans une orthodoxie sectaire, la religion de la théorie économique néoclassique ; je veux dire l’université. On l’a bien vu récemment avec Jean Tirole, incapable de s’exprimer sans faire référence à la conception magique du marché, jusque dans un domaine qui n’est pas le sien, l’environnement et le climat. (J.P. Dupuy in « Le pape François et le Nobel de l’économie » Le Monde 07/07)
Cette complicité est chaque jour plus évidente depuis la crise de 2008, qui s’est transformée en 2010, autour de nous, en crise de l’Europe.
Et ces crises, auxquelles on pourrait rajouter la crise environnementale et climatique, entrainent dès aujourd’hui un désir de justice des citoyens. Un désir que soient jugés les responsables, à l’exemple de ce que l’histoire a déjà connu.
Mieux vaudrait éviter les soubresauts trop violents du passé et innover avec des propositions plus douces. La plus naturelle serait celle des élections. Mais personne ne nie que celles ci ne fonctionnent plus dans un système désormais organisé et capté par une oligarchie matinée de ploutocratie. Il faut donc trouver autre chose.
L’appel au droit.
Je ne suis pas juriste, mais je pense que l’appel au droit pourrait être une solution.
Tout comme la nécessité s’est fait sentir après la seconde guerre mondiale de créer une Cour internationale de justice pour se saisir des conflits juridiques entre nations, tout comme le besoin de créer une Cour pénale internationale s’est fait sentir un jour pour juger les personnes accusées de génocide, tout comme après avoir construit un droit de l’environnement on ressent la nécessité d’une cour pénale internationale pour juger des crimes environnementaux, on pourrait trouver utile de créer une Cour internationale européenne pour juger des crimes économiques et politiques commis par des Etats, des institutions, et leurs responsables, qui n’acceptent pas, comme l’ont écrit Sandra Laugier et Albert Ogien, (voir 2), « qu’un peuple informé fasse la leçon politique à ses gouvernants et à ses élites de pouvoir ».
Sans oublier la question des crimes économiques commis en nombre par les entreprises, et qui méritent d’être discutée une autre fois, c’est bien cette actualité là qui interpelle aujourd’hui en Europe tout citoyen un peu attaché aux pratiques démocratiques, sérieusement mises à mal dans le dossier grec.
Même les syndicats allemands, non tenus de faire allégeance aux Merkel, Schauble, et Schultz, en sont convenus, qui ont écrit : « les résultats électoraux (en Grèce) constituent un réquisitoire définitif contre ces politiques qui ont échoué », dans un appel relayé par Altereco le 11/02/2015.
A l’heure où le pape François censure le capitalisme et appelle la jeunesse à « mettre le bazar », lors de son voyage en Amérique latine (voir 3), il nous faut bien convenir qu’il est grand temps de censurer l’oligarchie qui gouverne l’Europe et ceux qui la servent sans complexe dans les médias.
Car de mensonges sur les grecs en travestissements de la vérité, nous sommes bien face à un complot contre la démocratie qu’ont ourdi les gouvernants de nos institutions et de nos Etats. Un complot qui se termine par un « véritable coup d’Etat financier » des créanciers d’Athènes comme l’a titré Libération le 6 juillet dernier, coup d’Etat vedette sur Twitter ces derniers jours sous le hashtag « #ThisIsACoup ». Deuxième hashtag le plus populaire au monde. Si vouloir interdire la publication d’un rapport du FMI sur la Grèce ne ressort pas du complot, qu’on nous explique ce que c’est. (Voir 4)
Quelques propos qui méritent d’être versés au dossier d’un juge à venir.
- Dès 2011, Schauble, ministre allemand des finances, appelait déjà à un Grexit, comme il a tout au long de ces derniers mois tenté de pousser la Grèce hors de l’Euro et hors de l’Europe. Un Schauble donneur de leçons, pour faire oublier sans doute les casseroles qu’il traine derrière lui, comme cette implication dans une affaire de corruption qui l’avait contraint de démissionner de ses responsabilités en 1999, ou encore cette présidence de KFW, un fond bancaire au Luxembourg dans lequel il a proposé dimanche dernier de mettre les 50 milliards d’avoirs grecs. Pas gêné par ce conflit d’intérêt. (voir 5)
- Les propos de Martin Schultz, président socialiste du Parlement européen, grâce à un accord avec la droite pour le partage de pouvoir, plaidant pour « un gouvernement d’experts à Athènes » après l’annonce du référendum par Tsipras méritent aussi la citation à comparaitre.
- Ceux de Jean-Claude Junker aussi, qui au même moment disait: « Il ne peut y avoir un vote démocratique dans un pays qui s'inscrive contre les traités. ». Merci pour la démocratie. Merci pour les peuples. Merci pour les citoyens. Merci à celui qui a ouvert les portes du Luxembourg aux entreprises souhaitant payer moins d’impôts qu’en France.
