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Billet de blog 18 mars 2023

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Fin de vie et économie : aucune relation ?

Envisager la fin de la vie sous un angle émotionnel né d'expériences douloureuses ne débouchera pas sur des solutions humainement durables. J'ai voulu faire part ici de mon expérience d'ancien soignant en réanimation, en anesthésie puis en soins de longue durée et de mon analyse de la situation économique et sociale pour apporter ma modeste contribution au débat.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis ancien anesthésiste-réanimateur puis gériatre, toujours hospitalier. J'ai 72 ans. Je me revendique athée et de gauche. Vivant au pays de Jaurès, je me réclame en grande partie de sa pensée.

Fin de vie ou fin de la vie ? Deux expressions différentes qui renvoient à la philosophie, spécialité de Jean Jaurès. En pratique, en 2023, on peut mourir dans des conditions correctes en France, en particulier du fait du développement d’une nouvelle branche de la médecine, les soins palliatifs. Mais aussi on meurt mal, constat implacable, les soins palliatifs étant insuffisamment développés car concernant seulement 40% des personnes en relevant. Fin de vie ou fin de la vie ? Une définition bien floue si l’on écoute les français à travers le sondage BVA pour April de 2022, la période la plus souvent évoquée [1] concerne les dernières années de vie, ce qui est conforme aux principales préoccupations de nos contemporains sur la fin de leur vie.

Que nous disait Jean Jaurès il y a 120 ans à Albi [2] ? Je le cite : « Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ;»

Plus tard, Jaurès se prononça contre la peine de mort en 1908, et, en relation avec la fin de la vie à son époque, en faveur de l’institution de la retraite en 1911.

Auparavant, il n’avait que 35 ans, pourtant déjà réélu à la Chambre comme député de Carmaux. Il parle devant des étudiants engagés au Quartier Latin à Paris. Je le cite :

« Il y a dans l’homme une telle pénétration de l’homme même et du milieu économique qu’il est impossible de dissocier la vie économique et la vie morale pour les subordonner l’une à l’autre, il faudrait d’abord les abstraire l’une de l’autre ; or, cette abstraction est impossible : pas plus qu’on ne peut couper l’homme en deux et dissocier en lui la vie organique et la vie consciente, on ne peut couper l’humanité historique en deux et dissocier en elle la vie idéale et la vie économique. »[3]

De mémoire historique, la fin de la vie fut abordée sous l’angle des croyances et de l’attitude devant la mort : surtout les religions pour le peuple, la philosophie pour des élites. Depuis que l’on meurt généralement âgé, l’interrogation s’est centrée sur la place des personnes âgées, de l’assistance aux malades et du rôle de la médecine, de la signification de devenir dépendant, de l’utilité des plus vulnérables, sans oublier, tableur Excel oblige, leur coût économique. Aux Etats-Unis, le coût des soins de la dernière année de vie des personnes âgées est estimé entre 40 000 et 50 000 $ contre 7000 $ en année « normale »[4]. Avec une franchise qui l'honore, le ministre des Finances japonais Taro Aso, soucieux du fardeau des personnes âgées dans son pays leur recommanda en 2013 de se dépêcher de mourir. Nul ne sait s'il existe un rapport entre cette déclaration sincère, "La Ballade de Narayama" et, plus récemment, "Plan 75" que le Japon qui nous a offerts.

Quand mourons-nous ? Le décès survient de plus en plus tard dans la vie. L’espérance de vie à la naissance atteint 79,7 ans pour les hommes et 85,6 ans pour les femmes en 2019 en France métropolitaine. Deux-tiers des français meurent après 80 ans. Plus de la moitié des femmes décèdent après 85 ans avec des inégalités bien connues de genre et de statut socio-économique. Fait nouveau : désormais, nos contemporains vont travailler jusqu’à l’espérance de vie sans incapacité (EVSI) [5] soit en moyenne aux âges de 64 et 65 ans.

Le nombre de décès devrait dépasser 750 000 d’ici 2050.

