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Billet de blog 13 mars 2022

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La guerre en Ukraine n'est pas une anomalie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La crise ukrainienne, comme toutes les crises, est à la fois une accélération fulgurante de l'Histoire, et un éclaircissement - souvent cruel - des années, voire des décennies qui l'ont précédée.

Commenter le présent, à nos places confortables encore bien éloignées de la réalité de la guerre, est vain. Il nous reste l'avenir, et le passé nous rappelle des leçons particulièrement intéressantes pour illuminer quelles devraient être nos actions.

La première est que l'Humanité n'est toujours pas prête à se passer de confrontation de puissances. L'objectif central de la construction européenne d'en finir avec la guerre, et son succès incontestable dans ses frontières, a engendré un certain nombrilisme, une certaine paresse qui a flouté notre vision des relations entre pays. Tous les peuples étaient pacifiques, les crispations n'étaient pour la plupart dues qu'au système capitaliste mondial, qui, favorisant la compétition entre nations et la prédation de l'Occident sur le reste du monde, créait les abcès de violence, de misère et de pauvreté.

Cela nous amena à interroger insidieusement nos valeurs, notamment celle de Liberté, et à considérer l'emploi du langage de la puissance (particulièrement l'outil militaire) comme un reliquat impérialiste et méprisable du passé.

Malheureusement les peuples ne sont pas seuls à décider de leur destinée. La démocratie libérale, et plus particulièrement le régime parlementaire, est peut-être actuellement à l'échelle des Nations le système politique le plus proche de la Vox Populi, et pourtant ne reflète que de façon imparfaite la bienveillance supposée de ses citoyens. Des régimes illibéraux, autoritaires ne s'en soucient qu'à l'aune de leur propre survie. Le peuple russe peut être le plus amène qui soit, il n'en est pas moins sous l'emprise d'un autocrate conservateur pourchassant une illusion de gloire et d'empire qui n'a probablement jamais existé, enfermé dans une paranoïa militaire face à l'OTAN, mais surtout mû par une haine viscérale du modèle de la démocratie libérale, qui est intrinsèquement sa première menace.

La seconde est que l'Union Européenne - j'entends pas là l'Union en tant que telle, mais également chacun de ses États membres - s'est persuadée de l'inverse. Elle a fait sienne la vue de l'esprit de "la fin de l'Histoire", et, logée sous le parapluie états-unien, s'est persuadée qu'elle n'avait plus d'ennemi, seulement des partenaires. Elle s'est enkystée dans son confort, jusqu'à s'accommoder de nombreux arrangements avec ses valeurs, plutôt que de brusquer des clients ou fournisseurs un peu turbulents.

Pire, par ces exemples de lâchetés, une construction communautaire bureaucratique et hors-sol, et au moins dans le cas de la France, un jeu politique démagogique et médiocre, tuant tout débat de fond, elle a enfoncé dans l'esprit et le cœur de nombre de nos concitoyens que ces valeurs - de refus de l’arbitraire, de Liberté, de choix d’un destin commun humainement bienveillant - étaient finalement bien peu de chose.

Il est facile de clamer l'évidence d'un événement qui a lieu, et dans le cas présent la guerre était peut-être évitable. Ce qui était inévitable en revanche, et qui est même de fait déjà notre relation avec le régime russe depuis plusieurs années, c'est le conflit brutal entre deux systèmes de valeurs incompatibles. Les axes de Poutine ont toujours été, en Russie, la destruction méthodique et systématique de tout ce qui pouvait rapprocher la société russe des sociétés occidentales, et hors Russie l'affaiblissement méthodique et systématique des institutions et symboles de ces mêmes sociétés occidentales.

