Céline Amilien

Directrice générale adjointe - Fonction publique territoriale

Abonné·e de Mediapart

2 Billets

0 Édition

Billet de blog 12 octobre 2012

Céline Amilien

Directrice générale adjointe - Fonction publique territoriale

Abonné·e de Mediapart

Y a que quand on coupe le courant que les gens réagissent : les intolérables pratiques d'ErDF

Céline Amilien

Directrice générale adjointe - Fonction publique territoriale

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce matin du 11 octobre, mon mari quitte l'appartement que nous louons depuis trois mois aux alentours de 10h00 et rencontre sur le palier un électricien en train de s'affairer dans les compteurs et installations. Il se réjouit : il est certainement en train d'apporter une solution au faux contact de l'éclairage des parties communes... Bonjour Monsieur, Bonjour Monsieur...

Heureux hasard, ce jour là, nous rentrons ensemble chez nous vers 11h30. Notre bébé de trois mois est gardé à l'extérieur depuis une semaine, nous allons chacun pouvoir vaquer à nos occupations.

Nous avons la surprise de trouver une feuille pliée en 4 et froissée coincée dans la porte.

Il s'agit d'un document dErDF intitulé "pertes non techniques" dont les cases ne sont pas cochées et évoquant un contrôle de conformité de notre installation et une possibilité de suspension de notre fourniture d'énergie...

Nous sommes perplexes, puisque l'appartement a été refait complètement à neuf avant notre arrivée. Et nous nous étonnons qu'il soit fait mention de notre absence, puisque mon mari a rencontré et salué le technicien qui n'a pas demandé à contrôler quoi que ce soit, mais lui a au lieu de cela courtoisement facilité le passage vers la sortie. Nous pénétrons donc chez nous décidés à éclaircir la situation lorsque nous constatons avec stupeur que le courant a bel et bien été coupé sans le moindre début d'avertissement ! Nous n'avons plus ni lumière, ni eau chaude, ni chauffage, ni téléphone, ni connexion internet et les heures sont comptées pour les aliments rangés dans notre réfrigérateur et notre congélateur.

Nous appelons immédiatement du téléphone portable de mon mari les services mystérieux indiqués dans l'"avis" et apprenons que nous sommes de dangereux squatteurs qui volons de l'électricité sans aucun titre depuis plus de six mois. Nous protestons vivement puisque nous avons effectué toutes les démarches d'usage lors de notre déménagement et que nous disposons des documents nécessaires pour l'attester. Il nous est d'abord suggéré de faxer ces documents. Pourquoi pas de recourir à un minitel ou à un télex, tant qu'on y est ! Si même nous avions eu un télécopieur à domicile, nous aurions été bien en peine de le faire fonctionner sans électricité. Le ton continue de monter jusqu'à ce que notre interlocuteur nous propose de nous déplacer pour lui montrer notre dossier "bien en face" ! Parmi les nombreuses phrases d'anthologie échangées lors de cette conversation téléphonique, nous avons bien retenu qu'il n'"y a qu'en coupant le courant que les gens réagissent" !

Qu'à cela ne tienne, nous annulons nos rendez-vous respectifs et nous rendons immédiatement rue des Batignolles à l'adresse indiquée munis de notre dossier. Nous nous y présentons à 14h30 et demandons à être reçus pour "régulariser la situation" et demander la réparation du préjudice que nous commençons à subir du fait de cette situation ubuesque.