Où finissons-nous notre vie en France ? En trois générations, nous avons vécu un déplacement massif vers des établissements. Il s’agit du vrai, et non mythique, grand remplacement de la famille en trois générations par des services à domiciles précédant le recours à des institutions dédiées aux soins et à la dépendance : hôpitaux, cliniques, EHPAD.  Des EHPAD où meurt un français sur quatre tous âges confondus d’après la DREES en 2015, environ 60% décédant dans les établissements de soins que sont cliniques et hôpitaux.

« La durée de séjour moyenne est de trois ans et quatre mois mais la moitié des séjours en EHPAD durent moins d’un an et demi ».

Problème : cette migration ultime n’est pas souhaitée par 85% de nos concitoyens ni dans le lieu, ni dans la manière car ils voudraient finir leur vie chez eux, même si des adaptations à leur nouvelle vie sont possibles grâce surtout au dévouement des personnels des EHPAD.

Pourquoi finit-on sa vie hors de son domicile en France ? Ce sont les limites de cette possibilité qui fixent le recours aux établissements. L’aide professionnelle à domicile occupe pourtant environ 1,2 millions de personnes. Un travail qui requiert des compétences spécifiques du fait de la dimension humaine individualisée, des exigences de soins et de la technicisation des tâches.

Cette présence professionnelle ne dédouane pas les « proches aidants ». En 2022, un Français sur cinq est aidant d’un proche ; à 60 %, ce sont des femmes. La difficulté est accrue car les familles sont moins nombreuses, dispersées sous la pression du marché du travail devenu désormais non agricole donc bien moins localisé. Le travail salarié s’est massifié : plus personne ne réside à la maison s’il n’est pas à la retraite, les hommes ne sont pas revenus remplacer les femmes à la maison pour garder les enfants et veiller sur les vieux. En tout cas, ils ne l’ont pas pu si deux salaires ne suffisent même pas pour vivre décemment. Plus nombreux sont les français vivant seuls par une multiplication par deux et demi en cinquante ans. En France, 35% des adultes vivent seuls. Un niveau sans précédent.

A noter aussi une augmentation sensible du nombre des familles monoparentales : une famille sur quatre selon l’INSEE. Depuis le début des années 1990, le nombre des familles monoparentales a bondi de 30%. Une multiplication par trois en cinquante ans. Elles sont deux fois plus souvent en précarité, pour 41 % de leurs enfants contre 21% pour les autres. Une précarité qui s’est déplacée en grande partie vers la jeunesse qui va devoir travailler plus longtemps pour payer les retraites, accompagner les anciens dans leur propre famille, aider à payer parfois de surcroit les soins à domicile et l’EHPAD. Attention au conflit intergénérationnel, à la hâte que cette situation se termine ; je peux en témoigner comme professionnel.

Les proches aidantes et aidants sont de plus en plus seul·e·s dans leur rôle en France : de 36% en 2015 à 48% en 2022, de plus en plus actives ou actifs et salarié·e·s, de 53% en 2015 à 70% en 2022 « en activité », et seulement 23% d’entre eux sont retraité·e·s. (BVA pour April août 2022).

Les aménagements du temps de travail doivent être discutés avec l’employeur, qui peut les refuser s’il estime qu’ils ne sont pas compatibles avec le poste du salarié. Les aidants évoquent un manque de prise en compte par leurs employeurs pour 74 % des aidants.

L’actualité du recul de deux ans de l’âge de la retraite enfonce le clou : les aidants de 50-64 ans, qui sont 59% des aidants pour les personnes âgées, devront travailler plus longtemps. Du temps volé d’aide familiale. Si l’âge de la retraite est repoussé avec un système de retraite par répartition, comment les relations entre « actifs » et retraités évolueront-elles ? D’après vous, en bien ou en mal ?

La situation de notre système de santé est un aspect incontournable. Un système tendu prioritairement vers les économies et non d’abord vers l’humain depuis des décennies.

La démographie médicale s’est dégradée au point de voir dans les médecins des « ovnipraticiens » selon le joli mot de Sol [6], voire des mirages dans les déserts médicaux. Les services d’hospitalisation à domicile (HAD) sont mis à contribution mais leur couverture est insuffisante.

