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Billet de blog 30 octobre 2020

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Dupont-Moretti : du prétoire au pied du perchoir

Le ronflant Dupont-Moretti et la baroque Bachelot donnaient un peu de sang neuf à un mandat présidentiel anémié par les crises successives depuis 2017. L'ancien avocat est devenu un poids pour le gouvernement.

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En juillet dernier, juste après sa nomination à la justice, c’est un Dupont-Moretti bien mal à l’aise que l’on a vu à l’Assemblée Nationale pour la traditionnelle séance hebdomadaire des questions au gouvernement. Dans les médias depuis l’affaire d’Outreau, en 2019 sur les planches du Théâtre de la Madeleine et dans cinq films depuis 2016 où il joue son propre rôle ou qui lui sont consacrés, nous étions habitués à le voir tonitruant, acerbe, maugréant, péremptoire, faussement modeste, superbe, minaudant parfois mais toujours prêt à défendre sa vision d’une justice humaine contre un système judiciaire inhumain avec ses hiérarchies, ses corporatismes, ses erreurs judiciaires et ses négligences administratives. Il avait été magnifique dans le procès du Frère Merah, refusant un procès basé sur la morale, exigeant que son client soit jugé sur ses actes et leurs preuves non sur une représentation collective du mal incarné.  

Au palais Bourbon, on l’a découvert tendu, renfrogné, presque apeuré, on l’a vu descendre du banc du gouvernement, refermer nerveusement les boutons de son costume un peu étroit, attendre un silence de salle d’audience qui ne venait pas sous l’œil goguenard de son collègue des affaires étrangères et, pour sa toute première parole publique en tant que ministre, se tromper grossièrement, sinon mentir, sur la date d’une interview au cours de laquelle il avait estimé qu’il ne serait jamais ministre parce qu’il « n’avait pas la capacité d’avaler des couleuvres ». Devant les députés il déclare :« ce que l’on dit il y a dix ou quinze ans, peut évoluer ». Il l’avait diten avril 2018.

Cette erreur inaugurale qui fait sourire finalement, est le signe d’une faiblesse politique du personnage et donc d’une erreur de casting de la part d’Emmanuel Macron. En le désignant ministre de la justice, le chef de l’Etat avait tenté un coup politique pour structurer l’exécutif autour de quelques têtes de gondole médiatiques. Il voulait sur vendre un gouvernement qui n’illustrait pas la rupture sociétale annoncée en début de confinement. Nous étions alors en guerre... Le choix d’un Castex au profil d’intendant, inconnu du public, un cran politique en dessous de son prédécesseur, devait être rééquilibré. Le ronflant Dupont-Moretti et la baroque Bachelot donnaient un peu de sang neuf à un mandat présidentiel anémié par les crises successives depuis 2017.

Éric Dupont-Moretti n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. A Valenciennes, son père ouvrier métallo et sa mère femme de ménage ont su lui donner une éducation solide qui l’a amené à la faculté de droit de Lille et au barreau. Sa carrière, il l’a bâtie grâce à son talent oratoire et sa connaissance approfondie de la procédure pénale. Un bon pénaliste est toujours un bon procédurier. Les 145 acquittements à son actif ne sont pas un simple tableau de chasse de fauconnerie qu’il pratique en Flandres, mais le résultat d’une réelle compétence et d’un travail acharné. Pour la beauté du geste, comme un bel effet de robe d’avocat devant des jurés, il a accepté de mettre sa notoriété et sa parole décomplexée au service du président. Erreur, les deux ont oublié (on le savait déjà pour Macron) que l’’homme politique est dans l’action conduite au moyen de paroles. Dans l’espace public, qu’elles soient prononcées au pied du perchoir, au détour d’un interview ou d’une parole volée par un micro, qu’elle soient des confidences orientées où même mises scène, à la sortie du prétoire devant les caméras ou encore faussement privées, en bras de chemise assis derrière son bureau, aux yeux de l’opinion, elles sont les mêmes que celles prononcées officiellement dans le cadre d’un mandat de la République. L’homme politique est jugé sur l’adéquation entre ses paroles ses actes et ses résultats.

L’assurance, la parole facile, la rhétorique habile, la formule ajustée ou le bon mot, ne font pas une parole politique solide. Les paroles du grand avocat pénaliste, antérieures à sa fonction ministérielle, le poursuivent. Ses saillies machistes le desservent. Nommer ministre un avocat qui a fait de la magistrature sa bête noire était déjà une erreur. A tous les étages judiciaires les juges sont vent debout contre lui. Voilà maintenant que les conflits d’intérêts, qu’il a tenté d’évacuer, avec les affaires de ses ex-clients ou de ses collègues avocats, le rattrapent. Il doit se désaisir d’affaires centrales de la République. En avocat procédurier compulsif, il ne s’est pas rendu compte qu’en instrumentalisant les possibilités d’enquête internes sur un magistrat contre qui il avait déposé plainte, il commettait une énorme faute politique de débutant. On se demande si l’œil ironique de Jean-Yves Le Drian à la chambre des députés n’était pas le signe d’une vraie inquiétude sur la capacité de l’ex avocat à se tenir à distances des affaires de ses anciens clients à l’international comme le roi du Maroc, les présidents congolais et djiboutiens, tous les trois réputés pour leur amour de la justice et la défense de procès équitables dans leur pays. Le lourd et pesant Dupont-Moretti est devenu un poids pour le gouvernement.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.