La BNP, la Mairie et le petit Danel
Ce serait comme une fable de la Fontaine, ou une pièce de Brecht mise en scène par Vitez : l’histoire édifiante du mariage d’une mairie communiste et de la BNP, symbole du capitalisme triomphant, qui signe l’arrêt de mort d’un franc-tireur de l’agitation culturelle.
Pour ceux qui ont manqué les précédents épisodes (voir les liens…) : petit rappel des faits.
En1989, avec le concours de la banque Vernes, Eric Danel rachète ce qui reste de la Manufacture des Œillets d’Ivry sur Seine et sauve ce bâtiment magnifique de la démolition. Malgré les manœuvres répétées de la Mairie pour contrarier ses plans, il se lance dans l’aventure d’un lieu culturel unique, ouvert à tous et fonctionnant uniquement sur des fonds privés dont, en tant que gérant, il se trouve être le garant. Les premières années sont difficiles financièrement, mais la banque Vernes est au soutien. À partir des années 2001/2002, grâce à ses revenus locatifs, la société parvient enfin à équilibrer ses comptes ce qui, en permettant le remboursement des emprunts, assurait la pérennité du lieu. C’est le moment où la Marie d’Ivry, peut-être jalouse d’un succès populaire né d’une initiative privée, recommence à s’intéresser à la Manufacture des Œillets. C’est également le moment où Dexia Banque Privée (aujourd’hui rachetée par BNP Paribas), également banque de la ville d’Ivry, succède à la banque Vernes Artésia et provoque l’exigibilité anticipée du crédit qui mènera la société d’Eric DANEL au redressement (en 2005) puis à la liquidation judiciaire (en 2007) ainsi qu’à des poursuites sur l’intégralité de ses biens personnels (saisie de tous sesbiens mobiliers ainsi que de son domicile). C’est dans le cadre de cette liquidation judiciaire que le bien (pourtant évalué par un expert judiciaire en 2006 à 21 millions d’Euros) est vendu aux enchères en mars 2009 pour 7.150.000 €, à la ville d’Ivry qui exerce son droit de préemption.
Les intérêts de Dexia qui se trouve être le bailleur de fonds de la Mairie d’Ivry ont le mérite d’être clairs : faire plaisir à l’un de ses clients… Mais qu’est venue faire la BNP dans cette galère ? On peut penser d’abord à un manque d’information, ce « petit dossier » étant de peu d’importance pour une grosse banque… Pourtant, par des courriers répétés (10 mai 2007, 28 juillet 2008, 10 octobre 2008…), Eric Danel a tenu Monsieur Baudoin Prot, Directeur Général de la BNP, et Marie-Claire Capobianco, Présidente du Conseild’Administration de BNP Paribas Banque Privé France, informés de l’état du dossier et de la suspicion de collusion entre la Mairie d’Ivry et Dexia. Beaudouin Prot et Marie Claire Capobianco ont accusé réception de ces courriers, mais n’ont rien fait pour arranger les choses, pire, ils ont fait vendre La Manufacture à vil prix.
Il faut s’arrêter un moment sur cette vente. Lors de la liquidation, la banque réclame à la société d’Eric Danel la somme de 13,5 millions d’euros. Cette créance est contestée par Eric Danel et tous les organes de la procédure, ainsi que par la Cours d’appel de Paris et l’Expert Judiciaire qu’elle a nommé… Mais même si cette créance n’était pas abusive, pourquoi la BNP fait-elle vendre à 7millions d’euros (800 € du M2…) un bien immobilier estimé en 2006 à 21 millions d'euros et dont elle possède l’hypothèque ? D’autant plus qu’elle a saisi les loyers de la Manufacture qui rapportent plus d’1 million d’euros par an. La Manufacture vendue à la Mairie, la banque ne touche plus les loyers et l’argent de la vente est bloqué par la procédure judiciaire en cours. Comment expliquer un tel mépris de la BNP pour ses propres intérêts financiers, sauf à conclure que, comme Dexia, elle a privilégié une entente illicite avec la Mairie.
Dans la liquidation désastreuse du travail d’Eric Danel comme dans la récente crise financière, ce sont les mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre. Que le mépris, le cynisme et l’abus de position dominante ne touchent qu’un seul homme et son équipe et non un pays entier n’empêche pas qu’ils restent odieux. La défense d’Eric Danel est un combat isolé, en apparence particulier, mais il va dans le sens de biens d’autres qui interrogent cette société de l’argent où le travailne fait plus sens.
La fable est vielle comme le monde qui voit les puissants de tous bords s’allier contre les faibles, il reste, comme dirait l’autre, le droit de s’indigner.