En février 2023, un constat est établi selon lequel l’accès à une hospitalisation complète des patients des services d'urgence s’aggrave d’année en année, passant de difficultés sporadiques à, maintenant, une attente sur un brancard dans les couloirs des urgences pour plus de 50% des malades devant être hospitalisés. Le temps d’attente inconfortable dépasse souvent 24-48 heures voire plus. Ceci aboutit à une mortalité indue, indépendamment de la pathologie pour laquelle le patient a été admis dans le service d’urgence.

Pendant ce temps, nous assistons à l’effondrement du nombre de lits « d’aval » des Urgences dont des soins de longue durée hospitaliers passant de 83 ou 84 000 au début des années 2000 à 31 302 en 2018.

Actuellement, début 2023, 35 % d’unités gériatriques connaissent des fermetures de lits. La tarification à l’activité (T2A) et la sacralisation de l’ambulatoire s’accompagnent de fermetures de lits par dizaines de milliers. C’est le grand encombrement.

En somme, un système plus global, tendu vers les économies au détriment de l’humain, déborde sur les secteurs non marchands avec injonction de rentabilité maximale face à une clientèle captive.

Comment meurt-on en France ? De nos jours, ce sont principalement des maladies chroniques de longue durée qui occupent la fin de notre vie. Chronologiquement, ce sont les cancers et les pathologies liées au vieillissement : cancers, maladies de l’appareil circulatoire,  maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, etc. La combinaison de plusieurs pathologies est fréquente avec l’avance en âge. Par conséquent, les parcours de fin de vie des patients se transforment, nécessitant un accompagnement global et un recours souhaitable plus précoce à des soins palliatifs adaptés. Nous finissons notre vie comme dans d’autres pays dits développés. Quatre profils différents habituels ont été judicieusement publiés par des auteurs américains [7]: morts subites, cancers, insuffisances d’organes, fragilités des personnes hébergées ou ayant été hébergées en maisons pour personnes âgées (nursing homes). Cette dernière situation rend tout pronostic vital fréquemment difficile à établir, d'où le risque de mal évaluer le moment prévu de la fin de la vie. Quel médecin "évaluateur" ne se tromperait jamais ? Ainsi, en Oregon en 2022, 16 personnes censées mourir par suicide médical assisté dans les six mois ont survécu à ce délai.

Nous mourons le plus souvent dans l’ambivalence comme Jean de La Fontaine nous l’a si bien confirmé dans trois fables [8]. L’accompagnement professionnel est comme de la dentelle [9], chaque cas unique est à envisager comme un cas unique, c’est un magasin de porcelaine entre espoir et stades du mourir [10].

Le débat vers une nouvelle loi tourne autour de la liberté, de l’autonomie, de la dignité, de termes discutables tels que « aide médicale à mourir ». Que décidera Emmanuel Macron ? Nul ne le sait dans notre démocratie obéissante au maitre, mais une chose me semble sûre : il ira dans le sens d’une adaptation de la loi à la grande évolution néolibérale de notre temps historique.

A présent, avec la montée de l’individualisme et des difficultés pour l’accès aux soins, c’est le sauve-qui-peut devant une situation préoccupante. Ce ne serait pas « producteurs sauvons nous nous-mêmes » mais sauve-toi toi-même avec l’ambiguïté du verbe « se sauver ». 

Deux extrémismes se font face : d’une part celui de ceux qui considèrent que la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès est un faux nez de l’euthanasie et la condamnent. De l’autre, celui de ceux qui prônent la mort provoquée sur demande pour s’adapter à une société qui peut les priver de l’accompagnement souhaité. C’est la réponse au cri de détresse de celles et ceux qui ont peur de souffrir et de faire souffrir leurs proches eux aussi mal accompagnés sur un fond de société productiviste et consumériste qui a oublié l’humain [11].

Quelle place de l’utilité et de la rentabilité pour les inutiles et les coûteux ? Le capitalisme, comme les autres formes de productivismes, n’aime pas les loosers. Il déteste les perdants, les petits, les sans-dents.

