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Billet de blog 18 avril 2020

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Témoignage d'une infirmière

Récit édifiant et poignant d'une jeune infirmière d'un grand hôpital de la région parisienne.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La période COVID, c’est dur !

C’est dur, physiquement, à courir partout pour trouver du matériel que l’on a de moins en moins ... À s’habiller, entrer dans un box pour s’occuper d’un patient, se déshabiller et ressortir du box (parce qu’on a oublié quelque chose -un tube, un garrot, une seringue pour gaz du sang, des lunettes à oxygène ou bien un masque- et que personne n’est dans les parages, car tout le monde est occupé ailleurs, avec un autre patient, un autre problème de matériel, ou tout simplement parti prendre 5 minutes pour dire stop. Une fois déshabillé pour récupérer le matériel ou la personne oubliée (parce que oui on est à la recherche de médecins, qui sont plus occupés les uns que les autres, mais l’état des patients peut changer du tout au tout en un battement de cœur ...), bah il faut s’habiller, encore. Mais avant, il faut aller à la recherche du matériel pour s’habiller ...

Une fois à l’intérieur du box, il faut expliquer à la personne, que oui, tant qu’il sera là, il ne verra que des cosmonautes, habillés de la tête aux pieds, avec seulement une voix, mais impossible à mettre sur un visage... Un visage méconnaissable, même pour la famille, car complètement camouflé par des lunettes, une charlotte et un masque FFP2... Il faut aussi expliquer au patient qu’il ne sortira pas du box pendant qu’il sera chez nous... Mais que s’il a besoin de quoique ce soit, on est là et on viendra dès qu’on pourra (même si ça, malheureusement, on sait que c’est très dur à tenir, car toujours à courir partout, ou tout simplement, l’espace d’un instant, l’envie... non, tout simplement le besoin de ne pas aller voir un patient, parce que ça veut dire à nouveau s’habiller et se déshabiller après...).

Et puis une fois le patient sorti, soit rentré chez lui, soit hospitalisé dans un service, ou en réanimation, soit tout simplement après qu’il ait passé ces derniers instant auprès de soignants (parce que la famille ne peut pas être là...), et bien il y a la désinfection totale du box ! Oui totale ! Du sol ... au plafond !! Oui, oui, au plafond ! Ça aussi, c’est dur physiquement ... Ça fait mal au dos, à la nuque, aux bras ... Ah, et évidement, avant de rentrer dans le box pour faire la désinfection, il faut à nouveau s’habiller !

Mais le COVID, c’est aussi très dur psychologiquement... Toujours en train de penser à ce fichu virus ... Cette saloperie de virus qui, mine de rien, en fait des dégâts !... En train de se demander si on ne va pas l’avoir, ou même si on l’a déjà eu, mais sans le savoir (porteur sain, c’est comme ça qu’on dit...)

S’il ne s’agissait que de penser à ça, ce serait gérable ! Mais non, il faut penser aux patients ! A ceux qui te disent droit dans les yeux :

- « Je vais mourir, je le sais ! » (« Oui effectivement, vous êtes en train de mourir ! » - c’est ce que tu aurais envie de répondre, mais tu ne peux pas).

- « Je ne veux pas mourir, aidez-moi ! » (« J’ai déjà fait tout ce que je pouvais, je n’ai plus de moyens de vous aider », mais tu ne peux pas dire ça non plus).

- « Mais tout va bien se passer, je vais en réanimation ?! Mais je vous avoue que j’ai peur. »  (« Je ne peux pas vous promettre que tout va aller, vous êtes en train de mourir, vos poumons sont en train de vous lâcher » impossible de répondre ça !) ...

Mais la seule chose que tu réponds c’est : « Mais non, ça va aller, essayez de respirer tranquillement, vous verrez, vous vous sentirez mieux » ...

Et puis, voir les patients « s’enfoncer » sans rien pouvoir faire, parce qu’on est au maximum de notre chez amie appelée Médecine ! Parce qu’on n’a pas assez de places ... Parce qu’on n’a pas assez de respirateurs ... Parce qu’on n’a pas assez de personnel ... On est obligé d’inventer des postes fictifs comme « infirmiers juniors » - étudiants infirmiers en 3ème année, qui ne sont pas encore diplômés, pour aller travailler en réanimation ...