Apres quelques minutes d'attente, la personne que nous avions déjà eu au téléphone vient à notre rencontre, mais ne nous fera pas l'honneur de nous recevoir dans un bureau ni de nous offrir le moindre siège. C'est donc debout dans le hall et devant les visiteurs successifs que la discussion entamée au téléphone reprend et tourne rapidement à l'esclandre : on nous explique que depuis l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence, ErDF et EDF sont des sociétés parfaitement distinctes et que nous devons nous retourner contre EDF, ErDF n'étant responsable de rien dans notre situation et dans l'impossibilité de faire quoi que soit pour la rétablir. La personne jette un œil distrait sur nos documents, sans même faire semblant de vouloir les conserver ! Outrés par cette attitude et fâchés qu'on nous ait fait nous déplacer pour rien, nous haussons le ton, et voyons arriver un agent de sécurité prêt à intervenir pour calmer les dangereux clients mécontents que nous sommes. On nous prie de faire l'effort de comprendre la situation d'ErDF ne disposant d'aucune information sur notre identité et dans l'incapacité de nous prévenir, puisque nous n'avions à leur connaissance aucun contrat en cours. Nous évoquons notre rencontre avec le technicien qui nous a vu sortir par la même porte que celle où il a coincé un papier froissé évoquant notre absence et qui pouvait facilement nous alerter et nous permettre de régulariser au lieu de couper purement et simplement le courant. On apprend qu'il n'avait pas le droit de nous parler. Nous précisions qu'il y a une gardienne dans l'immeuble ainsi qu'un tableau récapitulant les noms et les numéros des boîtes aux lettres correspondant à chaque appartement. On nous explique qu'il n'appartient pas à ErDF de chercher à connaître l'identité des personnes et qu'une fois de plus tout est la faute d'EDF ! Je demande comment l'on peut commettre un acte aussi grave pour une famille que de la priver d'électricité sans avoir le moins du monde essayé de l'avertir, mais rien n'est de la responsabilité d'ErDF... Au contraire, c'est pour des raisons de sécurité et d'assurances, liées à la mission de service public du gestionnaire du réseau électrique qu'il était extrêmement urgent de suspendre notre fourniture. Nous faisons référence au décret d'août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d'impayés des factures d'électricité, et on nous prend de haut pour nous faire comprendre que sur le terrain de la loi, notre interlocuteur sera mieux armé que nous. Ce décret s'applique en présence d'un contrat et d'une facture, mais nous sommes supposés ne pas avoir établi de contrat. Et d'ailleurs, nous sommes censés avoir été averti le 13 septembre de la même manière... Un "avis" avait-il été placé sur notre porte pendant notre séjour en province en septembre ? Nous ne le saurons jamais mais sommes bien certains qu'il ne s'en trouvait aucun à notre retour le 23 septembre. La mention du service public achève de nous mettre hors de nous, et notre interlocuteur décide de nous planter là, non sans préciser que "de toute façon, c'est comme ça maintenant, c'est privatisé" !

Nous quittons le hall d'ErDF excédés et sans avoir le moins du monde progressé dans le règlement de notre problème.

Le peu de batterie restant dans le téléphone de mon mari (le mien est vide depuis 13h00, et sans courant, comment le recharger ?) nous permettra d'appeler EDF, qui reconnaîtra immédiatement le dysfonctionnement de leur part et fera dans l'urgence le nécessaire pour faire rétablir le courant. Il est à présent 15h00. A 16h50, le technicien se présentera effectivement à notre domicile et rétablira le courant.

Au bout du compte, dans notre cas, beaucoup d'agacement pour très peu de conséquences en dehors de la perte d'un temps précieux et d'une journée de travail : nous avons eu la chance de constater la situation en plein jour, alors qu'il ne faisait pas particulièrement froid et avons pu nous rendre disponibles immédiatement pour faire rétablir la situation, ce qui nous a posé peu de difficultés étant donné notre bonne foi, notre bon droit et notre capacité à comprendre et utiliser le langage dans lequel on s'est adressé à nous. Notre préjudice matériel est très mince : une facture de brasserie rue des Batignolles, un ticket de parking, et une boîte de lait pour nourrisson (indispensable pour remplacer les biberons de lait maternel que j'avais conservé au congélateur et qu'aucune mère n'aurait risquer de faire absorber à son bébé après plusieurs heures de température incertaine...).

Mais nous restons profondément choqués par cette anecdote et les pratiques qu'elle révèle. Quelles méthodes managériales ont-elles bien pu conduire la société ErDF à adopter des pratiques aussi intolérables et inhumaines, et donc aussi éloignées de la mission de service public qu'elle est encore tenue de remplir et pour laquelle elle bénéficie d'une situation monopolistique ? Sont-ce ces méthodes qui conditionnent les agents au point de leur permettre de saluer poliment la personne qu'ils sont concrètement en train de priver d'électricité ? Quelle recherche de profit justifie-t-elle de faire à ce point l'économie de la moindre procédure valable ?

On imagine aisément le désarroi dans lequel nous nous serions trouvés si nous étions comme habituellement rentrés après 19h00 avec notre bébé dans les bras, sans pouvoir éclairer chez nous, donner un bain, chauffer un biberon, et sans interlocuteur pour répondre à nos appels en détresse.

On ne peut s'empêcher de se demander si c'est l'approche de la trêve hivernale qui conduit ErDF à suspendre hâtivement les fournitures d'électricité avant d'en être empêchée pendant plusieurs mois... Et surtout, on ne peut que déplorer de telles pratiques de pure intimidation et s'interroger sur le sort des personnes rencontrant effectivement des difficultés pour établir régulièrement un contrat, régler les factures et comprendre les explications fournies. Malgré mon master en affaires publiques et mon diplôme de droit public, c'est seulement aujourd'hui que j'ai enfin, sous la contrainte, compris la différence entre EDF et ErDF !

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.