En tout cas, Emmanuel Macron est prié de respecter une de ses promesses de campagne quand, le 31 mars 2022, il avait déclaré : « Je suis favorable à ce qu'on évolue vers le modèle belge ».

Quelques citations pour expliciter ce propos et enrichir le débat.

Emmanuel Macron a glissé à Line Renaud, assez fort pour que la presse l’entende : « Votre combat pour le droit de mourir dans la dignité vous ressemble et nous oblige. Dicté par la bonté, l’exigence et cette intuition unique que c’est le moment de faire, alors nous ferons ».

Berlin, déclaration de  l'Association Médicale Mondiale en 2022 : « Les personnes âgées sont confrontées à toutes sortes de discriminations, l’une des plus importantes est celle qu’elles subissent dans les soins de santé. Les personnes âgées sont souvent perçues comme un poids pour les systèmes de santé et leur équilibre financier »[12]

En 2007, Charb (Stéphane Charbonnier) écrivait que la « loi qui laissera entendre que le citoyen a le droit de disposer de sa vie comme de son corps représentera une avancée. » Après avoir exposé la thèse favorable, il mettait en garde. Je le cite :

« Certains médecins ont justement fait remarquer que le débat sur l'euthanasie ne devait pas faire oublier que les moyens médicaux mis en œuvre pour lutter contre la douleur ne sont pas suffisants. Par ailleurs, une partie du personnel médical serait encore trop peu ou mal informée des traitements existants pour réduire la douleur. Bref, ces médecins ne veulent pas que l'euthanasie devienne pour tout le monde une solution de facilité. Avant de mettre fin à la vie, envisageons toutes les solutions possibles de mettre fin aux souffrances. Evidemment. Donc, on aura bientôt le droit de mourir dans la dignité. Je pense réellement que, parmi les droits fondamentaux de l'Homme, celui-ci sera le plus largement respecté. Et pas simplement parce que la société dans laquelle nous vivons a un plus grand souci d'humanité. En effet, mourir dans la dignité est un programme plus facile à mettre en œuvre que celui qui consiste à faire en sorte que les gens vivent dans la dignité. Et surtout, c'est un programme moins cher. Mettre fin aux jours de quelqu'un ne coûte rien ou pas grand-chose. Même la Sécu y trouvera son compte. Un peu de bla-bla, une piqûre et dans le trou. Organiser une fin digne pour qui aura dû survivre dans des conditions indignes, ce n’est pas ça qui remettra en cause un système économique qui pourrit l'existence de millions de gens. Mourir dans la dignité devrait être la dernière étape d'une vie menée dans la dignité et pas seulement un moment exceptionnel. Cette volonté des médias et des politiques de séparer dans le discours la vie et la mort est suspecte. Il n'y a pas de vie digne sans mort digne, et inversement. Ça paraît évident, mais le droit de vivre dans la dignité n’est pas un débat qui suscite autant l'émotion que celui du droit de mourir dans la dignité. Et pourtant, il y a des vies qui sont plus effrayantes que la mort... »

Bernard Maris disait de son côté : « Le capitalisme s’adresse à des enfants dont l’insatiabilité, le désir de consommer sans trêve vont de pair avec la négation de la mort. C’est pourquoi il est morbide. Le désir fou d’argent, qui n’est qu’un désir d’allonger le temps, est enfantin et nuisible. Il nous fait oublier le vrai désir, le seul désir adorable, le désir d’Amour. »

Riss écrit en 2023 : « privilégier les solutions collectives ou les solutions individuelles indique si vous êtes plutôt de droite ou plutôt de gauche »[13].

Victor Castanet s'adresse à nous en 2022 : « On donne la mort à quelqu’un sans que cela soit le moment opportun. Et sans que la personne souffre physiquement.[14] »

Le Docteur Claire Fourcade, à propos de l’euthanasie, faisant allusion au soignant qui sera le bras armé de la réforme : "une piqûre, deux morts"[15].

Encore Claire Fourcade : « Dans une société ultra-libérale et individualiste, c'est un choix qui a sa logique. C'est une société de gens forts, capables de regarder la mort en face sans ciller. Ils sont rares, très rares. »

Les directives anticipées, même si elles ont leur intérêt, sont incapables d'anticiper les situations réelles dans leur diversité et leur évolutivité. A la fin de la vie, c'est presque toujours l'ambivalence et le silence qui règnent.

