
Qui saurait dire ce qu'il en est de l'état réel des choses. Ces dernières années des éruptions ci et là nous ont informé des convulsions terribles que traversent les sociétés du monde, agitant même, si brièvement, jusqu'aux empires capitonnés qui bordent les océans. Et pourtant, en même temps, que dire de ces mêmes sociétés qui, toutes modernes qu'elles sont, traversent tant bien que mal et avec rapidité des catastrophes qui, un siècle avant, auraient ravagé leur population de la même façon que le fit la grande Peste. Certes, le COVID laissera des cicatrices sur le visage des nations, mais malgré tout elles enjambent, subventionnent, vaccinent, ralentissent à peine la marche du doux commerce.
Ainsi est le pays. La France a laborieusement réélu un homme qu'elle voulait voir tomber quelques années auparavant, car il lui a fait la promesse de maintenir la paix des logis et de combler les fissures à coup de primes. Et à présent le voilà qui s'apprête à envoyer le pays dans le décor. La réalité comme l’esprit humain supportent fort bien les contradictions, mais faire sens à partir d’elles demandent une certaine candeur d’esprit. Le 49.3 activé sur la réforme des retraites est en train d’accoucher d’une crise politique nationale majeure ; l’impossibilité de dégager des perspectives étant ce qui définit sociologiquement une crise, n’en déplaise à la Présidente de l’Assemblée Nationale. Les pronostics sont ouverts, et les préfets convoqués par le ministre de l’Intérieur.
Le Président n’est pas entré innocemment dans cette séquence. Il est un homme de ressources. Emmanuel Macron, dont l'étranger aime tant moquer les cocasseries diverses, n’a pas à rougir de son curriculum vitae : il peut dument se targuer d'avoir repoussé une proto-insurrection en France, les Gilets Jaunes, au renfort d'une proto contre-insurrection. Tout le monde se gaussa, fort à propos, de ses velléités kantiennes sur l’Union Européenne ; mais tous poussèrent également un soupir de soulagement quand il prit le mandat des classes dirigeantes d'Europe et s'assura que décembre 2018 ne déborde pas outre mesure. Cela n’est pas donné à tout dirigeant français.
Pourquoi la réforme des retraites
Nous ne reviendrons pas sur les différentes analyses de la réforme des retraites et sur ses logiques économiques. Ce qui importe ici, c’est ce qui fait d’elle le point d’explosion de la situation actuelle et qui explique le jusqu’au-boutisme du Président, puisque c’est lui qui, en dernière instance, a décidé du recours au 49.3.
La « question de la réforme des retraites », on le dira benoîtement, est une affaire de capitalisme français et d’autorité. Les victoires sociales de haute lutte de la société française, notamment dans le sillage du « long mai 68 », sont venues tempérer et équilibrer le capitalisme français, qui s’illustre par une très haute productivité des travailleurs. Avant mai 68, le travailleur français moyen travaillait par exemple plus longtemps que son homologue américain. Romaric Godin soulignait il y a quelques années le risque de s’attaquer aux acquis que sont la retraite et la sécurité sociale, car ils constituent partie intégrale du « contrat social » national, équilibrant l’éreintant travail auquel est astreint la population française. Mais face au déclin relatif de la France et à la baisse séculière des investissements, Emmanuel Macron entre en scène, élu par une coalition bigarrée, elle-même portée par une paranoïa antifiscale grégaire. Il est à présent su que le président, adepte des hauteurs, souhaitait rehausser la profitabilité nationale et faire affluer les capitaux par des réformes qui agiraient comme des « signaux » pour le reste du monde : France is a start-up nation. On soupoudre cela de flexibilisation ici et là en espérant que, par magie, elle réhausse les gains de productivité, et le tour est joué. C’était le sens de la « flexisécurité » de 2017 : un nouveau pacte capital / travail.