Je me souviendrais toujours de ce jeudi du mois de mars ! Je prends mon poste. L’infirmière de nuit me fait les transmissions à propos de Mr G. « Patient de 71 ans, antécédents de SEP (sclérose en plaque), suspicion COVID, non réanimatoire. Il a 15L d’oxygène au masque à haute concentration (la plus haute aide pour respirer « standard »), mais il sature au maximum à 90% (taux d’oxygène dans le sang) ». Patient de 71 ans, qui n’est pas admis en réanimation, qui ne le nécessite pas ?! Pourquoi ?! A cause de la SEP ?! Mais 2 semaines auparavant, il travaillait ! Il était directeur d’hôtel ! Alors pourquoi ?

Au fur et à mesure de la matinée, son état respiratoire se détériore ! La saturation baisse à 85% et la fréquence respiratoire est à 50 mouvements par minute (la norme est entre 12 et 20) !! J’appelle le médecin, qui lui appelle le réanimateur. Une « CPAP de Boussignac » est mise en place (masque plus important et débit d’oxygène plus haut !), on apporte au patient 25L d’oxygène par minute ! Mais le réanimateur nous dit, « Si la CPAP ne marche pas, de toute façon, on ne fera rien de plus, il n’ira pas en réanimation »... Mais pourquoi ?! Pourquoi le laisser mourir ?!! Pourquoi ne pas lui laisser sa chance de se battre ?

Le médecin urgentiste et le réanimateur vont expliquer la situation à la femme du patient ... Je vais la chercher une fois la discussion terminée, afin qu’elle puisse aller le voir et lui dire au revoir (car la situation est très grave...). Je l’habille et lui explique qu’elle ne pourra rester que 5 minutes avec lui et qu’elle ne pourra pas le toucher, qu’elle risque de ne pas comprendre ce que son mari lui dit, car la CPAP fait beaucoup de bruit et que le masque étouffe le son de sa voix... La femme va le voir, puis elle ressort du box, en larmes... Je l’amène prendre l’air (après l’avoir déshabillé) puis elle me prend dans ses bras et me remercie... 

Pourquoi ?... Alors que son mari est en train de mourir... Que je ne peux rien faire... Pourquoi ?...

Puis, la famille va défiler. Tous viennent un par un : je les habille, leur donne les recommandations, les fait rentrer dans le box. Une fois sorti, je les déshabille ; ils sont tous en train de laisser couler des larmes sur leurs joues... Ils me remercient tous... 

Mais bon sang ! Pourquoi ?! Il n’y a pas à dire merci, quand on laisse mourir quelqu’un ! Quand on est incapable de le soulager et de l’aider ! Quand on ne fait que mettre un petit pansement sur une plaie béante... Ce patient est mort 3 jours après dans un service, dans un vrai lit...

La souffrance des familles est très difficile à gérer...! Car il existe des recommandations qui font qu’il ne peut y avoir aucune visite d’autorisée tant que le patient est en vie. Et que seules deux personnes peuvent voir le corps du défunt, sans le toucher. Deux personnes, c’est une blague ?! Non ... Seulement deux, car le défunt est potentiellement contaminant... Dire à la famille qu’ils vont devoir choisir les deux seules personnes qui vont pouvoir voir une dernière fois leur proche est un déchirement... Les pleurs des familles sont un saignement aux oreilles ... Les larmes sont un coup de poignard dans le cœur... 

Les peurs des patients face à l’inconnu sont difficiles à atténuer, quand nous-même ne savons pas à quoi nous attendre ... Quand nous sommes nous-même face à l’inconnu...

La situation est inédite !... Et au tout début on m’a dit: « Vous allez rentrer et faire partie de l’histoire ! »... Mais je n’en ai absolument rien à foutre de faire partie de l’histoire ! Encore plus comme ça ! Ils peuvent se la garder leur histoire, je n’en veux pas !!

Je ne sais pas comment je serais une fois cette pandémie finie, mais une chose est sûre : je ne serais plus la même professionnellement parlant, mais aussi, quand même, personnellement...

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