L’autorisation de mort fera peser un poids supplémentaire sur les personnes les plus vulnérables. Aucun pays n’a légalisé une forme de mort administrée sans insérer dans le processus la participation d’un soignant, que ce soit pour réaliser l’acte lui-même (euthanasie), pour réaliser la prescription d’un produit létal (suicide assisté modèle Oregon) ou pour réaliser une évaluation et une validation de la demande (suicide assisté modèle Suisse). C’est donner un pouvoir inédit de vie et de mort au décideur.

Jacques Ricot, citant un député communiste, athée, Michel Vaxès, décédé en 2016, rejetant une proposition de loi socialiste visant à légaliser l’euthanasie en 2009 : « La civilisation ne commence et n’avance que par les interdits qu’elle proclame et les limites qu’elle fixe. Celles-ci sont pour moi intransgressibles. Nous savons tous ici qu’une dérogation admise risque toujours d’autoriser la suivante. C’est ce qu’exprime la sagesse populaire lorsqu’elle affirme que “lorsque les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites ».

Jacques Ricot lui-même dans La Décroissance, n°194 en novembre 2022 : "Je l’ai déjà dit, en voulant inscrire dans le marbre de la loi une autodépréciation de millions de malades, handicapés, vieillards, ce projet leur envoie un signal terrible, en rupture avec toute notre tradition humaniste. Une fois inscrite dans la loi, avec les meilleures intentions du monde, la transgression suprême, il n’y a plus aucune raison de s’arrêter."

Les avertissements nous arrivent aussi des lieux où ces lois ont été promulguées. Par exemple Verhofstadt en 2017 :  "L'euthanasie ne devrait jamais être considérée (ou utilisée) comme un moyen de résoudre les défaillances de la société." [16]

Quelle liberté individuelle, quelle autonomie pour en finir avec soi-même dans une société qui n’assumerait pas la dignité des personnes vulnérables ?

Comment ne pas apercevoir la continuité entre la situation économique du système de santé d’une part et une loi présentée comme une évolution positive d’autre part ?

Face à de nouveaux et nombreux défis devant nous : climat, chaleur, sécheresses, énergies, inégalités, guerres, qui promettent des dépenses nouvelles que nous devrons assumer, pressentons-nous un coût insupportable, consciemment ou non ?

Il ne manquait plus qu’un joli projet de loi, s’appuyant sur des pays à politique néolibérale encore plus prononcée que la nôtre, pour offrir la possibilité de s’en aller en principe au moment choisi par l’individu dans sa liberté d’intérioriser ce que l’on attend de lui aux yeux de notre modèle économique : il est devenu coûteux, inutile et dérangeant, constituant un poids, faisant souffrir sa famille et la société par son long-mourir insupportable. Il a le choix, le droit de s'absenter.

Il fallait réduire la retraite à son début. Désormais, vous pourrez brûler la chandelle de la retraite onéreuse par les deux bouts.

Comment imaginer que les personnes dites actives n’aient pas le sentiment de supporter des personnes en retraite ? Que les retraités n’aient pas le sentiment d’une solidarité contrainte de personnes qui vont travailler jusqu’à l’EVSI pour les faire vivre plus avant ? Qu’ils représentent une charge et une souffrance pour leur famille et un fardeau pour la société en vivant trop longtemps. Nous avons connu une loi en décembre 2015 sur l’adaptation de la société au vieillissement. Il nous faut assurément une loi de l’adaptation du vieillissement et de la fin de vie aux exigences de la société néolibérale. Vite !