Malheureusement pour nos décideurs, un monde livré au réchauffement climatique, aux incuries financières et aux épidémies exige une autre politique économique. La réforme des retraites s'attaque au verrou du contrat social français et vient de faire déraper la France, ce que tout le monde avait pu anticiper. Ses ambitions rénovatrices (par exemple, maintenir les coûts du travail en l'état en compensant le manque par le dispositif de la prime d'activité) se sont heurtées à sa propre rigueur budgétaire. Quant aux vertus économiques que le Président prête à cette réforme, l’humour semble de mise. On se demande bien en quoi une réforme des retraites offrirait un sursaut d’attractivité au capitalisme français, quand nos élites craignent une fuite de l’appareil productif aux Etats-Unis sur fond de crise énergétique ouverte et prolongée. De même, s’il s’agit d’un signal, indiquant la direction dans laquelle la France est amenée à s’engager économiquement, on peut douter qu’il convainc qui que ce soit s’il provoque des émeutes dans les grandes villes du pays.
Le président Macron annonçait révolutionner le pacte capital / travail de la France mais n’en propose aucun pour lui succéder, se montre en deçà des temps, tombe dans un conservatisme routinier sur le reste, et militarise les rues. Son œuvre se limite à de la coupe budgétaire ici et là qui manque à chaque fois de faire sortir la rivière de son lit. Le reste se réduit à une sorte de culte philistin et impersonnel de la Vème République ; on fait installer le portrait de De Gaulle au-dessus du PC Jupiter. Caché derrière le vocabulaire fantasque de 2017 était donc en fait un recalibrage du capitalisme français (ce qui demeure malgré tout une idée), et un montage étrange de conservatisme et progressisme justifiant le "en même temps". Mais les échecs accumulés, la gronde et les urgences du temps ont achevé de mettre du plomb dans l'aile de ce projet mal défini. Ce qui était le projet macroniste, un projet stricto sensu économique, a hier effectué son plongeon final avant de s'écrabouiller au sol. Ne reste alors que le projet macroniste compris comme entreprise visant au pouvoir d'Emmanuel Macron et de son état-major - donc, sans contenu. L’Union Nationale décrétée contre les "extrêmes" qui l'a maintenu tant bien que mal à l'Elysée est en train de se transformer en union nationale contre lui, RN un pied dedans.
L’immense tension que cristallise le projet de réforme des retraites, une fois son pendant économique évacué, se concentre dans l’élément qui donne à la situation son côté épidermique. Le Président, égal à lui-même, a déclaré : « Ce qui se joue, c’est mon autorité », l’ensemble de son entourage abondant sur le caractère démocratique et constitutionnel de cette autorité. Contrer cette réforme serait remettre en question l’autorité de Macron en tant que Président élu, et donc la démocratie en tant que telle. Cependant, les macronistes donnent ici d’eux-mêmes les clés de compréhension de l’épisode. La faculté pour Emmanuel Macron de faire passer cette réforme doit en effet prouver à tous son autorité, c’est-à-dire sa capacité de gouverner et la sincérité du mandat qui lui a été confié. En maugréant partout que c’est son autorité qui est en jeu, il révèle qu’il n’en a en réalité aucune, et que cet assaut législatif, injustifié économiquement et stratégiquement, est un va-tout qui doit lui permettre de la manifester, comme une incantation. Hannah Arendt a un jour fort bien noté que l’autorité, en réalité, se trouve dans la capacité à commander sans usage de moyens de coercition ; la violence ou la force comme tentatives de la réaffirmer ne faisant que révéler que l’on n’a, justement, plus d’autorité. Emmanuel Macron a tenté le défibrillateur sur son projet politique avec la dernière réforme qui pouvait identifier le macronisme, mais il vient d’achever le patient, et son aventure est plus personnelle que jamais.
Prospective
Aucune voie de sortie claire ne se dessine. Bien qu’Emmanuel Macron agite le spectre de la dissolution, une motion de censure pousserait certainement le Président à bunkeriser son dispositif plus encore, étant adepte de la punition. Mais une censure, qui réglerait certes le problème de la réforme, plongerait la macronie dans un état de sidération et occasionnerait la mort cérébrale du gouvernement. Le souci du mandat Macron, de la direction des affaires et de l’incurie de l’exécutif ne serait pas réglé. Dans l’éventualité d’une dissolution, les pronostics, toujours incertains, tablent sur un recul contenu du centre en miroir d’une faible progression des autres pôles. Aucun compromis parlementaire n'est à prévoir si cette situation advenait.
En d’autres termes, les agitations du domaine institutionnel rencontrent des barrières et des contre-feux qui les maintiennent confinées.