Le premier axe, intérieur, est illustré par la répression toujours plus féroce des oppositions un peu trop démocratique au goût du Kremlin, ou des courants sociétaux qui commencent à s'affirmer chez nous (par exemple les revendications LGBT+), symboles supposés de notre déliquescence. La répression se manifeste par la criminalisation de l’expression d’opinions jugées dangereuses ( comme la “propagande homosexuel”, ou plus largement de tout ce qui s’écarte des “valeurs traditionelles”, le fait de qualifier l’invasion de l’Ukraine de “guerre”, les discours “extrémistes” comme par exemple l’appel au séparatisme), des dissolutions d'associations, une violence policière et carcérale organisé et un verrouillage de plus en plus fort des canaux d'information, mais également de façon plus radical le meurtre décomplexé, en plein jour, en pleine ville, par balle, par empoisonnement.
Ces meurtres ne se cantonnent pas au territoire russe mais furent également commis à l'extérieur de ce territoire - qui est le deuxième axe -, dans plusieurs États européens, qui n'opposèrent guère que de molles protestations. À ces actions extrêmes, il faut ajouter une véritable guerre informationnelle continue visant à miner la crédibilité de nos représentants et institutions, dans nos zones d'influences et sur notre propre sol. Il ne s'agit pas simplement de jouer de la propagande à travers des médias d'État, mais également de diffuser à travers des canaux anonymisés (via les réseaux sociaux notamment) des informations mettant le doute dans nos démocraties, en soufflant sur toutes les braises possibles. Le régime russe n’est pas la cause de la plupart de nos crises, mais il attise machiavéliquement chacune d’entre elles. Dans le même esprit, l'embauche de politiciens à des emplois virtuels dans de grandes compagnies russes n'est pas tant une façon de rendre ces entreprises respectables que de souligner l'hypocrisie et la corruptibilité de nos classes dirigeantes. N'oublions pas également les multiples intrusions et attaques informatiques dont le régime russe est friant. N’oublions pas surtout les nombreuses interventions militaire dans l'étranger proche, que ce soit directement (Syrie et donc maintenant Ukraine) ou à travers des faux-nez (le fameux groupe Wagner, en Syrie, Libye, Mali, Centrafrique, Donbass, mais aussi l’emploi de groupes paramilitaires, milices tchétchène dès les premiers jours du conflit ukrainien, et "volontaires" du Moyen-Orient, particulièrement de Syrie, que le régime russe travaille à déployer en Ukraine depuis quelques jours). Ces interventions sont accompagnés d’un mépris à peine voilé des conventions internationales, notamment par le traitement inhumain des populations civiles : torture, pillage, prise en otage de villes entières, destruction des infrastructures vitales (électricité, eau), pillonage des habitations, écoles et particulièrement hôpitaux, usage d’armes chimiques, …

La troisième leçon est le résultat des collision des deux premières. D’une part, depuis des années, le régime russe recherche et déploie largement les attributs d’une puissance autoritaire mondiale, et implémente une opposition structurée et brutale aux démocraties occidentales. D’autre part, toutes ces manifestations de puissance du Kremlin ont été souvent ignorées, quelques rares fois timidement adressées par nos démocraties. Les raisons invoquées de réagir si tièdement étaient généralement d’éviter de pousser notre voisin russe dans les bras de la Chine, ou de l’amener à se laisser attendrir par notre diplomatie accommodante. Ces raisons peuvent s’entendre, elles évitent néanmoins systématiquement d’actionner les deux leviers de ce qui a toujours été les seuls outils de puissance que se reconnaît l’Union Européenne : la puissance normative et la puissance commerciale.
La première n’est pas un sujet pour Poutine ; et il a rapidement appris à mépriser la seconde. D’abord parce que les pressions économiques frappent en premier lieu les populations, ce qui, par constitution même des systèmes politiques démocratique et autocratique, est bien plus un problème pour nous que pour lui. Ensuite parce qu’il avait toutes les cartes pour retourner le sens du vent en sa faveur. Ce n’est un secret pour personne, depuis très longtemps : nos sociétés modernes sont totalement dépendantes de l’énergie combustible : le charbon, le pétrole, le gaz. La Russie est une grande exportatrice de charbon, de pétrole et de gaz.

Tenant de fait à sa botte l’Union qui, de toute façon, n’a jamais réagi à aucune de ses transgressions, pourquoi Poutine n’aurait-il pas envahit l’Ukraine ? Tout ce qui se déroule actuellement est banal pour le maître du Kremlin. Il ne fait que poursuivre ce que l’Occident l’autorise à faire depuis maintenant 20 années. Et chaque jour il ajoute au conflit des ignominies décrites précédemment.

