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Nous avons décidé de notre côté de ne pas nous mettre en grève. Parce que nous préparons depuis plusieurs mois cet évènement et c’est dur de renoncer ! Parce que nous savons que les cinéastes et tous les professionnels autour travaillent depuis plus longtemps encore pour que nous puissions voir leurs films –
Mais aussi parce que pour nous les films, mais aussi la discussion, la réflexion, l’émotion, tout ce que le cinéma permet, sont de première nécessité et quand la société fait tout pour nous séparer, nous atomiser (comme dans les manifs) le festival doit et sera je l’espère un lieu ressource non pas pour nous faire passer le temps mais pour nous solidariser, nous renforcer.
Et chaque film, chaque séance, chaque débat doit nous rappeler que l’utopie ce n’est pas l’irréalisable mais ce qui n’est pas encore réalisé, comme l’a dit à peu près le philosophe et biologiste Théodore Monod.
Nous ne sommes pas en grève mais nous sommes solidaires de ceux qui le sont, solidaires aussi avec le personnel du Centre Pompidou et de la BPI qui ont décidé de fermer le Centre en ce jour de grève générale. Ce soir, la soirée d’ouverture du festival n’aura pas lieu mais nous serons dans la rue pour manifester.
Aujourd’hui je pense à ces hommes et femmes qui ont des métiers difficiles et qui pendant l’épidémie du COVID étaient en « première ligne » : les personnels hospitaliers, les caissières et autres travailleurs du secteur de l’alimentation, les agents du nettoyage. Ces mêmes personnes sont aujourd’hui aussi en première ligne…
La grève des éboueurs est particulièrement impressionnante, avec une force symbolique extraordinaire : l’image des ordures qui s’amoncellent – alors qu’habituellement elles sont vite soustraites à notre regard - est exactement l’image de ce que l’homme moderne fait à la terre. Parce qu’il n’est pas donné à tout le monde de vivre à côté d’une décharge pour en prendre conscience ! Face à ces ordures qui s’entassent devant nos portes, on comprend ce que veut dire le terme « sobriété » au cœur du 6ème rapport du GIEC publié voilà deux jours.
Nous avons choisi cette année de consacrer notre programmation front(s) populaire(s) à questionner la manière dont nous habitons le monde, notre rapport aux autres vivants et notre lien à la nature, face à la violence de l’exploitation économique qu’elle soit agricole, touristique, industrielle, financière. C’est ce que raconte très exactement Paradis le film de Alexander Abaturov que nous avons choisi pour ouvrir notre festival : comment habiter le monde en lien avec la nature et en relation aux autres vivants quand la violence économique prime sur la vie. L’ampleur de la catastrophe que Alexander Abaturov nous oblige à regarder en face est immense. Mais ce n’est pas là sa plus grande force. Ce qui rend le film si spectaculaire c’est sa lucidité et le calme qui s’en dégage. Au cœur de la taïga en Sibérie qui de plus en plus souvent s’enflamme à cause de la sécheresse, les hommes et les femmes aux prises avec le feu sont eux même lucide et calme. Ils savent que de toute façon, désormais, il s’agit de vivre dans cette catastrophe, et de tenter d’y survivre.
Cinéma du réel ouvrira ses portes demain vendredi 24 mars, à partir de 14h. Nous vous y attendons pour une expérience collective, éclairée, politique et sensorielle de notre monde.
Catherine Bizern, jeudi 23 mars 2023.