La cinéaste Blandine Lenoir multi récompensée pour ses courts métrages qu’elle a réalisé depuis le début des années 2000, était de passage à Melle le 5 février 2015 pour accompagner son premier long métrage Zouzou. Un univers singulier qui trouve entièrement sa cohérence au fil de tous ses films proposant un cinéma que l’on aimerait voir plus souvent, où pour une fois la moitié de l’humanité, les femmes, s’expriment et sont elles-mêmes. Zouzou est une comédie désopilante traitant de sujets sérieux de société, porté par une troupe de comédiens magnifiques dans leurs interprétations dont l’énergie et la vitalité conduisent au ravissement. Cet univers chaleureux de Zouzou où l’on expérimente socialement le monde de demain, s’est retrouvé ensuite en compagnie de Blandine Lenoir, d’une humanité et disponibilité peu communes pour échanger autour de son film.
L’histoire de Zouzou se déroule au sein d’une famille, où les liens entre ses membres ne sont pas problématiques.
Blandine Lenoir : En effet, car cela n’était pas le sujet du film. L’idée était de parler de l’éducation sexuelle et de sa transmission au sein d’une famille. Pour moi, il s’agit là d’une famille idéale où chacun a pu développer sa personnalité indépendamment des autres, avec certes des incompréhensions et des engueulades, mais avec toujours beaucoup de tendresse et d’amour. Ceci est rendu possible grâce à la mère qui assure la réunion de ses enfants. C’est une famille parfaite : elles se touchent, elles s’embrassent, se prennent dans les bras. J’ignore si cela existe, du moins je trouve cela merveilleux.
Cette famille est parfaite en raison de l’absence du père castrateur ?
B. L. : J’ai réalisé neuf courts métrages avant ce film et un ami m’a fait remarquer que dans ceux-ci il n’y a jamais de père. C’est certainement un élément inconscient en moi.
Ainsi, dans une scène onirique du film, l’arrivée de l’amant de la mère vient troubler l’équilibre familial.
B. L. : Jean-Claude Rabette est l’homme qui rend heureux Solange, la mère. Avec lui elle découvre une liberté et une sexualité différente. Je pense qu’elle n’a pas été malheureuse avec son mari mais qu’elle s’est contentée d’assumer son rôle d’épouse à ses côtés, même si c’est là un côté que l’on n’aborde moins dans le film. Elle s’est mariée vierge et après plus de trente ans de vie commune elle découvre une situation plus libre. Pour moi c’est finalement le personnage le plus serein puisqu’elle a vraiment effectué un chemin où elle a réussi à quitter les valeurs qu’on lui a inculqué lorsqu’elle était petite. Elle est elle-même, ce qui lui permet d’avoir cette ouverture d’esprit avec ses filles. Je tenais à aborder l’ignorance quant à la sexualité auprès des jeunes filles. Cela m’a marqué dès mon adolescence où je voyais mes amies marquées par cet interdit de connaître leur propre sexualité. Il m’arrive encore à la suite des projections de Zouzou de rencontrer des femmes qui apprennent de nouvelles choses sur la sexualité. C’est là un enjeu politique : pour être libre, il faut avoir les outils de la liberté et donc être informée, connaître. Ce choix à ce point délibéré de ne pas informer les enfants, filles comme garçons, conduit à faire des femmes ignorantes qui ne peuvent accéder au plaisir. Cela a entraîné plusieurs générations dans cette ignorance : c’est totalement absurde !
Comment envisages-tu la réalisation de films comme moyen de transmettre l’information qui participera à l’émancipation de chacun ?
B. L. : Je ne suis pas militante, même si j’admire beaucoup les militants. En revanche, je fais souvent un film par réaction : c’est-à-dire que je ressens une émotion comme par exemple de la colère et j’ai besoin d’en faire quelque chose. Cela passe pour moi par l’écriture de la comédie : plus les choses sont sérieuses, plus j’ai besoin d’en rire. Je ne crois pas qu’un film puisse changer le monde mais je crois en sa capacité à lancer un débat.