Pour ma part, je suis bien d’accord avec le droit de mourir dans la dignité. Un droit qui devrait être acquis grâce à un accompagnement de qualité qui éteint l’appel à la mort pour une pseudo-libération par la mort. Voici une évolution et une adaptation rétrograde à la société productiviste, actuellement sous sa forme néolibérale, qui n’aime pas les faibles, les vulnérables, les traine-savates.  Qui de plus, ils coûtent cher et sont censés plomber le développement des forces productives vers la croissance par l’aide collective, mais aussi professionnelle et familiale qu’ils exigent. On a connu le bouillon de 11 heures, l'escalier, l'âtre et le puits bien avant les soins palliatifs.
Que les comportements actuels souhaitent la maîtrise absolue sur sa vie et ne laisser aucune place à la surprise, tout contrôler, n’est pas surprenant : c’est l’idéologie dominante.
Que le rapport au temps se soit modifié ne l’est pas moins : en 2023, qui trouve encore un temps pour la relation ? Même pas les amis, encore moins sa propre famille pour beaucoup de nos contemporains. Il faut tout programmer, que cela aille vite avant de repartir vers la normalité qui nous protège de la proximité de la mort.
Où en est la pure présence, qui peut être sans mots ? [17]

En conclusion, je voudrais, comme ancien soignant, avec bien d’autres soignants en activité, vous mettre en garde : attention au traitement des vrais problèmes, sous le coup de l’émotion personnelle face à ce que vous considérez comme inadmissible, par des mauvaises solutions expéditives, radicales, irréversibles. Elles vont heurter, diviser les équipes soignantes et laisser des traces indélébiles dans les familles.

[1] BVA pour April : https://www.april.fr/actualites/assurance-prevoyance/barometre-aidants-april-2022

[2] Discours à la jeunesse. Albi, 1903.

[3] Jaurès Jean. Discours et conférences (French Edition) . Flammarion. Édition du Kindle.

[4] Davis MA, Nallamothu BK, Banerjee M, Bynum JP. Identification Of Four Unique Spending Patterns Among Older Adults In The Last Year Of Life Challenges Standard Assumptions. Health Aff (Millwood). 2016 Jul 1;35(7):1316-23.

[5] EVSI : https://pole-vieillesses-et-vieillissements.site.ined.fr/fr/sante_autonomie/definition/

[6] Sol, de son vrai nom Marc Favreau.

[7] Lunney JR, Lynn J, Foley DJ, Lipson S, Guralnik JM. Patterns of functional decline at the end of life. JAMA. 2003 May 14;289(18):2387-92

[8] La mort et le bûcheron, la mort et le malheureux, la mort et le mourant.

[9] Métaphore utilisée par le Dr Claire Fourcade, présidente de la SFAP à l’heure où ces lignes sont écrites.

[10] Voir Elisabeth Kübler-Ross : On death and on dying. https://www.amazon.fr/Death-Dying-Doctors-Nurses-Families/dp/1476775540/ref=sr_1_1?adgrpid=1354599262000694&hvadid=84662875643339&hvbmt=bp&hvdev=c&hvlocphy=125580&hvnetw=s&hvqmt=p&hvtargid=kwd-84662979025714%3Aloc-66&hydadcr=27713_2264608&keywords=on+death+and+dying&qid=1679136713&sr=8-1

[11]  Il suffit de voir l’obsession de faire travailler nos compatriotes jusqu’à l’EVSI. Peu importe, par exemple que cet âge soit aussi celui de l’accompagnement, donc de la disponibilité pour les parents encore plus âgés.

[12] Déclaration de l’AMM sur la discrimination contre les personnes âgées dans les soins de santé. Adoptée par la 73ème Assemblée générale de l’AMM, Berlin, Allemagne, octobre 2022.

[13] Le 15 mars 2023 dans l'hebdomadaire Charlie Hebdo.

[14] Extrait concernant un membre de la famille d’un ancien ministre issu de Castanet, Victor. Les fossoyeurs : Révélations sur le système qui maltraite nos aînés (Documents) (French Edition) (p. 57). Fayard. Édition du Kindle.

[15] https://free-geriatrics.overblog.com/2018/01/euthanasie-une-piqure-deux-morts.html

[16] Verhofstadt M, Thienpont L, Peters GY. When unbearable suffering incites psychiatric patients to request euthanasia: qualitative study. Br J Psychiatry. 2017Oct;211(4):238-245.

[17] Christiane Réal. Correspondance privée.

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