Le problème semble dès lors pouvoir connaître des développements au sein du mouvement syndical et social. Les syndicats français, si forts et pourtant si diminués dans leurs troupes, bénéficient d’un protagonisme étonnant, qui rappellent les histoires que nos aïeuls nous content la larme à l’œil. L’intersyndicale semble se mettre en mouvement, avec la prudence qui la sert ; mais outre de nouvelles journées de mobilisation, la panne tactique menace, surtout quand l’Etat se montre si forcené et sourd. Que faire de plus ? Les centrales doivent logiquement craindre des débordements incontrôlés ou des violences, eut égard à la crispation générale. Mais malheureusement, justement parce qu’il est dans leur rôle de tenir leur mouvement et d’éviter les fuites de vapeur, et puisque la situation institutionnelle se tend sans se résoudre, la seule voie « carrossable » qui se trace semble être celle de la rue. Le Président n’y a jamais rechigné. Et il est vrai que la Vème République, conçue pour un exécutif fort et pouvant se passer de prendre en compte sa population, produit régulièrement des irruptions émeutières. Elles terrifient un temps, avant le retour brutal de l’Etat, et force ce dernier à la modération. C'est là que se trouve le secret du changement dans la continuité qui caractérise la France post-1958, de la progressivité de la réforme derrière le bruit et la fureur. Un président fort et quelques bras arrachés ici et là aboutissent à l’immobilisme.
Difficile de dire si la gauche a bénéficié ou non de la séquence. Les enquêtes d’opinion nous apprennent qu’elle gagne autant en sympathie qu’en rejet au sein de la population ; elle prend en lumière mais elle polarise. Les coups du centre et l’immaturité du sérail mélenchoniste ont menacé l’intégrité de l’union, mais le mouvement et la crise qui s’ouvre vont vite recoller les troupes et faire taire les éléments du PS et d’EELV qui œuvraient à sa destruction. Le leadership se trouve toujours à la FI, et il est difficile d’imaginer que cela puisse changer dans les mois qui viennent : Marine Tondelier a illustré son sens des responsabilités et son acuité stratègique en tentant une différenciation des Verts vis-à-vis de la NUPES sur la séquence des retraites. Mélenchon dort tranquille.
Mélenchon, à la différence de Marine Le Pen, n’a jamais envisagé de ne plus viser le pouvoir dans la période post-électorale. Le problème, c’est que ses manœuvres sont maintenant grossières et braquent jusqu’à l’intérieur même du parti. Et c’est sans compter le côté loufoque de ses prétentions, étant donné les crispations diverses qu’il crée et son incapacité, même dans la situation de crise actuelle, à contrôler ses sautes d’humeur devant une caméra. Vouloir transformer la NUPES en char d’assaut par la création d’un seul groupe en juin 2022 peut s’entendre ; mais la façon de le mettre sur la table informait déjà le reste de l’échiquier sur ses intentions.
Cette proposition représentait une étape d’un plan plus long. Mélenchon est un observateur aguerri du jeu politique. Il a, à juste titre, prévu une crise – cependant qu’il a ce travers des marxistes de toujours prédire une crise, une crise finissant toujours par se produire, mais précisément pas là où elle était annoncée. Ses conférences d’août dernier l’annonçaient explicitement, leur ton apocalyptique, lui, indiquait qu’il comptait bien chevaucher la bête d’une dissolution, pousser à la panne sèche du jeu institutionnel. Sentant le vent tourner dans la nation et à l’intérieur de son parti, se figurant qu’il lui fallait sauver la France (car qui d’autre ?), il a verrouillé l’appareil FI et est parti en guerre. Ce faisant, il a aliéné masse de militants, interprétant l’épisode Quatennens comme une attaque personnelle, et fait de son propre succès la clé de la victoire du projet politique de la gauche.