Entre la question « comment on fait les bébés ? » et la recommandation « n’oublie pas de mettre une capote », c’est aberrant qu’il ne puisse pas y avoir d’autres échanges autour de l’éducation sexuelle.
Je souhaitais parler dans mon film de l’arrivée du chaos dans une famille à partir du moment où l’on se pose la question de parler ou non de sexualité. C’est l’occasion aussi de parler de la sexualité du troisième âge, d’une histoire d’amour, de scènes drôles, etc. J’ai lu il y a trois ans le rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) qui disait que tous les enfants sans exception à partir de la classe de cinquième avaient vu du porno. Cette première expérience de la sexualité n’est pas la plus sereine puisque l’on n’y parle pas vraiment de rapport à l’autre, du respect nécessaire à l’égard du partenaire, etc. Qu’est-ce qu’on attend pour prendre la responsabilité de l’éducation sexuelle à nos enfants ? Je souhaitais lancer le débat et c’est ce qui a lieu à la suite des projections. Souvent, le même problème revient de la part des femmes qui disent : « je ne peux pas apprendre à mes enfants ce que je n’ai moi-même pas appris. » Il faut donc être une nouvelle génération qui commence à expérimenter. Même si je ne suis pas en mesure d’énoncer exactement le type d’éducation, il faut commencer par faire tomber le tabou et appeler la vulve « vulve » et un pénis « pénis ». Cette dénomination sur le sexe des enfants témoigne bien de la réalité de ce tabou. Si certaines parties du corps n’ont pas de nom, il est impossible que l’enfant ne pose pas de question à un moment donné. Lorsque l’on parle simplement des choses, les questions de l’enfant arrivent très naturellement et le dialogue se poursuit. Cela n’empêche pas que certaines questions peuvent déstabiliser : il faut se donner alors le temps de la réflexion pour laisser à l’enfant se faire sa propre opinion.
Tu évoques la sexualité dans ton film tout en subtilité et pudeur.
B. L. : De manière très humble, on souhaite souvent en tant que réalisateur faire des choses que l’on n’a pas encore vu afin justement de lutter contre les stéréotypes, très puissants au cinéma. Par exemple, on voit souvent les femmes nues ou dénudées dans les films. C’est pourquoi le principe du film a reposé aussi sur le fait de ne pas voir de corps nus. En revanche, les corps sont très présents à travers leurs mouvements. Mes personnages féminines sont très belles et sexy mais je n’ai pas besoin de les déshabiller pour convaincre. Je souhaitais que l’on voit des femmes qui soient autre chose qu’un objet de désir, qu’elles aient du caractère et du texte.
Les trois personnages féminins du film sont confrontés à la difficulté d’envisager la sexualité de leur mère : je souhaitais parler à la fois de ce tabou de la sexualité du troisième âge et des parents pour leurs enfants en général. Plusieurs sujets sont ainsi abordés sans que le film soit pour autant didactique.
Les personnages féminins par la diversité de leur caractère sont-ils un moyen d’aborder un panel de prises de position quant aux problématiques du film ?
B. L. : Je pense que nous sommes à la fois toutes ces femmes-là. Ainsi, Marie qui est en couple, qui a trois enfants et qui est censée être la fille épanouie et heureuse de la famille n’en peut plus de jouer ce rôle. Je pense que lorsque l’on aspire à une vie de couple, on passe à un moment donné par perdre la passion amoureuse en s’enfermant dans des habitudes, on devient très nostalgique de la vie passée, etc. Agathe est une femme de la quarantaine qui se trouve seule avec son enfant après avoir été plaquée : sa situation représente le cas d’un cinquième des femmes en France. Son cas n’est pas anecdotique même si elles ne sont finalement que très peu représentées au cinéma. Lucie est hyper indépendante tout en étant très sensible au romantisme. Plutôt que de faire un personnage complexe avec toutes ces personnalités, j’ai trouvé plus simple de créer trois personnages. C’était intéressant de les voir se confronter, se comprendre et je crois que ceci n’est possible qu’au sein d’une famille.
