Les mariniers et leur Saint patron
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En dépit de leur mauvaises manières
De leurs éternels jurons et de leurs travers
Jamais, pour tous les gars de la rivière
Saint Nicolas ne manquera à leurs prières
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Pour ce métier si rude avoir l'assurance
D'une protection divine contre les souffrances
Les incidents, les naufrages et la malchance
Demeure un précieux gage de confiance
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À la mauvaise période, la Loire marchande
Ne permettait pas qu'on lui fasse offrande
Du renoncement à certaines commandes
Afin d' l'honorer comme il nous le demande
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L'étiage venu dans chaque port du pays
Les mariniers flanqués de tous leurs amis
Lui consacraient trois journées de cérémonie
Pour honorer qui leur épargne tant d'avanies
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Une soirée de fête et de retraite aux flambeaux
Avec nos compagnons nous vidions des tonneaux
Nos vieilles cordes huilées nous servaient de falots
Pour cette procession aux dérapages verbaux
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Le lendemain personne ne manquait la messe
Tous parés d'un beau costume trois pièces
Le haut de forme démontrait à tous en l'espèce
Que cette confrérie avait de la noblesse
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Tambours clairons violon pistons et musette
Rangés derrière notre drapeau en goguette
Car après la messe sans la moindre mollesse
Chacun recevait les voisins en son adresse
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Le jour suivant nous revenions à l'office
Honorer ceux qui avaient fait sacrifice
Buvant la Loire comme en ultime calice
Le plus douloureux de tous les préjudices
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Enfin pour achever cette célébration
Sous la protection de notre Saint patron
Le syndic de l'année entrait en fonction
Après avoir validé son élection
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Mais laissons justement Auguste Léger, le dernier marinier de Loire, nous expliquer la manière dont cela se passait à l'époque : « Si sur le calendrier la Saint Nicolas, patron des mariniers, est célébrée le 6 décembre, nous autres, nous n’avions guère de temps à lui consacrer alors que la rivière était afflôt . C’est ainsi que nous trouvions une période plus propice pour lui consacrer une procession. Il convient de ne pas mélanger les affaires et les superstitions. À Sully, nous fêtions le patron le 10 septembre, une période creuse pour nous entre les moissons et les vendanges, pour lesquelles nous trouvions toujours embauche.
Partout dans le Loiret, on fêtait la Saint Nicolas. Je peux vous faire de mémoire les villes qui honoraient le bonhomme : Neuvy-sur-Loire, Châtillon, Briare, Gien, Saint Père, Sully, Saint Benoît, Châteauneuf, Jargeau, Combleux, Orléans, Saint Hilaire-Saint-Mesmin, Lailly-en-Val, Meung-sur-Loire, Beaugency et peut-être d’autres encore. Montargis sur le canal n’échappe pas à la règle et Olivet sur le Loiret, tout autant.
Mais revenons à la procession et à la fête. La veille au soir, les mariniers se regroupaient pour faire une grande retraite aux flambeaux. Nous coupions des vieilles cordes, nous n’en manquions pas, que nous trempions dans le goudron. Nous les « déchevelions » pour qu’elles brûlent mieux. La retraite était ponctuée de grands coups de fusils qui étaient tirés devant les croix et la statue de Saint Nicolas.
Le soir, nous faisions ensuite grande libation avec tous les compagnons de la confrérie. Mais personne ne manquait le lendemain à 10 heures pour la grand messe. L’église avait été somptueusement décorée par les mariniers et affichait complet. Pour l’occasion nous étions tous revêtus de la redingote et du haut de forme. Nous nous rendions à l’église en grande procession, rangés deux par deux derrière le drapeau de la confrérie. La musique nous précédait dans les rues de Sully : tambours, clairons, pistons et violons.
Nous faisions halte devant la statue du Saint patron. Là, nous formions une double couronne pour lui rendre hommage et reprenions la route jusqu’à l’église. Nous étions rangés par âge, les plus anciens devant. Les femmes et les enfants fermaient la marche. À l’église il y avait du pain béni, des sermons et de beaux discours.
Ne pensez pas que la journée se terminait par un banquet à tout péter. Bien au contraire, chaque marinier se faisait un point d’honneur à recevoir chez lui, parentèle et voisins pour leur offrir un repas abondamment garni. Puis tout ce beau monde se retrouvait pour digérer autour d’un parquet lors d’un bal à vous faire tourner les têtes et marier ceux qui ne l’étaient pas encore.
Le lendemain matin, nous nous retrouvions tous à l’office pour une messe à mémoire des membres défunts de la confrérie. La dignité était alors de mise. Dans la commune où je suis né, à Neuvy, après la messe funèbre, les mariniers se retrouvaient pour élire, en plein air, le nouveau syndic de l’année. Curieusement, en fait, nous élisions le second du syndic, celui qui l’accompagnerait toute l’année. Le second de l’année précédente devenant cette fois, le syndic.
Le syndic de l’année passée remettait alors le drapeau de la confrérie à son successeur et celui-ci le gardait toute l’année chez lui. Le culte de Saint Nicolas était si ancré dans la tradition marinière que si par étonnant que ça puisse être, des gars étaient sur l’eau, un jour de célébration dans une commune, ils amarraient leur bateau et participaient à toute la fête. Il n’y avait pas d’exception.
Ce que je vous raconte là s’éteignit progressivement avec la disparition de la marine de Loire. Les dernières célébrations eurent lieu à la fin du dix-neuvième siècle, dans les années 1890. » C'est au début du vingtième siècle que fut remise à l'ordre du jour cette fête quand le renouveau de marine de Loire s'accompagna des traditions qui lui étaient liées.
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