Fable pour les vaches à lait que nous sommes

Ils ont poussé comme des champignons quoiqu’ils aient préféré les grandes villes aux vastes étendues champêtres. C’est sans doute pour ça qu’ils dressent fièrement leur gland au bout d’un pied qui n’en finit pas de s’ériger comme menace lourde et fracassante pour qui s’aventure sur un trottoir en ayant la tête en l’air. Turgescence hautaine, le potelet ne s’encombre pas de pudeur quand il arbore son extrémité tout de blanc peinte.
Nouvelle marque de la modernité, il a suppléé le rond point dans l’esprit dépensier de nos chers élus municipaux, toujours prompts à imiter la commune voisine dès qu’il s’agit de jeter l’argent public par les fenêtres. C’est ainsi qu’un trottoir qui se respecte a besoin de sa forêt d’obstacles métalliques, pour briser quelques gentes (jantes pareillement) , froisser des ailes et entraver la libre circulation du piéton.
Faute d’être en mesure d’obtenir le respect des interdictions, l’aménageur public se plaît désormais à faire de l’espace commun, un parcours sportif semé de chausse-trappes, obstacles divers, couchés, dressés, débordants ou bien saillants. Mettre en péril son prochain est devenu le sport national des aménageurs urbains pour le plus grand profit des marchands, des carrossiers et des hôpitaux. Chapeau bas messieurs du génie civil, vous avez fait preuve d’un sens esthétique merveilleux et d’un à propos sans pareil.
Malheur à qui penserait qu’il y a là quelques collusions sournoises, menus pots de vins ou autres arrangements de fripouilles. Il ne faut pas voir le mal partout et l’explosion des ventes de nos potelets n’est sans doute que le fruit du hasard et de l’esprit grégaire de ceux qui votent les budgets d’aménagement. Pourtant, la chose a de quoi interroger tant cela frise le ridicule et la frénésie de pose.
Nos trottoirs ont le poil hérissé de la chose. Il se dit qu’à Paris il y en a près de 500 000. Vous pouvez imaginer aisément le commerce juteux que cela représente. Apparus en 1990, les poteaux métalliques se prétendent à mémoire de forme. Depuis les années 2000, ils n’ont certes pas la mémoire vacillante, ils fleurissent partout, dans toutes les communes de France qui se prennent pour des champignonnières à ciel ouvert.

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Perrette quant à elle se frotte les mains et sans doute autre chose. Elle aime à couvrir non seulement du regard mais aussi d’une partie intime de sa personne chaque potelet qu’elle croise, espérant vainement qu’il la féconde, elle qui se voit encore refuser pour quelque temps la procréation métalliquement assistée. Elle s’est lancée la coquine dans un tour de France qui la met en transe, lui demande une énergie folle et parfois quelques contorsions osées.
Les potelets varient à l’infini hauteur et diamètre, couleur et forme. Perrette se plie à tous les caprices des constructeurs pour assouvir le sien. La dame paie de sa personne afin de bénir chaque nouveau poteau installé dans notre beau pays. Elle souhaite ainsi leur donner leurs lettres de noblesse, les faire entrer dans la postérité. Il est vrai qu’elle maîtrise assez mal sa morphologie.
Les villes dépensent des fortunes pour ce mobilier urbain aussi désagréable qu’inutile. De telles sommes peuvent nous paraître scandaleuses. En laissant Perrette engloutir à sa manière l’objet du délit nous aurons au moins la satisfaction de la savoir en joie tout en défendant une revendication honorable. Nous devons l’encourager à poursuivre dans sa rude tâche, la soutenir dans sa croisade contre la sottise de nos représentants.
Ceux qui n’ont pas le sens de la faribole, au lieu de s’étrangler à la lecture de cette farce, feraient mieux de botter l’arrière train, non de Perrette qui ne fait de mal à personne mais de ces gredins qui nous prennent pour des vaches à lait. L’aventure des potelets n’est que la énième version de gabegie qui prévaut dans la gestion de la nation. Sus à la concussion et gloire au beau con de Perrette !
Potelettement leur
LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT
Perrette, sur sa tête ayant un Pot au lait
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;
Ayant mis ce jour-là pour être plus agile
Cotillon simple, et souliers plats.
Notre Laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait, en employait l’argent,
Achetait un cent d’ œufs, faisait triple couvée ;
La chose allait à bien par son soin diligent.
Il m’est, disait-elle, facile
D’élever des poulets autour de ma maison :
Le Renard sera bien habile,
S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s’engraisser coûtera peu de son ;
Il était quand je l’eus de grosseur raisonnable ;
J’aurai le revendant de l’argent bel et bon ;
Et qui m’empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée.
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;
La Dame de ces biens, quittant d’un oeil marri
Sa fortune ainsi répandue,
Va s’excuser à son mari
En grand danger d’être battue.
Le récit en farce en fut fait ;
On l' appela le Pot au lait.
Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?
Picrochole, Pyrrhus , la Laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous ?
Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :
Tout le bien du monde est à nous,
Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;
Je m écarte , je vais détrôner le Sophi ;
On m’élit Roi, mon peuple m’aime ;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;
Je suis gros Jean comme devant.

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