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Billet de blog 5 mars 2014

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Le Chibani

J'avais, dans l'allée d'un ancien logement, et qui habitait dans la cour, un chibani. Un de ces vieux immigrés coincés ici jusqu'à la mort. Il avait sans doute trimé dans nos mines ou encore à l'usine. Il parlait à peine le français, juste les quelques mots qui fondent la politesse.

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J'avais, dans l'allée d'un ancien logement, et qui habitait dans la cour, un chibani. Un de ces vieux immigrés coincés ici jusqu'à la mort. Il avait sans doute trimé dans nos mines ou encore à l'usine. Il parlait à peine le français, juste les quelques mots qui fondent la politesse. Il baragouinait. J'avais fini par comprendre qu'il venait de quelque part au Maroc. Mais je n'ai jamais su s'il avait de la famille là-bas, s'il avait une femme, des enfants.

Je le croisais souvent vers les boîtes aux lettres. Nous échangions une solide poignée de main, un bonjour aimable. Et nous prenions le temps de nous assurer que tout allait bien. Souvent, il me disait que j'étais gentille et s'étonnait de me voir chaque matin partir pour le travail. Une femme qui travaille...

Un été, il avait une grosse grappe de raisins et il m'en offrit la moitié. Une autre fois, ce fût des bananes. Moi, j'étais toujours pressée. On est toujours pressé en bas de l'escalier. Quand il faisait beau, il sortait une espèce de trottinette électrique, qu'il bricolait dans la cour, derrière l'immeuble. Il vivait dans une toute petite maison, bâtie en verrue sur l'immeuble. Je savais que le proprio était indisposé d'avoir ce vieux bonhomme dans les locaux. Le proprio, c'était ce genre de types qui investissaient et qui ne connaissaient pas leurs locataires. Nous n'étions que des revenus qui tombaient chaque fin de mois. Il avait dû avoir gain de cause, le proprio, parce que je n'ai plus rencontré le chibani devant les boîtes aux lettres. Je l'ai revu une fois dans le tram. Il avait l'air heureux de ce hasard. Comme d'habitude, il maugréait sur le vilain monsieur. Ce n'est que plus tard que j'ai percuté : la maison-verrue était close et vide.

Quelques fois, je passe sur la place où il avait l'habitude de venir prendre l'air avec ses copains. Des comme lui. Il doit y en avoir des centaines dans nos villes. De ces vieux travailleurs qui ne peuvent plus rentrer chez eux parce qu'ils doivent rester ici pour percevoir leur retraite. Ils envoient encore un peu d'argent au bled. Ils sont seuls. Invisibles.

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