Antoine Perraud prend sur Mediapart la défense du film « Salafistes », de François Margolin, qui vient d’être interdit aux moins de 18 ans. Une interdiction qui marquerait dit Ferraud rien de moins qu’un « krach démocratique marqué par la confusion des valeurs ». N’est- ce pas lui qui nage en pleine confusion ? Car classer « Salafistes », comme il le fait pour mieux le défendre, dans la catégorie de « Nuit et Brouillard » et « Octobre à Paris », n’est-ce pas justement tomber dans ce qui s’appelle une perte de repères.
Jean Ferrat avait écrit une chanson reprenant le titre du documentaire d’Alain Resnais traitant des camps d’extermination nazis. On ne l’imagine pas en écrire une à partir de « Salafistes », où on entend, rapporte Le Monde, ces propos : « «Si la liberté d’expression est si ouverte en Occident, alors les trois jeunes martyrs [les frères Kouachi et Coulibaly, ndlr] n’ont fait qu’exprimer leur propre liberté d’expression ». En d’autres temps on aurait appelé ces mots « incitation au crime ». Mais au nom de l’information, on trouve ces paroles diffusables au milieu des prêches et des images de violences salafistes.
Quand à « Octobre à Paris », il s’agissait de témoignages sur la répression sanglante par la police de Maurice Papon, de la manifestation pacifique des algériens du 17 octobre 1961, réunissant hommes, femmes et enfants, contre le couvre-feu auquel ils étaient soumis. La police, chauffée à blanc par les attentats commis par le FLN contre ses membres, ouvre le feu. S’en suit plusieurs centaines de blessés, un nombre de mort indéterminé mais important. Pour échapper aux policiers des algériens se jettent dans la Seine.
Le documentaire de jacques Panijel a donc pour but de témoigner contre les crimes de policiers français, pas d’en faire le panégyrique, ce qui ne semble pas être le cas, à son corps défendant peur être, du documentaire « Salafistes ».
Par ailleurs, faire référence en passant au soutien apporté par Claude Lanzmann à « Salafistes », dans un article du Monde, sans rien dire de sa coopération en cours avec Margolin pour un film sur la Corée du Nord, n’est pas éclairer la question, car Lanzmann est en plein dans ce qu’on appelle copinage, entre soi, conflit d’intérêts. Lanzmann porte donc un jugement non objectif.
Tout comme le jugement d’Antoine Perraud peut être accusé de confusion, appuyé qu’il est, non pas sur des grands principes, mais sur ce qu’il croit que les grands principes sont.
Ecrire : « les pouvoirs publics ne minent-ils pas la démocratie sous prétexte de la défendre et ne naturalisent-ils pas l'esprit du terrorisme sous couvert de le combattre ? », n’est ce pas utiliser ce que Schopenhauer a appelé la dialectique éristique, qui est l’art de mener un débat de manière à avoir toujours raison.
Tout au long de son argumentation Ferraud inverse l’ordre de la vérité.
« Décider de soustraire "Salafistes" aux yeux d'une grande partie du public, au prétexte d’une influence délétère dont il faudrait protéger le peuple, est intolérable en démocratie », nous dit-il. Pour mieux interdire sans doute l’idée qu’on pourrait au nom de la défense de la démocratie trouver tolérable d’interdire toute dérive amplifiant en France l’apologie de l’extrémisme fondamentaliste, toute dérive de « l’islam « intégral », qui est désormais bien visible et fait polémique à la RATP, comme le rapporte Gilles Kepel dans « Terreur dans l’Hexagone », tout relai naïf par voie de diffusion de masse, sous couvert d’information, de la propagande de l’Etat islamique.
Un article écrit à plusieurs voix dans Libération du 26 janvier est autrement plus équilibré. « Filmer des détraqués raisonneurs reste une des lignes de construction du film nous » disent-ils. Poursuivant : « Pendant un peu plus d’heure, les deux auteurs nous baignent dans un discours incessant entrecoupé d’images d’atrocités ».
Un genre de discours et d’images qu’Antoine Ferraud n’imagine pas devoir faire entrer dans la catégorie « confusion des valeurs », et qu’il trouve, au nom de la démocratie, normal de diffuser librement aux mineurs.
On pourrait chipoter encore longtemps notre « démocrate ». Il est tendance aujourd’hui de se livrer à cette guerre où on délaie pour tout mélanger. Est-ce bien utile ?
Finissons en donc. Et lisons une fois de plus Gilles Kepel qui parle de la myopie politique « qui constitue, hélas ! l’horizon mental de la majorité d’une classe dirigeante », et qui pointe que « l’implantation du salafisme (en France) modèle de rupture en valeurs avec la république et la laïcité, n’est pas un phénomène isolé ».
Et s’il faut pour conclure avec Perraud, qui s’amuse avec les mots par cette touche finale : « Le désert croît, le divers décroît », nous répondrons avec Prévert dans « Paroles » : « il y a « ceux qui croient croire, et ceux qui croa-croa ».
Lire l'article d'Antoine Perraud:
https://blogs.mediapart.fr/edition/du-17-octobre-1961-au-5-juillet-1962/article/160911/octobre-paris-le-film-interdit-projete-en-avant-premiere-au-fes