J’aime bien lire De Lagasnerie. Son besoin de se démarquer fait qu’on ne sait jamais s’il est à mettre au nombre des orthodoxes ou des hétérodoxes. Au nombre des progressistes ou des réactionnaires. A droite ou à gauche. C’est récréatif.
Il lui arrive de taper de sa main gauche sur la droite, je veux dire sur les libéraux orthodoxes. Encore que les orthodoxes aient pas mal colonisé à gauche en France depuis 1983. Mais il lui arrive de taper, de façon plutôt gauche, sur les hétérodoxes également. C’est ce qu’il vient de faire avec un billet sur son blog de Mediapart. Pourquoi pas ?
Il faut dire qu’on lui trouve une excuse, il y fait allégeance à Jean Tirole, notre nouveau prix Nobel d’économie, et n’hésite pas, pour ce faire, à se montrer assassin. Quelques sommités sont immolées, Boltanski, Gauchet, Supiot. On n’arrive pas au village sans quelques sangliers sur l’épaule. Cela fait gaulois.
Sauf qu’à s’en prendre à ceux qui ont signé une pétition sur « le pluralisme en économie », au prétexte qu’elle est une réaction au lobbying de Jean Tirole, tout auréolé, auprès de « la ministre », (comme il dit), pour s’opposer à la création d’une nouvelle section d’économie au Conseil National des Universités, c’est choisir son camp. Et rajouter d’entrée de jeu que cette polémique pose la question de la politique, et qu’il faudrait pour le faire, à tout le moins, échapper « à certains impensés de la démarche des « hétérodoxes », c’est laisser croire que la politique n’a rien à faire avec l’économie, et surtout les économistes. J’avais plutôt comme l’impression, au contraire, que l’économie avait colonisé la politique depuis la fin des années 70.
Car ce qui caractérise l’hétérodoxie, n’est ce pas justement de s’opposer à une pensée dominante, et dès lors de revendiquer la nécessité du pluralisme, c’est à dire la possibilité de débattre, de pouvoir penser autrement, d’établir d’autres théories, de parler avec d’autres mots, quitte à se confronter. Quant aux impensés ? De Lagasnerie aurait du nous dire ce qu’il entendait par là. Car le propre de l’impensé qu’on prête aux autres, c’est de ne pourvoir être vraiment circonscrit.
Comme point d’appui critique, il dénonce la diversité des signatures qu’on trouve au bas de la pétition. Il doit bien être le seul à s’en s’étonner. Car trouver des personnalités d’horizons différents cosignant une pétition qui réclame plus de pluralisme en économie, est-ce si étonnant ? Ne peut on être classé comme libéral sans adopter les yeux fermés toutes les perversions du conservatisme ? Ce qui honore Lordon et Gauchet, auxquels il s’en prend, c’est justement de pouvoir se parler, pour défendre la diversité des analyses.
Quelle est cette théorie de la pureté chimique sur laquelle on devrait s’appuyer, qui voudrait empêcher des corps différents de constituer un mélange provisoire ou transitoire.
Quelle est cette pureté ‘’lagasnérienne’’ qui n’hésite pas à devoir avancer comme argument, dans un débat sur les économistes, la supposée homophobie de certains. Je n’ai rien vérifié, mais est-ce bien l’endroit dans un débat sérieux. Ou qui se veut sérieux.
Il n’hésite même pas à nous sortir des truismes du genre : « Il y a nombre de conservateurs et de réactionnaires parmi les dits "hétérodoxes" et, à l'inverse, on trouve parfois des analyses beaucoup plus intéressantes, plus critiques chez les néoclassiques ». C’est nous dire que le centre est partout et la circonférence nulle part. C’est nous dire que l’intelligence est côtoyée partout par la connerie. Belle trouvaille ! Il suffit de lire les blogs suivis de leurs commentaires sur Mediapart pour s’en rendre compte, parfois.
En fait, ce que ne supporte pas De Lagasnerie, c’est l’esprit d’ouverture, la recherche du dialogue, la possibilité de partager. Ce qu’il ne comprend pas, c’est l’altérité. Un comble pour un philosophe contemporain ! Rien d’étonnant. Car c’est bien lui qui a « cosigné », oserai je dire, cet appel contre la participation de Gauchet invité à faire la conférence inaugurale des rendez vous de l’histoire de Blois ?
Lagasnerie cherche-t-il aujourd’hui à retrouver la rampe des médias que lui avait valu sa pétition ? Ne vit-il donc que de l’opprobre ou de l’exclusion ? Je croyais le genre disparu depuis 1989. Mais il semble qu’on puisse le rattacher à ces surgeons qu’on trouve sur les branches mortes quelques fois dans les sous bois. Nous ferons avec. Comme je crois qu’Alain Supiot, professeur au Collège de France, qu’il attaque aussi, fasse avec.
Mais là où Lagasnerie est le plus surprenant, c’est dans son homélie sur Tirole. Genou à terre devant le Nobélisé. Reprochant aux hétérodoxes une « démarche qui introduit à une critique politique des sciences qui fait voler en éclat l’idée d’une « communauté scientifique » qui « discuterait » entre « pairs » de la qualité « scientifique » des travaux ». Quelle horreur ! Introduire de la politique là où les anges n’ont pas de sexe ? C’est insupportable ! Mais sa pétition de juillet 2014, ce n’était pas de la politique peut être?
Oserai-je conseiller à De Lagasnerie de suivre les conseils de Quentin Skinner, qui soutient qu’il convient de chercher moins les causes de l’erreur que la raison des croyances ? Car le débat dans lequel il s’immisce maladroitement est bien celui des croyances orthodoxes, remises en cause par ces hétérodoxes réclamant le pluralisme.
Oserai-je lui conseiller quelques lectures avant d’écrire son prochain article ?
« La quête de certitude » de John Dewey, le « Traité sur la tolérance » de Michael Walzer, « Dialogue de sourd », traité de rhétorique antilogique, de Marc Angenot, et enfin, puisqu’il est économiste, « L’imposture économique » de Steve Keen.
Ce dernier montre à quel point l’orthodoxie a été néfaste en économie, car, « pour la plupart des modèles néoclassiques qui dominent très largement la profession, une crise comme celle de 2008 est tout simplement impossible ». Du fait des insuffisances de la théorie, ou pire encore, du fait de ce qu’elle omet de prendre en compte.
« Un déni de réalité » nous dit Gaël Giraud, dans sa préface à l’ouvrage.
L'article de De Lagasnerie: http://blogs.mediapart.fr/blog/geoffroy-de-lagasnerie/240215/radicaliser-la-critique-des-heterodoxes-la-polemique-sur-le-pluralisme-en-economie-et-se