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Billet de blog 22 janvier 2016

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Revue de presse. Nouveaux réactionnaires. Qui ?

En êtes vous ou pas ? On nous parle tous les jours dans la presse des nouveaux réactionnaires. Les anciens avaient-ils jamais disparu ? Non, mais ils ne sont pas un terreau tendance. Comme n’ont jamais disparu les antirépublicains non plus. Sauf qu’à défendre la République vous prenez des risques. Le paradoxe de la situation, c’est qu’un jeu de bonneteau a envahi les grands boulevards de la pensée

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En êtes vous ou pas ? On nous parle tous les jours dans la presse des nouveaux réactionnaires. Les anciens avaient-ils jamais disparu ? Non, mais ils ne sont pas un terreau tendance. Comme n’ont jamais disparu les antirépublicains non plus. Sauf qu’à défendre la République vous prenez des risques aujourd'hui.

Le paradoxe de la situation, c’est qu’un jeu de bonneteau a envahi les grands boulevards de la pensée, et qu’un nombre important d’intellectuels, de journalistes, d’hommes politiques, a commencé à jouer avec les cartes de l’adversaire en vue de manipuler opinion et électeurs. Ca pense trop vite, trop court. Pour donner du grain à moudre à des gens qui lisent trop vite. L’époque est aux phrases en 140 signes.

Cette confusion mentale avait commencé dès le tournant économique néoclassique du PS en 1983, date du premier abandon des marqueurs de la gauche au profit d’un supposé principe de réalité. En fait, l’allégeance pure et simple à la finance, aux banques, et aux entreprises transnationales.

Puis cette confusion a culminé avec le fameux rapport de Terra Nova en 2011 annonçant : « La classe ouvrière n’est plus le cœur du vote de gauche, elle n’est plus en phase avec l’ensemble de ses valeurs ».

Dés lors, la dérive à droite du langage et de la politique du PS n’a pas arrêté, créant et accentuant une perte croissante de son électorat, au profit d’une extrême droite reprenant à son compte au niveau des mots la défense des couches populaires se sentant abandonnées. La droite, elle, tombant de Charybde en Scylla, je veux dire de Chirac en Sarkozy.

Le cas Lindenberg.

Or donc, nous voilà submergés par un débat sur ces « nouveaux réactionnaires ». Deux grandes pages dans le Monde du 18. La moitié de la première de couverture de Libération le  21 janvier, et quatre pages en intérieur, plus un compte rendu par Joffrin du livre de Gilles Finchelstein ‘’Piège d’identité ’’, où il en remet une couche.

Toutes ces pages, tous ces articles, tournent autour de la réédition du livre « Le rappel à l’ordre » de Daniel Lindenberg, publié en 2002.

J’ai déjà traité des pages du Monde, dans mon post précédant. Voyons ce qu’on trouve dans Libération.

Le livre de Lindenberg, vilipendé à sa sortie, bénéficie désormais d’un accueil bien plus favorable. Les journalistes de Libé,  après en avoir en quelques mots  rappelé les « raccourcis et les impasses », continuent sans souci de se contredire par en  louer la clairvoyance. Ce livre aurait « bouleversé le débat d’idée ». Donc, précurseur. Mais précurseur de quoi ? Des dérives des intellectuels de 2015 ? Ou de la façon lindenberguerienne dont on écrit désormais dans les médias et dans les livres ? A savoir par « raccourcis » et par « impasses » ? 

Il suffit de le lire dans ses interviewes récentes pour voir qu’il n’a rien changé de sa pratique ancienne de l’amalgame, ce genre qui permet de simplifier la lecture de son lectorat. Car simplifier en noir et blanc des problèmes de société somme toute complexes est ce qui convient le mieux à notre époque conditionnée par des politiques à la culture souvent limitée.

