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Billet de blog 17 janvier 2016

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Confusion à Polytechnique. Il faudrait oublier les valeurs.

Il faudrait « Oublier les valeurs » nous dit Michael Foessel dans sa tribune de Libération. Sauf qu’à devoir impérativement fournir un texte on s’entraine, en cas de manque d’inspiration, à en commettre un qui, fort malheureusement, peut manquer… de valeur. Et c’est ce qui lui arrive en feignant de s’en prendre au Premier ministre, pour attaquer, en fait, les valeurs républicaines.

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Il faudrait « Oublier les valeurs » nous dit Michael Foessel dans une tribune, qu’il tient régulièrement dans Libération. Sauf qu’à devoir impérativement fournir un texte on s’entraine, en cas de manque d’inspiration, à en commettre un qui, fort malheureusement, peut manquer…  de valeur.

Et c’est ce qui lui arrive en voulant s’en prendre au Premier ministre, au prétexte que ce dernier a déclaré à propos des réactions au projet sur la déchéance de la nationalité qu’«une partie de la gauche s’égare au nom des grandes valeurs».

Foessel, professeur de philosophie à Polytechnique, va-t-il défendre ces valeurs repoussées du pied par Valls ? Pas du tout. C’est au contraire un prétexte pour lui pour développer une déconstruction en règle de la notion de valeur.

« On invoque les « valeurs de la république », nous dit-il, et quelques autres également. Mais c’est une liste qui : « ne peut être close pour cette raison qu’il est possible d’accoler le mot « valeurs » à une pratique ou à une idéologie, et cela dans le but de les placer au-dessus de tout soupçon ».

Que le mot « valeurs » soit utilisé à tous propos c’est certain. Qu’on puisse le regretter se justifie parfois. Mais Foessel ne se joue du mot que pour atteindre ses fins, qui ne sont pas Valls, mais ceux pour qui les valeurs de la république ne sont pas tombées en désuétude.

Et il le fait en toute connaissance de cause, car il le sait, et le ‘’Vocabulaire européen des philosophies’’, publié au Seuil, le dit fort bien : « la difficulté du terme valeur tient à la diversité des domaines où il trouve sa signification ».

Dés lors, notre philosophe, qui enseigne à ses étudiants l’art de penser droit et celui du syllogisme, se lance dans une construction de ce type pour mieux dévaloriser « les valeurs » et ceux qui s’y réfèrent.

« En évoquant la valeur de quoi que ce soit, on s’épargne la peine de définir ce dont on parle pour ne retenir que le seul fait que cette chose est désirable. ‘’Parce que je le vaux bien’’ est devenu, depuis longtemps, le slogan d’un narcissisme incapable d’autocritique ».

Quelle rigueur argumentaire ! Ainsi donc, pour éviter d’aller au fond et de nous parler des valeurs, Foessel choisit d’abaisser sa cible.  D’abord, en lui prêtant certains défauts. Elle est relativiste, en évoquant la « valeur de quoi que ce soit ». Elle est paresseuse, en s’épargnant « la peine de définir ce dont on parle ». Et enfin on la réduit à un slogan : « Parce que je le vaux bien ».

Jolie tentative de syllogisme. « Une valeur est désirable comme un slogan de parfum. Tu défends les valeurs de la République. Donc, ces valeurs ne sont rien d’autre qu’un slogan.

Puis, pour ceux qui n’auraient pas compris encore, Foessel en rajoute une couche. Ce slogan est « d’un narcissisme incapable d’autocritique ». Vous êtes républicain ? Donc vous êtes narcissique. Vous relevez donc d’un défaut psychanalytique. Fixé à vous même, vous ne pouvez voir l’autre, et dès lors faire preuve d’autocritique.

Il faut vraiment être professeur de philosophie à polytechnique pour écrire ce genre de chose. Pour faire honneur sans doute à la stupide plaisanterie. ‘’Un chameau est un dromadaire dessiné par un polytechnicien’’.

Mais Foessel ne s’en tient pas là. Il enfonce le clou. « Les valeurs, c’est le relativisme devenu paradoxalement dogmatique »…  « La référence obsessionnelle aux valeurs n’implique pas seulement la vacuité du discours politique, elle est aussi un trait d’époque ».

Puis il continue sa dérive en jouant sur la diversité du mot valeur.

Puisque celui ci peut avoir une signification économique il en conclut : « Ce n’est pas un hasard si la rhétorique des valeurs triomphe en politique dans un contexte où l’économie et la biologie sont devenues les sciences reines. Qu’y a-t-il de plus tentant que de prétendre quantifier nos préférences intimes pour mieux les satisfaire ? ».

Vous en voulez un peu plus. Il continue : « Et voilà les valeurs de la République brandies pour défendre une identité culturelle que l’on pense assiégée de toute part ».