Le résultat en est que ses apparitions se réduisent de plus en plus à celle du vieux sage criant sur son Aventin. Le tribun harangue depuis son char « le peuple tout entier réuni », en vérité de petites manifestations. Vexé des critiques contre sa tactique parlementaire, il a fait fuiter dans la presse la date et le lieu d’une réunion de la gauche et des syndicats, l’annulant de fait – un épisode suffisamment révélateur. La décorrélation entre le dire et la réalité, entre son analyse et son irresponsabilité, me semblent être des obstacles importants. Son inconscient le pousse vers un 5ème tour et un nouveau « Mélenchon 1er ministre », mais son incapacité à agir en fonction de ses objectifs, et la bouffonnerie évidente de ces derniers, conduisent à une impasse. Et pourtant, nous voici ici. Car qui d’autre à gauche peut se targuer d’organiser des manifestations ? Il n’y a en l’état rien à attendre des frondeurs FI, des gens formés politiquement à son école, c’est-à-dire sans formation intellectuelle autonome.
Le succès législatif du RN a modifié les plans de la patronne, la décidant à se représenter en 2027 et donc jouant le jeu dans cette optique. Nous ne reproduirons pas les analyses déjà faites de ses scores terrifiants. Tout du moins peut-on dire qu’elle enfonce son assise dans le pays, sans pour autant qu’on puisse affirmer qu’elle progresse. « La conquête silencieuse » témoigne d’une stratégie de long terme d’intégration au paysage des membres du RN et la poursuite de la respectabilité. Néanmoins, à trop se fondre dans le paysage, on en devient transparent ; notamment quand une situation de crise se cristallise autour de la personne du Président, personnage autour duquel, pourtant, Marine Le Pen se met sans cesse en scène.
Dans cette situation, censure, dissolution, rue mugissante, l'attrape-tout nationaliste de Marine Le Pen présente un avantage : c'est un attrape-tout nationaliste. Mais il possède aussi de sérieux inconvénients : plus elle réunit de monde derrière elle, plus difficile il devient de faire tenir une coalition disparate, aux traditions différentes. Plus ardue devient la tâche de déchiffrer ses désirs. Si Le Pen ne joue pas le jeu de l'alternative immédiate, elle peut perdre en crédibilité auprès de sa base populaire. Si elle y joue, elle peut s'aliéner les agrégats de bourgeoisie ronflante qui viennent gonfler ses rangs, et s'exposer à la levée de boucliers qui a jusqu'à présent évité le dérapage fatidique à la France. L'opposition frontale et générale à la réforme aurait logiquement du amener Marine Le Pen un peu plus loin que sa position actuelle. Certes, elle cherche à se placer à équidistance de Macron et la gauche sur ce point. Mais de fait, elle trahi qu'elle est en réalité sur la défensive, ce qu'elle a peut-être tenté de corriger en se montrant plus incisive en sortie de séance le 16 mars. Sa stratégie de long terme lui impose de ne pas trop rouler des muscles, mais elle risque de passer à l'arrière-plan ou de décevoir le cœur historique de son camp, tapageur qu'il est. Je ne pense pas que Marine Le Pen, que son succès ne démérite pas, sache mieux qu'un autre quel est son prochain geste tactique. Elle se contente "de se rendre désirable" en évoquant un retrait de la réforme pour 2027. Reste à savoir si pareilles platitudes font chavirer les cœurs comme il est partout répété ; reste à savoir aussi ce qu'elle compte faire maintenant.
On peut tabler sur quelques scénarios :
- La sainte alliance : la situation dégénère, le Président choisit la voie répressive et une partie non négligeable des classes possédantes se réunit autour de lui, comme en 2018. Mais le Président est politiquement usé, et il est difficile de se présenter en rempart efficace lorsqu’on compte deux soulèvements en 4 ans à son actif.
- "Le Ravissement de Marine A.P. Le Pen" : progression forte du RN ou carrément entrée au gouvernement. Peu probable.
- Le plus probable, renforcement de la structure tripolaire, affaiblissement tendanciel du centre parlementaire, effondrement de l’autorité du gouvernement. La crise larvée s’approfondit.
- Le mouvement social et syndical est le résultat de l’action conjuguée de millions de personnes et est donc le domaine réservé de l’inattendu.
Le maillon faible
La guerre est aussi un puissant obstacle à la crédibilité des oppositions car, quelle que soit la position du lecteur sur cette question, il est clair que la population française est toujours nettement derrière le soutien à l'Ukraine. Les gesticulations diverses des deux oppositions autours du régime Poutine, puis la gymnastique cynique à laquelle elles se sont astreintes lors de l'invasion pour garder la face pendant de la dernière séquence électorale, ne plaident pas du tout en leur faveur. Le ministre de la défense ukrainien a d'ailleurs rabroué Marine Le Pen lors de son passage en France, moquant une séquence où à l’aide de chiffres farfelus elle exigeait des négociations immédiates. Si cela ne donnait pas une plateforme à des thèses douteuses, il serait complètement dans l'intérêt du président Macron de débattre Ukraine avec le RN et LFI.