- Celui d’Emmanuel Macron qui a osé écrire que « Le Front national est, toute chose égale par ailleurs, une forme de Syriza à la française ».
- Celui de Pascal Lamy, qui a par ailleurs soutenu le maintien de la Grèce dans l’Europe, mais n’a pu s’empêcher, sur France Info, de décrire le peuple grec comme « un peu insouciant et dispendieux ».
- Celui de Nicolas Sarkozy qui affirme que « Le problème auquel est confrontée la Grèce aujourd’hui, c’est qu’on ne travaille pas assez ». Or, le nombre d’heures travaillées par travailleur par an est de 2101 heures en Grèce, contre 1442 heures en France et 1526 heures en Allemagne. (Source OCDE). Comme durant 5 ans, Sarkozy reste le champion de la désinformation. Par ignorance, stupidité, où mensonge ?
- Ceux de Guy Verhofstadt, président du groupe libéral au Parlement européen, qui s’est permis les propos suivants « Vous, Monsieur Tsipras, devez mettre sur la table une législation contre le clientélisme et faire cesser votre propre clientélisme ». Encore une fois des paroles insupportables de la part d’un homme politique classé quatrième sur la liste des plus gros cumulards de l’Union européenne, et n’hésitant pas à exercer un mandat au Conseil d’administration d’Exmar, grosse société maritime belge, vraisemblablement en affaire avec quelque armateur grec.
- Ceux de Gianni Pittella, président du groupe social-démocrate au Parlement européen, qui invite la Grèce à lutter contre la corruption, « alors que les architectes de la kleptocratie panhellénique font partie du groupe de Pittella », comme l’écrit Peter Mertens dans «’’l’Express-Le- Vif’’ du 10 juillet.
Mais restent bien d’autres propos et fausses idées répétées par des médias, que d’autres corrigent, heureusement.
Un seul exemple. Les grecs seraient paresseux. Ils partent à la retraite à 64,4 ans contre 60,5 au Luxembourg, 60,9 en France, et 64,7 en Allemagne. Paresseux les grecs ? Le temps de travail hebdomadaire effectif moyen des personnes en emplois est de 40,6 Heures en Grèce, contre 38,4 en Slovénie, 38 au Luxembourg, 36,9 en Belgique, 35,7 en France, 35,3 en Allemagne, et enfin 31,6 aux pays bas. (Sources Eurostat, reprises dans Altereco par Guillaume Duval le 10 juillet dernier).
Enfin, on pourrait penser qu’il serait bon de réclamer des comptes, en fonction de leur propre moralité devant une juridiction adéquate, aux pays donneurs de leçons et intransigeants vis à vis de la Grèce,.
Aux Pays-Bas, paradis fiscal pour entreprises ; à l’Espagne, gouvernée par une droite aussi corrompue que l’est sa gauche, à tel point qu’elle empoisonne la vie politique et est la cause directe de la naissance de deux mouvement contestataires, Podemos et Ciudademos : « Durant l’actuelle législature ont été découverts tellement de cas de corruption politique qu’il devient impossible de ne pas tomber dans la tristesse en pensant que la démocratie a été durant des années aux mains de mafias institutionnalisées », peut-on lire dans le journal de droite El Mundo, comme le rapporte Le Monde du 21 mai dernier ; au Luxembourg (Il suffit de taper Luxleaks sur Google), à l’Allemagne et la France qui se battent pour être en tète des scandales politiques, etc.
Nous laisserons la conclusion à deux hommes.
Le premier, un politique, Mattéo Renzi, qui n’a pourtant pas été toujours tendre avec la Grèce a dit « : Trop c'est trop. Humilier ainsi un partenaire européen, alors que la Grèce a cédé sur presque tous les points, est impensable. ».
L’autre, un philosophe, Paul Audi, qui a écrit dans « Le démon de l’appartenance » ceci : « Si le sentiment d’injustice se laisse appréhender toujours assez mal, il n’en demeure pas moins à l’origine, je ne dirai pas d’une nouvelle conscience de classe, mais d’une nouvelle conscience de la lutte de classe ». Rajoutant un peu plus loin « C’est ce que l’on pourrait appeler une nouvelle conscience morale ». Il croit que celle ci est partagée entre classes sociales, qu’elles soient privilégiées ou non. Je ne sais s’il a raison. Mais dans ce cas, je ne mettrai pas le centile supérieur dans la classe aisée, mais dans la classe purement dominante. La classe à juger en priorité en audience d’une Cour de justice encore à créer.
1
Jonathan Israel in « 1789 une révolution toujours actuelle » dans le Monde 14/07
2
http://journal.liberation.fr/publication/liberation/1903/#!/0_22
3
4
5
http://www.liberation.fr/monde/2015/07/13/l-accord-sur-la-grece-enflamme-le-net_1347163