Pour en arriver enfin où il souhaitait nous entrainer : « La République n’est pourtant pas faite de valeurs, mais de normes ».

Nous y voilà. Au jeu de passe-passe. Au bonneteau du philosophe. Qui nous dit : «  Les normes ont justement pour fonction de réguler les valeurs que les vivants humains portent inévitablement avec eux ».

Mais comment fait Foessel pour nous dire maintenant que les humains portent des valeurs ? A quelles valeurs fait-il allusion, puisque quelques lignes plus haut, de valeurs il n’en était pas question. Et que même son titre de papier nous encourageait à les oublier. Mystère de la rhétorique.

La voilà l’entourloupe. Une norme on peut en changer. Mais d’une valeur, on ne peut. Car une valeur c’est fondamental. On peut changer de norme comptable. Mais c’est toujours de la comptabilité qu’on pratiquera. Peut-on changer la liberté contre une norme ? Certes non. Alors, que cherche Foessel ? Il rame au profit de quoi, de qui ? Il veut que la République s’adapte ? S’adapte au changement d’époque.  Au retour du religieux dans la société par exemple ? Il veut faire des valeurs laïques une norme ? Et ainsi pouvoir changer la norme, c’est à dire la laicité.

Un peu gêné aux entournures, il fait un pas de deux, pour se justifier. Ainsi d’écrire : « la norme républicaine interdit de créer deux catégories de citoyens ». Car il s’agirait d’une norme ? Nos valeurs fondatrices républicaines et ce qui s’y rattache seraient une norme ?

La liberté, une norme ? L’égalité, une norme ? La fraternité, une norme ? La laïcité, une norme ? La défense des droits, une norme ? La solidarité, une norme ? La dignité humaine, une norme ? La lutte contre le racisme, une norme ? L’amitié, une norme ?

Cette confusion chez Foessel, y a-t-il quelque chose qui l’explique ? Ou bien se perd-il dans cette trappe de trouble doctrinal qui caractérise notre époque ? A quoi sert la philosophie ?

Non Monsieur Foessel, les valeurs ne sont pas des normes. Elles en sont le contraire. Car il y a dans les valeurs une richesse de pensée que les normes n’ont pas. Et il y a dans la norme ce goût d’équerre qu’on a déjà connu dans la dernière moitié du siècle dernier en Tchécoslovaquie, avec la politique de normalisation du camarade Husak.

Alors vos normes, laissez les à vos confrères technicistes de Polytechnique ! Et cette philosophie qui ne peut se passer chez vous de normes, comme celle de Descartes ne pouvait se passer de religion, allégez la, musclez la, assoupissez la, sortez de chez vous, soyez spinoziste, et bombez sur les murs en ces temps de sauvagerie généralisée Ultimi barbarorum.

René Char contre Foessel.

Pour conclure, imaginons Foessel écrire à René Char, pour lui expliquer que son combat contre le nazisme, qu’il avait cru être un combat pour les valeurs de la démocratie, pour les valeurs de la République, pour les valeurs des droits humains, n’avait été qu’un combat pour des normes.

Par avance Char lui a répondu, dans deux textes de « Feuillets d’Hypnos », écrits entre 1943 et 1944. Numéros 37 et38.

« Révolutions et contre-révolution se masquent pour à nouveau s’affronter.

Franchise de courte durée ! Au combat des aigles succède le combat des pieuvres. Le génie de l’homme, qui pense avoir découvert des vérités formelles, accommode les vérités qui tuent en vérités qui autorisent à tuer. Parade des grands inspirés à rebours sur le front de l’univers cuirassé et pantelant !

Cependant que les névroses collectives s’accusent dans l’œil des mythes et des symboles, l’homme psychique met la vie au supplice sans qu’il paraisse lui en couter le moindre remord. La fleur tracée, la fleur hideuse, tourne ses pétales noirs dans la chair folle du soleil. Où êtes vous source ? Ou êtes vous remèdes ? Economie vas-tu enfin changer ?

***

«  Ils se laissent choir de toute la masse de leurs préjugés ou ivres de l’ardeur de leurs faux principes. Les associer, les exorciser, les alléger, les muscler, les assoupir, puis les convaincre qu’à partir d’un certain point l’importance des idées reçues est extrêmement relative et qu’en fin de compte « l’affaire » est une affaire de vie et de mort et non de nuances à faire prévaloir au sein d’une civilisation dont le naufrage risque de ne pas laisser de trace sur l’océan de la destinée, c’est ce que je m’efforce de faire approuver autour de moi ».

Pour lire la chronique de Foessel : 

http://www.liberation.fr/chroniques/2016/01/14/oublier-les-valeurs_1426453 

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