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Billet de blog 5 janvier 2023

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Soignante réintégrée ... provisoirement (2)

Quand on est suspendu parce que non vacciné contre le covid, un certificat de rétablissement permet de retourner au travail pour quatre mois. Ça, c'est le protocole, c'est la théorie. Dans la vraie vie et quand on s'occupe de soins psychiques dans un CMPP, cela se passe comment ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En pratique, ainsi que je l'ai expliqué dans mon autre billet sur ce sujet, la période de réintégration effective est diminuée des onze jours de rétablissement. Je ne suis donc au CMPP que pour trois mois et demi, amputés de deux périodes de congés.

Revenir parmi mes collègues, plutôt content.e.s de me revoir mais qui - à l'une ou l'autre exception près - font à peu près comme si de rien n'était, c'est ardu. Je suis confrontée au silence sur ce qui est en train de se passer et à l'impression que la suite est en cours d'organisation, je mesure l'ampleur de l'oubli qui est à l’œuvre et qui le reste malgré ma présence puisqu'il n'est par exemple jamais question des autres "suspendues", je fais le constat que personne ne prend la mesure de la gravité de ce qui nous arrive. Alors c'est très dur.

Côté travail par contre, il n'est pas fait comme si de rien n'était, tout est pensé en fonction de ma deuxième suspension à venir bientôt. Et de mon côté, même si je garde encore espoir que cela n'arrivera pas, faire comme si cette perspective n'existait pas est impossible.

Concrètement cela veut dire par exemple que je ne peux pas commencer à suivre de nouveaux patients. Même si de mon point de vue cela aurait été à tenter pour l'un ou l'autre, commencer à rencontrer un enfant pour quelques semaines n'a effectivement pas grand sens, au vu des difficultés importantes que présentent ceux qui sont suivis en thérapie psychomotrice. Et arriver à s'engager psychiquement dans une relation thérapeutique tout en ayant en tête qu'on va repartir si rapidement et que l'enfant restera sans soins, c'est de toute façon compliqué.

Il m'est demandé de voir des enfants en bilan psychomoteur, mon avis est important parait-il. Mes bilans actuels aident peut-être mes collègues à affiner leur perception des difficultés d'un enfant, mais n'ont pas grand intérêt pour lui puisqu'il ne pourra pas être suivi ensuite en thérapie psychomotrice. L'investissement pour rencontrer vraiment des enfants très en difficultés et parfois très retranchés m'est bien difficile puisque sans perspective d'un travail avec eux ensuite.

En ce qui concerne mes anciens patients, mes collègues ont pensé faire au mieux, elles ont essayé de compenser, ont pris des décisions. L'an dernier certains enfants ont été adressés ailleurs, d'autres ne viennent plus, ils ont déserté le CMPP. Certains, prévenus de mon retour, n'ont pas souhaité reprendre le travail interrompu il y a plus d'un an. Pour d'autres il a été décidé avant mon retour qu'ils n'ont "plus besoin" de leur thérapie psychomotrice. La responsabilité du travail que je mène avec eux m'a donc été retirée, sans que cela soit parlé avec moi. Un effacement. Du jamais vu depuis 26 ans que je travaille au CMPP.
Au final je revois trois enfants, deux parce qu'ils ont réussi à demander avec suffisamment de force à reprendre le travail, le troisième pour des raisons purement pratiques car le créneau horaire proposé par une psychomotricienne embauchée récemment ne convenait pas. Un autre enfant qui travaillait avec moi depuis plusieurs années a commencé juste à mon retour un suivi avec cette personne. Là, le créneau convenait...

J'essaie de continuer à m'investir dans les réunions de synthèse hebdomadaires, mais comment arriver à s'engager dans ce travail de réflexion à plusieurs alors que l'on sait qu'on ne va pas rester ?

Je suis donc sur place mais très désœuvrée, je reçois quelques enfants, j'assiste aux synthèses, je m'occupe comme je peux, je fais du tri.

Tout cela n'a aucun sens.

Et, alors que je suis présente, l'importante désorganisation provoquée au CMPP par les suspensions perdure.

Tout cela n'a vraiment aucun sens.

Je précise que les effets (nommés "surcroit d'activité" dans les offres d'embauche) des suspensions de deux psychomotriciennes n'ont pu être compensés que pour 10% au printemps dernier, et pour un tiers du temps depuis le mois de novembre.

Je vis ce retour dans l'institution comme une sorte de suspension à l'intérieur, une épreuve supplémentaire après toutes celles déjà subies, dont le principal intérêt est le salaire perçu. Sensation d'y être sans y être, puisque je ne peux pas m'investir sur le plan clinique et que je n'ai comme perspective que mon départ prochain.
Tout cela se passe sans malveillance aucune, mais sans non plus sembler émouvoir plus que cela, et c'est très compliqué à vivre. 

Pourquoi je vous raconte tout cela, penserez-vous peut-être ?
Eh bien simplement pour continuer à témoigner du caractère extrêmement maltraitant de ce qui est en cours et de la gravité des effets de ces mesures absurdes sur les soins. Je rappelle simplement pour finir que les enfants dont je parle sont scolarisés et ne présentent pas de fragilité somatique. Du fait des suspensions permises par la loi du 5 août 2021 pour "protéger des populations vulnérables", ils ont été privés des soins psychiques qui leur sont nécessaires, et l'institution a été gravement impactée.

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