L’Occident, cependant, a réagit. La réaction de l’Union, et plus précisément celle de l’Allemagne, est notable, presque surprenante. Car enfin, si la France n’est pas en peine pour trouver ses lâchetés, l’Allemagne a certainement été en Europe le plus sûr allié de Poutine. Le règne d’Angela Merkel, la “Mutti” louée il y a peu par son peuple et les dirigeants du monde comme un modèle de dirigeant, est brusquement éclairé d’une lumière cruelle. Par le refus entêté et constant d’assumer un autre rôle que celui du petit bourgeois clamant ses bonnes intentions mais prêt à toutes les compromissions s’il s’agit de protéger son commerce. Et peut-être pire symboliquement, par l’abandon de l’énergie nucléaire qui fut remplacée par du charbon et du gaz russe, ce dernier devant encore plus massivement renforcer notre vassalisation au régime russe  à travers NordStream 2.

L’invasion de l’Ukraine était tout sauf impossible depuis des années, dès le premier jour où ce peuple a revendiqué un rapprochement vers l’Ouest. Les traits autocratiques, violents, méprisants et résolument opposés aux valeurs mêmes de l’Occident du Tsar russe sont également connus depuis longtemps. Les dépendances de l’Union à l’égard du régime russe sont limpides depuis des décennies, et se sont fortement renforcées ces dernières années.

Que faire maintenant ?

Les sanctions de l’Union sont lourdes et massives. Le régime russe a été surpris, et est significativement frappé. Son armée, de plus, est loin du rouleau inarrêtable que ses précédents engagements audacieux, brutaux mais surtout sans réelle opposition avaient insinué dans les esprits.

Poutine cependant, s’emploie depuis des mois, et encore très récemment à fermer toutes portes de sorties autres que l’application totale de ses revendications. Dans son paradigme du fait accompli par la brutalité, il est difficile de le voir reculer. Ce ne serait pas seulement un affront, une erreur comme pourraient les digérer une démocratie, ce serait purement et simplement sa fin.

Puisque le réel nous a rattrapé, et qu’on peut maintenant s’autoriser à regarder les choses comme elles sont, peut-être que l’Occident peut conclure que le régime de Poutine doit être neutralisé. Cela ne signifie pas nécessairement l’engagement militaire en Ukraine. Mais cela demande a minima l’arrêt de l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz russe, le plus rapidement possible, quel que soit le prix à payer. Ce prix est-il d’ailleurs si conséquent ? Des études l’évaluent pour l’Allemagne, très dépendante des ressources russes, à au plus 3% de son PIB. Nous sommes définitivement perdus si nous acceptons d’être asservis pour conserver 3% de notre PIB.

Refuser cela signifie tout simplement refuser de se battre pour nos valeurs fondamentales. Ce refus est même pire, puisqu’il signifie financer directement et abondamment la main qui cherche à nous tuer. Ce refus serait d’autant plus misérable que cet objectif est déjà celui de l’Union depuis des années, et aurait dû l’être depuis plus longtemps encore, du fait de la crise écologique. Rien ne peut justifier de ne pas s’engager totalement dans cette voie.
Et pourtant nous entendons déjà les gouvernements tergiverser, anticipant la grogne de leurs populations.

Mais justement, puisque le réel nous a rattrapé, et qu’on voit maintenant clairement que les pays européens et encore moins l’Union Européenne ne parlent plus d’idéaux depuis des décennies, il est tant d’engager tous les citoyens dans un vrai jeu démocratique de débats, de confrontations et de choix de notre avenir commun. En finir avec les oppositions séniles de notre classe politicienne, des mesures mesquines et opportunistes de nos dirigeants. Il est grand temps de partager de vraies passions, de vraies intelligences humaines, de vraies projections de nos peuples dans nos démocraties avant qu’elles n’oublient tout à fait leur sens originel. Alors seulement l'Union deviendra autre chose qu'un amas de peuples vaguement honteux d'être rassemblés dans une communauté qui ne leur parle pas.

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