Le choix macronien de dynamiter le pays paraît rétrospectivement encore plus ahurissant si l’on doit composer avec le contexte international. On se souvient des tergiversations récentes des allemands, cédant difficilement leurs Léopards 2 à l’armée ukrainienne. Il est souvent dit que les allemands trainent des pieds devant la perspective d’une guerre continue, mais cette indécision relève aussi du pétrin dans lequel se trouve la coalition gouvernementale, faisant face à une avalanche de crises qui menacent de la faire exploser : crise énergétique menant les Verts à voter la réouverture de centrales à charbon, etc. Ces turbulences viennent secouer toutes les sociétés mondiales.
Vladimir Poutine, comme on l’écrit à différents endroits, s’est préparé à une longue guerre ; pas celle d’Ukraine, un fiasco historique, mais sa grande guerre, sa grande reconquête impériale. A ce titre, il compte, sur le long terme, sur la dislocation du front européen, brisé par la crise énergétique, alimentaire, et la déstabilisation des différentes scènes nationales. Dès lors, il est primordial, afin de faire face à l’invasion de l’Ukraine et assurer la sécurité des frontières de tout l’empire russe, que le front européen démocratique demeure le plus uni et résolu possible. Emmanuel Macron, en plongeant la France dans l’inconnu, prend donc la responsabilité d’une faute lourde à cet égard. Auparavant, le front européen connaissait quelques maillons faibles potentiels, comme la Hongrie. Désormais, en révoltant le pays et en le menant à la grève voir à l’affrontement, le Président menace, d’une part, de désengager, si temporairement, la France de ses affaires internationales ; d’autre part, de donner du grain à moudre à la stratégie impériale russe. La France est un potentiel nouveau maillon faible.
En conclusion
Personne ne peut nier la remarquable tacticité qu’ont pu déployer le président et son entourage dans les années écoulées. Mais il arrive un moment où la ruse produit des rendements négatifs, surtout quand on finit par ruser pour ruser. Le cercle rapproché du président fait allégrement fuiter ses désirs de retour en 2032, son souhait d’obtenir un Nobel de la Paix. On est tenté de dire : oui, mais pour quoi faire ? A jouer la carte solitaire sur le plan national et international, à constamment sécréter un brouillard de guerre, le président de la République finit par perdre sur les deux tableaux et à dépolitiser son aventure. Que le Prince ne semblât point sur le trône pour satisfaire à un désir de pouvoir pur est pourtant l’un des commandements primordiaux.
Le Président Macron a pris le risque inconsidéré de faire voler en éclat la stabilité politique de la France, en pleine conscience de sa propre irascibilité face à la contradiction. Il le fait alors que cette stabilité s'avère si nécessaire pour faire front à la guerre impériale de l'Est et aux différents défis économiques qu'elle vient amplifier. Il risque des évènements aux conséquences graves pour son pays mais aussi pour le monde, l’opération totale touchant à la bêtise pure - bêtise sans qualificatif. En parfait orthodoxe de la Vème République, il utilise tout le panel de roublardise qu’elle lui offre, et expose ainsi au jour la vétusté du régime.
En 2019, Jean-François Bayart concluait ainsi son article sur la situation de la France gilet jaunesque : « De ce point de vue, on peut dire, d’une part, que la France est dans une situation prérévolutionnaire, du fait de l’épuisement de l’offre politique constituée et de son incapacité à satisfaire la colère sociale, mais, d’autre part, que la voie répressive, peut-être autoritaire, l’emportera au nom du retour à l’ordre. Jusqu’à la prochaine explosion dont les caciques de la République seront malvenus de se plaindre tant ils l’auront rendue inévitable. ».
Peut-être nous voici arrivés à cette explosion. Le Léviathan menace à nouveau de sortir de sa grotte où, acculé par les eaux vaseuses accumulées, la place vient à manquer.