En effet, les divergences politiques restent à l’extérieur de leurs échanges : ainsi, lorsque Lucile verbalise son rejet de l’amant de sa mère, elle souligne son penchant conservateur. Mais cet argument n’a aucun poids devant la passion de sa mère.
B. L. : Jean-Claude Rabette est en outre homophobe. Je voulais montrer que quel qu’il soit, Lucile n’aurait pas pu accepter la passion amoureuse de sa mère. Le film procède souvent par retournement de situation par rapport à des scènes attendues : ce n’est plus la mère qui fait des reproches aux relations de sa fille, ce n’est plus les parents qui surprennent la sexualité de leurs enfants, etc. Cela concourt au ressort comique des situations. Je n’aime pas l’humour cynique et je trouvais intéressant qu’un type conservateur et homophobe devienne attendrissant par la sincérité de son amour pour une femme. Finalement, on découvre que ses partis pris sont sans conviction, qu’il est de droite pour la simple raison que ses parents étaient de droite, par exemple.
On retrouve dans Zouzou les règles d’or du théâtre classique avec les unités de temps, de lieu et d’action. En outre, les comédiens ont tous une excellente carrière dans le théâtre et leur texte sont tous bien écrits, avec l’idée que ce sont les paroles qui entraînent l’action plus que les corps.
B. L. : C’était un film dont les moyens de la production étaient limités et le tournage a duré 17 jours. Pour cette raison, le lieu unique simplifie beaucoup : on perd moins de temps à déménager les objets, les décors, les personnes pour les réinstaller ailleurs. En revanche, ce type de production est un choix délibéré : avec des acteurs non connus, difficiles de bénéficier d’une production plus importante. Cependant, c’étaient avec ces comédiens que je voulais travailler : ils excellent aussi bien dans le registre de l’humour que dans le drame. Ils possèdent un véritable plaisir du jeu, sachant tirer une situation la plus loin possible. L’humour développé est vraiment sincère à la différence des comédies reposant sur le cynisme.
En ce qui concerne les textes, je dois avouer que je suis très touchée au cinéma par les dialogues bien écrits. Même si Arnaud Desplechin n’est pas ma référence cinématographique, ses textes sont toujours si bien écrits qu’il parvient toujours à m’embarquer dans son univers. Ainsi, les films très bavards de Pialat, Varda ou Cassavetes me touchent beaucoup. Lorsque cela parle dans un film, cela signifie qu’il y a échanges entre les personnages. Souvent au cinéma on voit des comédiens qui jouent très bien mais pas toujours ensemble. Ce qui m’éclate le plus dans la mise en scène c’est bien la direction d’acteurs. Ainsi dans mon casting se trouvent huit personnages aux caractères hyper forts : dès lors, les faire rentrer dans un même film sans laisser se développer huit films différents, est pour moi un vrai défi, à la fois génial et compliqué.
Tu as foi en cette capacité de la parole à changer les choses chez l’autre.
B. L. : Je trouve cela très émouvant que les gens se parlent et cherchent à se comprendre. Par exemple, il y a cette scène où Agathe n’arrive pas à parler tellement elle est émue et bouleversée de retrouver son Frédo. C’est une scène qui fait beaucoup rire et où chacun a pu un jour ou l’autre se retrouver, confronté à cette frustration de ne pas se comprendre.
Dans cette économie de moyens, l’improvisation était-elle évacuée ?
B. L. : Nous avons répété bien avant le tournage à la maison et nous avons longuement construit les personnages de telle sorte que chacun savait très clairement qui il devait être. Chacun a pu ainsi apporter des choses à son personnage. Ainsi Jeanne Ferron qui rêvait de jouer de la trompette a pu le faire. Lorsque l’on cherchait à définir le personnage de Lucie autour des grandes figures de féministes des années 1970 et leur obsession pour certaines à pisser debout comme un homme, Laure Calamy m’a dit qu’elle savait le faire, aussi cela a-t-il été intégré au scénario : c’était là un outil scénaristique démentiel pour présenter un personnage en quelques secondes. La part d’improvisation dans les textes est davantage dans la manière de les interpréter que de les créer au moment du tournage.