Il y aurait donc eu depuis 2002 « un effet d'accélération et d’amplification du néoconservatisme ». Pourquoi ne pas dire plus simplement qu’il y a eu depuis 2002 une accélération aux yeux des Français des problèmes islamistes, communautaristes, et l’émergence de tentatives par les religions de se saisir du politique pour se refaire une santé (La manif pout tous), ou imposer ses règles morales et culturelles (Le salafisme), dans un pays où depuis longtemps la religion nous avait habitué à une sécularisation plutôt intérieure qu’extérieure, donc non envahissante. Pourquoi ? Parce que la règle des médias l’a emporté. Simplifier pour des cerveaux disponibles après décérébration est devenu la pratique courante. Et pour cela, rien de mieux que l’ostracisation de l’autre dans la partition binaire.

Vous êtes de gauche mais vous critiquez les fautes de la gauche, vous êtes donc de droite, car la favorisant indirectement. Encore heureux si vous ne vous faites pas traiter de « rouge-brun », d’ultragauchiste, de néoréac. Vous critiquez les dérives islamistes, vous devenez un complice objectif  de l’extrême droite raciste, vous critiquez la politique coloniale d’Israël, vous vous retrouvez  taxé d’antisémitisme, vous êtes pour le mariage des homosexuels, c’est la famille que vous aidez à déconstruire.

C’est ce qui permet à Lindenberg de mettre dans le même sac des écrivains dont il dit que « venus de la gauche et même de la gauche radicale, de la contre-culture post 68, ils ont glissé vers des positions situés à l’autre extrémité du champ littéraire ». Et pour faire sérieux, pour tenter de mieux convaincre, il lui faut citer en deux pages, comme étaiement, pas moins de 19 écrivains et philosophes, dont Sartre, Camus, Aron, Foucault, qui doivent se demander dans leur tombe, ce qu’ils font dans cette galère.

Peu de ses contemporains sont à sauver aux yeux de Lindenberg, qui écrit dans la nouvelle édition de son ouvrage ressuscité après 14 ans : « On pense « aux animaux malades de la peste » du grand fabuliste : « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».

Au moins Lindenberg est clair. Pour mieux revenir dans son époque qui l’avait un peu oublié, il s’érige en prophète anciennement décrié, jusqu’à écrire sans hésiter : « Mon crime ? J’ai cru pouvoir identifier une série de procès intentés à la société ouverte ». Et de se dépêcher de prendre le train en marche des « modernes » qui veulent à tout prix nous faire croire que critiquer l’islamisme serait laisser entendre que les musulmans sont par essence hostile à la République, ou qu’il faudrait accepter toutes les pratiques culturelles au nom de la culpabilité postcoloniale, comme l’a pointé Nicolas Truong dans Le monde.

Le cas Joffrin.

Reste le cas  Joffrin, qui trouve aussi que « le bouquin de Lindenberg, si prémonitoire » a été accueilli « à l’origine dans une condescendance gênée », mais  qui, en vrai hollandais, donne un coup de patte par ci, un coup de patte par là. Exemples, un coup par ci : « le succès d’un Finkielkraut ou celui d’un Zemmour, plébiscités par une opinion inquiète, a coïncidé avec l’ascension de la droite dure ou de l’extrême droite, qu’ils ont accompagnée, et parfois favorisée ». Puis un coup par là : « Mais enfin, quelle cécité, quelle maladresse, quelle rigidité dans la gauche intellectuelle ! ».

Alors, Joffrin, à gauche ou à droite ? Nous le saurons un article plus loin, dans son  compte rendu du livre de Gilles Finchelstein ‘’Piège d’identité ’’. Où il écrit, toujours hollandais, que sur : « l’économie de marché, la gauche doit évoluer » et que : « L’égalité sans fin réclamée par la gauche de musée a vécu ».

Après ça, que voulez vous qu’un peuple d’ouvriers, d’employés, de chômeurs y comprenne ? Faut-il avoir la foi pour continuer à lire la presse !

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